Je vous ai aimé dès le moment que je vous ai vu, si jeune, si loyal, si beau, entouré d’embûches et de pièges, pris dans un mystérieux et infernal réseau où vous pouviez, où vous deviez laisser vos jours…
Et cet amour fait d’abnégations et de sacrifices, – je vous le jure, d’Assas, – cet amour est entré si avant dans mon cœur que moi qui, comme vous, suis aussi entourée de dangers terribles, moi qui suis dans la main de gens sans scrupules et doués d’un pouvoir immense, moi qui pourrais être brisée comme un verre si on soupçonnait seulement l’intérêt que je vous porte, je n’ai pas hésité à tout braver pour vous sauver…
Ah! je le sais, votre cœur est pris ailleurs… mais qu’importe! Regardez-moi, d’Assas, moi aussi, je suis jeune, je suis belle… et puis, qu’est-ce que je vous demande, moi?… rien!… Vivez d’abord, sortez de la tombe anticipée où l’on veut vous ensevelir, nous verrons bien après…
Je sais bien qu’un cœur comme le vôtre, lorsqu’il s’est donné, ne se reprend pas aisément… mais je vous aime tant… Voyez si j’ai hésité à me sacrifier… et puis, je saurai si bien vous envelopper de tendresse et de dévouement… je serai si humble, si soumise, je tiendrai si peu de place dans votre vie… je vous ferai si grand, si envié, je vous entourerai si bien de tous les bonheurs, de toutes les joies, qu’il faudra bien qu’un rayon de pitié, pour l’esclave que je serai, pénètre en votre âme…
Qu’est-ce que je vous demande en échange de ce sacrifice constant que je vous offre?… rien… que le bonheur de vous voir de temps en temps, de vous exprimer mon amour… rien qu’un peu d’amitié et de reconnaissance pour la pauvre femme dévouée que je suis… Le reste viendra après… plus tard, longtemps plus tard… quand vous aurez enfin oublié l’autre… et vous m’aimerez alors… car vous m’aimerez, d’Assas… vous m’aimerez, il le faut… je le veux… Votre amour, c’est toute ma vie!…
Pendant toute cette tirade décousue mais vibrante de passion sincère, d’abord ému, puis pris d’un soupçon qui s’enracinait en lui au fur et à mesure que la femme parlait, le chevalier était devenu d’une froideur de glace, et, avec un mépris qu’il ne chercha même pas à dissimuler, comme si ses soupçons se fussent changés en certitude, il s’écria sur un ton sourdement menaçant:
– Vous êtes la comtesse du Barry?
– Je suis la comtesse du Barry, en effet, répondit Juliette sans remarquer le ton singulièrement menaçant de cette question posée avec un calme glacial et surprise seulement de se voir reconnue.
– La maîtresse du roi?… La favorite de demain? insista le jeune homme comme s’il eût voulu ne conserver aucun doute, et sur un ton cinglant comme un coup de cravache.
Mais la comtesse était trop absorbée par sa propre passion et du reste, nous l’avons dit, était trop inconsciente de l’abjection de son état pour ce qu’il y avait de souverainement méprisant dans l’intonation du chevalier pût la frapper.
Au contraire, elle crut produire une impression favorable sur lui en se parant de ce titre de favorite du roi qui était alors synonyme de grandeur et de toute-puissance.
Ce fut donc avec une sorte d’orgueil inconscient dans son cynisme qu’elle répondit:
– Oui, je suis la favorite du roi!… Comprenez-vous maintenant, chevalier, que ce que je vous promettais tout à l’heure n’était pas un leurre?… Je vous aime et je veux vous voir au rang que vous méritez, je vous veux au-dessus de tous… je vous ferai grand parmi les plus grands.
