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Qu’avait-il dit?… Quelles fibres secrètes avait-il fait vibrer?… Quel avenir prestigieux avait-il fait entrevoir?…

Peu importe ici.

Ce qu’il y a de certain, c’est que son but était atteint; et maintenant c’était une autre femme, pétrie à sa volonté, qui était là devant lui, et cette femme, c’était une furie déchaînée, prête à marcher résolument dans la voie où il l’avait engagée.

Ce portrait de d’Assas devant lequel elle avait hésité si longtemps, elle le prit résolument et d’un coup de crayon ferme et décidé apposa au bas le monogramme de Jeanne parfaitement imité.

Le chevalet supportant le portrait du roi, qu’elle avait soigneusement caché jusqu’à ce jour – pour lui en faire la surprise quand il serait achevé – fut placé par elle-même, avec sa toile inachevée, au milieu du salon, en pleine évidence; les cartons à dessins furent adroitement distribués, de manière à forcer l’attention du roi quand il viendrait, et celui contenant les dessins de Mme d’Étioles, habituellement mis de côté, de façon à ce qu’il fût ouvert un des premiers sans qu’il fût possible de soupçonner qu’il avait été mis là tout exprès.

Et quand cette sorte de mise en scène, agencée avec art, fut terminée, bien certain que cette fois-ci elle ne reculerait plus, M. Jacques se leva et sortit, un sourire de satisfaction aux lèvres.

La nuit commençait à tomber quand il rentra chez lui.

Il s’assit devant un bureau, griffonna quelques lignes au bas desquelles il apposa un cachet mystérieux et qu’il enferma dans une enveloppe portant le même cachet, puis il glissa le tout dans une deuxième enveloppe ne portant aucun signe apparent.

Ceci fait, il sonna, et, au valet accouru:

– Eh bien! baron, êtes-vous allé où je vous avais dit? Le valet à qu’il donnait le titre de baron répondit:

– Oui, monseigneur, et M. de Crébillon a été si bien convaincu qu’il quitte Versailles. Demain matin il rentrera à Paris.

– Le poète n’a pas soupçonné en vous le vieux médecin de l’autre jour?

– Oh! fit le valet en souriant, j’étais si bien déguisé l’autre jour… et aujourd’hui je lui ai mâché un français agrémenté d’un accent tudesque… qui faisait frémir ses oreilles… Bref, le résultat est qu’il part demain matin.

– C’est parfait!… J’aime mieux cela… pour lui, pensa M. Jacques qui reprit tout haut:

– Vous pouvez faire cesser la surveillance de ce côté.

– Je l’avais bien pensé… j’ai donné des ordres en conséquence.

M. Jacques eut un signe de tête approbatif, puis il demanda:

– Le comte est-il là?

– Il vient d’arriver, monseigneur.

– Veuillez me l’envoyer, je vous prie.

Quelques instants plus tard, le comte du Barry était introduit auprès de son redoutable maître.

– Mon cher comte, dit celui-ci en lui tendant la lettre qu’il venait de cacheter, faites parvenir ceci au baron de Marçay, séance tenante.

Et comme du Barry donnait des signes d’inquiétude, comme cela lui arrivait toujours chaque fois qu’il était question directement ou indirectement de d’Assas, il ajouta en sortant:

– Soyez tranquille… Je recommande tout spécialement votre protégé au baron à qui je donne l’ordre de le surveiller étroitement… le temps des douceurs et des privautés est passé pour lui… il ne faut pas que le chevalier recouvre sa liberté et je vous réponds qu’il n’échappera pas maintenant.

Le comte prit la missive avec un rictus de satisfaction et s’empressa d’aller porter au château ces instructions si importantes à ses yeux.

Lorsqu’il y arriva, la nuit était tout à fait venue.

Du Barry avait sans doute des raisons particulières de ne pas porter lui-même au baron les ordres de son supérieur, car il se dirigea tout droit du côté des communs et, avisant un palefrenier qui bayait aux corneilles, lui donna un écu et le chargea d’aller porter au corps de garde des prisons la lettre qu’il lui remit.

Le palefrenier s’empressa d’empocher l’écu et partit aussitôt; ce que voyant, le comte, tranquille et satisfait, quitta la cour et rentra chez lui.

Mais le hasard voulut que le commissionnaire improvisé rencontrât deux camarades à qui il s’empressa de montrer l’écu qu’on venait de lui remettre et de conter la commission dont il était chargé.

Les deux camarades, aussitôt, s’empressèrent de lui démontrer par toutes sortes d’arguments irrésistibles que la commission serait bien mieux faite après qu’elle aurait été préalablement arrosée.

Ces arguments parurent frapper vivement le palefrenier, qui se dit qu’après tout un verre était tôt vidé et qu’il serait toujours temps de porter sa lettre après. En sorte que les trois compères s’en furent séance tenante changer le fameux écu, et que de verre en verre, de bouteille en bouteille, il y passa tout entier.

Si bien que la soirée était fort avancée lorsque le peu scrupuleux palefrenier se décida enfin à s’acquitter de la commission pour laquelle il avait été payé d’avance.

Mais alors un autre incident imprévu surgit à son tour.

Le corps de garde étant endormi lorsque le palefrenier titubant vint frapper à la porte, le soldat qui prit la lettre se demanda s’il était bien utile d’aller réveiller son officier pour la lui remettre et, n’osant se prononcer lui-même, s’en fut tout droit réveiller le sergent à qui il la remit en lui contant comment elle lui était parvenue.

Le sergent, à son tour, considéra l’enveloppe, et, ne voyant aucun sceau, aucun cachet officiel, le porteur étant un modeste palefrenier, il en conclut que cette lettre ne concernait en rien le service, provenait probablement d’un camarade ou d’une amie de son officier et qu’en conséquence il n’y avait pas nécessité de le réveiller et que la lettre serait tout aussi bien remise le lendemain matin.

Et, ayant ainsi arrangés les choses, sergent et soldat se recouchèrent, la conscience tranquille.

Et voilà comment, ainsi que le lecteur pourra s’en rendre compte par la suite, l’ivrognerie d’un misérable valet d’écurie et l’attention trop zélée de deux soldats vinrent détruire brutalement ce que M. Jacques avait eu tant de mal à édifier, et renverser un plan savamment conçu et lentement exécuté.

Dans la nuit de ce même jour, la comtesse travaillait, toutes les bougies allumées, à son fameux portrait du roi, et c’est ainsi occupée que Louis la trouva.

Naturellement, le roi se répandit en remerciements pour cette agréable surprise, et en compliments sur la ressemblance parfaite, sur la finesse du dessin et sur le talent de l’auteur qui, disait-il, pouvait rivaliser avec M. Boucher, et protestant galamment parce qu’on lui avait caché ce talent si longtemps.

La comtesse accueillit les remerciements avec une fausse modestie charmante. Et, désignant d’un signe de tête les cartons qu’elle avait savamment disposés à cette intention quelques heures plus tôt, elle dit:

– Puisque vous voulez bien me dire que mes modestes ébauches ne sont pas trop mal, voyez là, mon roi, si vous trouvez quelque chose qui vous plaise.

Louis prit un carton et se mit à le compulser complaisamment.

Penchée sur lui, le bras nonchalamment appuyé sur son épaule, ses fins cheveux effleurant sa joue, dans une pose pleine de charme et d’abandon, elle le guidait dans ses recherches, passant rapidement d’un dessin à un autre et, sous prétexte qu’il ne contenait que des ébauches informes, elle ferma brusquement le carton et en prit vivement un autre qu’elle ouvrit devant lui, disant: