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Voilà ce que j’avais à vous dire… et remerciez le ciel que je n’ai point trop oublié que vous êtes, malgré tout, une femme… Quant à votre acolyte… le comte du Barry, il ne perdra rien pour attendre… il recevra la correction qu’il mérite.

Ayant dit, d’Assas se recula de deux pas, croisa ses bras sur sa poitrine et attendit, très calme, dans l’attitude de quelqu’un qui entend montrer sa volonté de briser un entretien qui lui pèse.

Juliette était écrasée. Une rage folle l’envahissait; un désespoir sans fin, lui semblait-il, l’étreignait.

Ainsi, tous les rêves d’amour qu’elle avait faits aboutissaient à cela… à ce résultat imprévu!… Ainsi l’amour qu’elle offrait était outrageusement dédaigné!… Elle avait consenti inutilement à une complaisance abjecte, elle s’était exposée bénévolement à la perte d’une situation qui avait été le rêve de tant d’années de misère, exposée aussi aux coups d’un maître redoutable et puissant, pourquoi?… pour aboutir à quoi?…

À se voir bafouée, dédaignée, méprisée irrémédiablement par le seul être l’estime duquel elle eût tenu!…

À se voir dédaigneusement jeter à la face des vérités infamantes, plus outrageantes dans leur sinistre et douloureuse réalité que les plus sanglantes injures…

Et c’était d’Assas qui lui jetait ainsi l’opprobre et le mépris; d’Assas – elle le savait bien, et son cœur en saignait – un des très rares gentilshommes qui avaient au plus haut point le respect infini de cet être de faiblesse et de charme qui est une femme.

Était-elle donc réellement tombée si bas pour qu’il eût pu trouver la force de lui dire les affreuses choses qu’il avait dites?

Fallait-il donc que la seule femme au monde, peut-être, susceptible d’être outragée et méprisée de lui, ce fût elle précisément?… Ah! misère!…

Jusqu’à la fatalité qui s’était tournée contre elle et son amour… la fatalité aveugle et stupide qui, grâce à la complicité d’un soudard ivre sans doute, sinon de vin, du moins de vanité outrée à la vue de la conquête qu’il venait de faire, avait voulu qu’un incroyable hasard amenât juste à point pour la surprendre dans l’accomplissement d’une besogne honteuse, celui-là même pour qui cette besogne était accomplie, celui précisément qui seul eût dû l’ignorer toujours: d’Assas… Ah! malheur!

Car il faut dire que l’idée ne lui vint pas, ne pouvait pas lui venir, d’une machination dont M. Jacques était le promoteur, habilement exécutée par de Bernis et de Marçay, et dont elle était la victime désignée d’avance.

Maintenant c’en était fait, l’irréparable était accompli: plus d’espoir, plus de but!…

Ou plutôt si, un but, mais non le but radieux et clair de l’amour reposant et régénérateur, mais le but sombre et tortueux de la haine et de la vengeance, avec son cortège d’embûches sournoises, de vilenies et… qui sait?… de remords peut-être…

Maintenant rien… rien que les affres de la jalousie effrénée, instigatrice des pires résolutions, incitatrice aux plus dégradantes besognes.

Voilà à quoi elle aboutissait.

Que dire?… Que faire?…

Rien! Elle le comprit en voyant le visage de glace et la pose dédaigneuse et méprisante de celui vers qui elle était venue le cœur débordant d’amour.

Aussi, sans rien dire, ramassa-t-elle vivement sa mante qu’elle avait jetée sur une chaise, elle s’en enveloppa dans une hâte fiévreuse et se dirigea vers la porte sans qu’il eût dit un mot, fait un geste.

Mais, avant de sortir, elle se retourna, et d’une voix rauque que la colère et la déconvenue faisaient trembler, elle dit:

– Chevalier d’Assas, j’étais venue à vous la main tendue, le cœur ouvert; vous avez repoussé l’une et dédaigné l’autre qui s’offrait; j’étais venue à vous des paroles d’amour aux lèvres, et vous m’avez répondu par des injures, vous le preux… à moi une femme!… C’est bien!…

J’étais une amie pour vous, maintenant c’est une ennemie qui sort d’ici… une ennemie acharnée qui ne vous lâchera pas… et c’est vous qui l’avez voulu, bien voulu, dites-vous cela… Gardez-vous bien, car je serai implacable, je me vengerai d’une manière terrible de vos outrages et de vos dédains… Malheur à vous, chevalier d’Assas!… à vous et à elle!…

– Allons donc! fit le chevalier en haussant les épaules, allons donc, madame!… je vous préfère ainsi… Vrai Dieu! la menace et la haine vont mieux à Juliette Bécu… et, en tout cas, m’honorent plus que les paroles d’amour et les offres honnêtes qu’elle me faisait cyniquement tout à l’heure!

Elle le regarda un instant avec des yeux flamboyants, eut un mouvement de tête résolu, comme pour se dire encore une fois:

– Vous le voulez?… Soit!…

Elle répondit simplement:

– Adieu! chevalier d’Assas… au revoir!… Et sortit.

– Allons, allons! murmura le chevalier une fois seul, il n’y a pas de temps à perdre maintenant… Cette furie va se déchaîner contre Jeanne… il faut que ce soir je sois hors d’ici.

Il monta aussitôt sur la terrasse et résolument se mit à l’œuvre.

Quelle besogne hâtive il accomplit? À l’exécution de quel engin dont le plan lui avait été remis par Saint-Germain il procéda? À quoi devait servir cette mystérieuse invention que le comte lui attribuait?

C’est ce que le lecteur apprendra par la suite.

XIX LE CARTON À DESSINS

Après avoir quitté d’Assas, la comtesse avait repris précipitamment le chemin de la petite maison des Quinconces.

Elle était dans un état de surexcitation extrême qui ne lui laissait pas la faculté d’envisager sainement la situation dans laquelle elle s’était mise elle-même et encore moins de se rendre un compte exact des sentiments réels qu’elle éprouvait.

Ce qui dominait en elle, c’était une sorte de stupeur douloureuse devant l’écroulement de rêves longtemps caressés.

C’était aussi un étonnement effaré produit par l’attitude incroyable de ce petit officier qui repoussait comme une insulte ce que de hauts et puissants seigneurs eussent accepté avec empressement et reconnaissance, et qui se mêlait d’avoir des idées et des sentiments incompréhensibles, qui la déroutaient complètement.

Mais ceci n’était que le côté sentimental, et, bien qu’elle lui payât un large tribut, bien que son cœur se fondît à la pensée que celui qu’elle aimait ne l’aimerait jamais, était à jamais perdu pour elle, il y avait aussi plusieurs autres côtés plus matériels qui la touchaient plus directement et qui primaient tous les autres, étouffaient toute velléité de faiblesse ou de générosité, et chassaient toute idée de renoncement à des projets de vengeance.

L’amour-propre avait reçu un rude coup et elle n’arrivait pas à s’expliquer comment on avait pu résister au charme de sa beauté réelle, comment on avait pu résister au désir de presser entre ses bras ce corps merveilleux qui s’offrait, et, dans son humiliation profonde de cet échec, elle en arrivait à se croire laide.

D’autre part, le milieu spécial dans lequel elle avait vécu ayant oblitéré chez elle, le sens de la délicatesse, elle ne pouvait comprendre pourquoi et comment un jeune homme de vingt ans, pauvre, n’ayant pour fortune que son épée, avait pu refuser les offres qu’elle lui faisait et qui eussent ébloui de plus riches, de plus blasés et de plus haut placés que lui.