Ce que je vous promets, je puis le tenir… le roi n’a rien à me refuser… et il faudra bien, tôt ou tard, qu’il m’accorde votre grâce entière… il faudra bien qu’il vous couvre de ses faveurs…
En attendant, c’est la liberté que je vous apporte… la liberté avec la vie – car si vous restez ici, vous êtes perdu, vos ennemis l’ont décidé et ils sont puissants et adroits puisqu’ils ont su déchaîner la colère du roi contre vous. Prenez donc ce que je vous donne en attendant la vie de splendeurs, de gloire et de toute-puissance que mon amour saura vous créer… et, en échange, accordez-moi un peu d’amitié… l’amour viendra par la suite et alors, chevalier, je vous le jure, vous serez l’homme le plus heureux et le plus envié de la terre.
Comme s’il n’eût pas entendu une seule de ces paroles, le chevalier répéta sur un ton étrange et qui aurait donné le frisson à la comtesse si, moins aveuglée par ses propres sentiments, moins distraite par les rêves qu’elle faisait tout haut, elle avait pu donner une attention plus grande aux paroles de son interlocuteur et étudier plus froidement les jeux variés de cette physionomie loyale sur laquelle se réfléchissaient, comme en un miroir, toutes les sensations éprouvées intérieurement:
– Ah! vous êtes la favorite du roi?… Enfin! je vous tiens!…
Une fois encore la comtesse se méprit au sens de ces paroles et crut l’avoir ébloui par ses offres. Elle dit donc très doucement, sincèrement convaincue:
– Oui! je vois que vous doutez de mon pouvoir, vous craignez que ce que je vous ai dit ne soit qu’un jeu… Mais regardez dans mes yeux, vous y lirez l’amour immense que je ressens pour vous… Et si vous doutez de mes promesses, parlez, dites quelles garanties vous demandez… je ferai ce que vous désirez.
– Allons donc! madame, éclata enfin d’Assas, peut-il y avoir rien de commun entre vous et moi?… Vous êtes la maîtresse du roi, madame, et vous osez vous parer de ce titre honteux comme d’un titre de gloire… vous qui n’avez même pas l’excuse d’aimer ce roi à qui vous appartenez… Favorite! courtisane!… la première des courtisanes de France, soit: courtisane quand même… Restez ce que vous êtes et cessez de m’injurier par des propositions que je vous aurais déjà rentrées dans la gorge si vous étiez un homme!
La comtesse fut pétrifiée par cette explosion subite. Elle devint pâle comme une morte: elle s’était levée dans l’animation des paroles qu’elle avait dites; elle dut s’appuyer au dossier d’une chaise, ses jambes se dérobant sous elle, et d’une voix éteinte, où il y avait plus de surprise douloureuse que d’indignation, elle gémit:
– Vous m’insultez!… vous?… vous?… Oh!!!
– Vous insulter, vous! est-ce possible? reprit le chevalier avec une véhémence grandissante; vous insulter, vous?… la comtesse du Barry?… vous qui avez aidé le comte, votre soi-disant époux, dans l’accomplissement de sa tâche d’assassin?… Car il a voulu m’assassiner, et Dieu seul sait par suite de quel miracle j’ai pu échapper à son couteau!… car vous l’avez aidé dans l’accomplissement de cette tâche homicide, si toutefois vous ne l’avez pas guidé et poussé vous-même?…
– D’Assas!… Vous oubliez que j’ai risqué ma vie pour venir vous crier de vous tenir sur vos gardes! clama la malheureuse, sans se rendre compte qu’elle avouait tacitement sa complicité dans cette tentative d’assassinat qu’on lui jetait à la face.
– C’est, pardieu! vrai, madame. Vous avez essayé de trahir votre complice, et ceci vous complète… mais il était bien temps; j’étais alors en son pouvoir pieds et poings liés… grâce à vous, grâce à votre aide, à votre instigation peut-être.
– Ce n’est pas vrai!… c’est faux!… jamais je n’ai été l’instigatrice d’un aussi monstrueux forfait… Vous faire assassiner, moi! moi!… mais, mon Dieu, je donnerais ma vie pour vous!… car je vous aime!…
Elle avait lancé cette protestation avec une telle énergie et une sincérité si évidente que d’Assas la crut.