– Je commence à comprendre, murmura d’Assas qui écoutait attentivement.
– D’autre part, on s’était arrangé de façon à vous faire trouver devant la porte juste à point nommé pour vous permettre de rencontrer Mme d’Étioles; de façon aussi à vous mettre dans l’obligation de lui offrir l’hospitalité dans une maison expressément préparée à cet effet… En sorte que lorsque Sa Majesté se présenta à la petite maison, croyant y trouver Mme d’Étioles, elle fut reçue par l’autre dame qui lui apprit que Mme d’Étioles était partie quelques heures plus tôt avec le chevalier d’Assas… dans une maison qu’on désignait et où dix personnes dignes de foi les avaient vus ensemble… Par dépit, le roi resta avec cette dame, fort belle d’ailleurs… Quant à vous et à Mme d’Étioles, vous ne deviez pas sortir vivants de votre retraite… ce qui était la meilleure manière de vous empêcher d’apporter un démenti à cette trame soigneusement ourdie.
– Je comprends, fit le chevalier en passant sa main sur son front ruisselant de sueur… Et Jeanne?… Mon Dieu! pourvu…
– Rassurez-vous, chevalier, Mme d’Étioles est vivante, bien vivante!…
– Ah! vous me rendez la vie!… Elle est donc sortie de là saine et sauver? On a donc fait un miracle pour elle, comme pour moi?…
– Un miracle?… Que voulez-vous dire?…
– Comment! vous ignorez que j’ai failli être assassiné dans cette maison, cette nuit même où j’y suis entré avec Jeanne?… Vous… si bien renseigné!
– Parole d’honneur! je l’ignorais, fit Bernis avec émotion. Ah! ce cher comte a essayé!…
– N’avez-vous pas dit tout à l’heure que je ne devais pas sortir vivant de cette maison?…
– Oui. Mais vous sachant vivant quoique prisonnier, j’avais pensé qu’au dernier moment on avait reculé devant un assassinat…
– On a bel et bien tenté de m’assassiner et je ne m’en suis tiré que par miracle, je vous l’ai dit.
– Comment cela?… Racontez-moi cela.
– Plus tard… l’essentiel est que me voilà bien portant… Revenons à Mme d’Étioles… Vous m’affirmez qu’elle aussi a échappé aux coups qui la menaçaient?
– Sur mon honneur, je vous jure qu’elle est vivante… Mais où est-elle?… voilà ce que je ne sais… enlevée, disparue, séquestrée… je ne sais, mais vivante j’en réponds!
– C’est l’essentiel! Je saurai bien la retrouver, fit le chevalier avec une superbe confiance, et alors malheur à ceux qui ont osé… Mais qui vous fait supposer qu’elle soit saine et sauve?
– Pour plusieurs raisons que je vous ferai connaître tout à l’heure… mais vous pouvez être rassuré sur ce point, mes renseignements sont exacts.
– Ainsi, reprit d’Assas comme se parlant à lui-même, le but de toute cette infernale machination était d’empêcher Mme d’Étioles d’être la… la… maîtresse du roi pour permettre à une autre de prendre sa place!…
– C’est cela même!… J’ajoute, si cela peut vous intéresser, que cette autre a pleinement réussi… et que nous aurons, demain ou après-demain, une favorite officiellement affichée.
– Mais alors je…
– Je vous comprends, fit vivement de Bernis; vous vous dites que ces gens-là vous ont finalement rendu service en empêchant… ce que vous craigniez tant de la part de Mme d’Étioles, n’est-ce pas?…
– C’est vrai, fit d’Assas en rougissant; sans le vouloir, ils m’ont rendu là un service qui compense une partie du mal qu’ils ont voulu me faire.
– Mon pauvre chevalier… comme vous êtes jeune! Ces gens-là, d’Assas, n’ont qu’une crainte: c’est que vous arriviez à prouver que vous avez été injustement accusé.
– Moi?… Et pourquoi essaierai-je de prouver cela au roi?… pour le faire renaître à l’espoir?… pour le lancer bénévolement à la recherche de celle que j’aime et qu’il me dispute?…
– Non, chevalier, non, pas pour cela… mais pour échapper à la Bastille où vous serez transféré d’ici peu… pour échapper au bourreau à qui vous serez peut-être livré…
D’Assas frissonna, mais néanmoins répondit presque gaîment:
– Bah! que m’importent la Bastille et le bourreau, pourvu que…
– Pourvu que le roi n’ait pas Jeanne?… c’est bien cela, n’est-ce pas?… Mais, naïf que vous êtes, si on vous jette dans un cachot, si on fait tomber votre tête, à vous qui êtes le moins à craindre… songez-vous à ce qu’on pourra lui faire, à elle?… elle autrement dangereuse que vous, surtout quand vous ne serez plus là pour la protéger… de toutes les façons…
– C’est vrai, fit d’Assas ébranlé, je n’avais pas songé à cela!
– Vous voyez bien qu’il faut vous défendre avec acharnement… car en vous défendant, c’est elle que vous sauvez… et même si vous donnez au roi des espérances qu’il a perdues… vous saurez bien, j’imagine, défendre votre bien plus tard.
– Vous avez raison. J’étais fou… Mais comment?… Il faudrait sortir d’ici!…
– Nous y aviserons, fit énigmatiquement de Bernis; l’important est que vous soyez armé… que vous connaissiez bien vos ennemis… Où ils vont, ce qu’ils veulent, cela, vous le savez maintenant. Ce qu’ils peuvent, qui ils sont, je vais vous le dire.
– Vous le savez donc aussi? fit vivement d’Assas.
– Parbleu!…
– Qui est-ce?…
– Les ennemis ou, pour mieux dire, l’ennemie, – car c’est une femme qui est à la tête de toute cette affaire ténébreuse, – l’ennemie qui vous a accablés de ses coups, vous et Mme d’Étioles, c’est la comtesse du Barry, aujourd’hui encore maîtresse occulte du roi et demain probablement favorite proclamée devant toute la cour… La comtesse, aidée en cela par son très digne époux, le comte du Barry.
– Lui! lui que j’ai surpris un poignard à la main, embusqué comme un assassin!… Ah! j’aurais dû m’en douter!… Et si je sors d’ici, malheur à eux!
– Vous en sortirez, chevalier. Mais vous voilà prévenu… Si vous les trouvez sur votre route, elle ou lui, croyez-moi, écrasez-les sans pitié… elle surtout, car tant que cette femme-là vivra, il n’y aura pas de tranquillité possible pour vous et surtout pour Mme d’Étioles qu’elle tient en son pouvoir, cachée dans une retraite que j’ignore, mais que nous découvrirons bien un jour ou l’autre… Ah! cette femme!… cette misérable!… quand je songe qu’hier encore c’était une fille galante, vendant ses faveurs au plus offrant et dernier enchérisseur, et que demain elle nous gouvernera tous par le roi qu’elle tient… tenez, on sent le vertige vous envahir!…
– Eh quoi!… que dites-vous là?… que m’apprenez-vous?…
– Je dis ce que plus d’un sait à la cour… et ailleurs… La comtesse du Barry, maîtresse du roi, s’appelait, avant d’être la femme du comte, si tant est qu’elle le soit, Juliette Bécu, dite l’Ange, et trafiquait de son corps dans son taudis situé rue des Barres. Voilà ce que je dis et ce que plus d’un sait comme moi.
– Et c’est une pareille créature qui…