– Vous verrez, Louis, il y a des choses dont je ne suis pas trop mécontente là-dedans… Tiens!… mais, qu’est cela? Ah! folle que je suis, je me suis trompée.
Elle dit cela en riant, avec un naturel parfait, et, tout en parlant et riant comme pour s’assurer qu’il y avait bien réellement erreur, elle feuilletait vivement jusqu’à ce que le portrait de d’Assas fût sous les yeux du roi.
Elle lui laissa le temps de bien le reconnaître et, s’étant assurée du coin de l’œil que son attention se portait sur ce dessin, elle fit un geste pour fermer le carton.
Mais alors Louis l’arrêta et, prenant le portrait pour le voir de plus près, il dit en s’efforçant de rester calme:
– Mais il est très bien, ce portrait… Un de mes officiers… je le reconnais… la ressemblance est frappante… Tous mes compliments, comtesse… décidément, vous réussissez à ravir le portrait.
– Fi, le vilain taquin! fit-elle avec une moue adorable de mutinerie, le méchant roi qui veut m’humilier en me faisant des compliments qui s’adressent à l’œuvre d’une autre… Ce n’est pas bien, Louis, vous gâtez tout mon bonheur… Je vous ai dit que je m’étais trompée: ce carton ne m’appartient pas.
– Plaît-il? fit le roi qui peut-être n’avait réellement pas entendu; vous dites que ce carton ne vous appartient pas… À qui est-il donc?
Et le roi ne lâchait toujours pas le portrait qu’il dévorait des yeux.
Et comme la comtesse baissait la tête avec confusion, évitait de répondre tout en essayant vainement de lui enlever le dessin, il reprit, impatienté, sur un ton d’autorité et avec une froideur glaciale:
– Je vous ai demandé, madame, à qui appartenait ce carton et ce… portrait… N’avez-vous donc pas entendu?
– Sire, répondit-elle en prenant avec affectation l’attitude respectueuse que l’étiquette imposait devant le roi, puisque Votre Majesté l’ordonne!… ce carton appartient à… à Mme d’Étioles.
Elle avait savamment gradué l’embarras, de façon à lui faire comprendre la répugnance qu’elle éprouvait à parler de la rivale délaissée et à lui laisser deviner un reste de jalousie.
Lui, cependant, demanda, sans paraître remarquer ni cet embarras ni l’insistance avec laquelle elle appuyait sur les formules d’étiquette:
– En êtes-vous bien certaine?
– Votre Majesté n’a qu’à voir la signature… elle sera convaincue.
Et sa gêne s’accentuait de plus en plus, et l’attitude de plus en plus raide et compassée protestait tacitement contre la contrainte qu’il lui imposait.
Louis, sans se soucier d’elle, cherchait dans le tas, comparait les signatures, et quand il se fut bien assuré qu’elle ne se trompait pas, qu’elle ne mentait pas, il s’exclama:
– C’est, pardieu! vrai…
Et comme il n’ajoutait plus rien, paraissant réfléchir profondément, elle prit une pose qui disait clairement:
«Fidèle observatrice des lois de l’étiquette, j’attends qu’il plaise à Votre Majesté de m’autoriser à parler.»
Cette scène muette se prolongea pendant quelques minutes qui leur parurent, à elle longues comme des heures, à lui rapides comme un éclair.
Enfin, le roi se ressaisit non sans effort. Il remit le portrait dans le carton qu’il ferma tranquillement, et adoucissant son sourire, il dit avec un calme apparent:
– Ma foi, comtesse, je vous fais mes excuses, vos dessins sont incontestablement supérieurs à ceux de cette… petite d’Étioles.
Ce fut tout.
Et comme elle s’inclinait silencieusement et cérémonieusement, il reprit, en souriant gracieusement et comme pour se faire pardonner sa brusquerie:
– Allons, Chiffon, ne boudez pas ainsi ou sinon… je ne vous dis pas une nouvelle qui va faire caqueter la cour en même temps qu’elle fera plaisir à une belle personne… qui n’est pas loin… et qui serait bien attrapée si je me taisais.
Moitié souriante, moitié boudeuse encore, elle demanda:
– Quelle nouvelle?… dites.
– Mais, fit malicieusement le roi, je veux parler de la présentation officielle à son roi d’une certaine comtesse du Barry de ma connaissance, et qui aura lieu avant la fin de la semaine… le roi ayant donné des ordres formels ce matin.
– Vrai?… s’écria la comtesse en frappant des mains avec joie. Vrai? Ah! Louis, que je vous embrasse!… et comme je vous aime!…
Le premier soin du roi, en rentrant au château, fut de dire à son capitaine des gardes:
– Monsieur, vous ferez transférer à la Bastille, dans la matinée, M. le chevalier d’Assas, actuellement détenu au château. Le prisonnier sera mis au secret… Allez, monsieur!
Le lendemain matin le sergent remit au baron la lettre apportée la veille au soir, en lui expliquant comment elle était parvenue et pour quelles raisons il ne l’avait pas remise immédiatement.
De Marçay, croyant comme son subordonné que cette lettre d’apparence banale provenait d’un camarade, fit un mouvement de tête approbatif et se retira dans sa chambre pour la lire.
Mais quand il eut déchiré l’enveloppe et reconnu le cachet qui s’étalait au bas de cette missive qui lui avait paru insignifiante, il pâlit légèrement; quand il eut lu les instructions qu’elle contenait, qui lui recommandaient de surveiller de très près son prisonnier et de le garder enfermé dans sa chambre en attendant l’ordre de transfert, signé du roi, qui ne pouvait tarder, il ne put retenir une exclamation furieuse à l’adresse du sergent à qui il n’avait rien dit l’instant d’avant.
Cependant il ne concevait aucune inquiétude et sa mauvaise humeur provenait uniquement de n’avoir pu exécuter immédiatement les ordres qui lui étaient transmis; il se tranquillisa donc en se disant que, somme toute, il obéissait dès la réception de l’ordre et qu’il n’était pas responsable du retard apporté dans la communication de cet ordre.
Il prit donc le temps de brûler entièrement cette missive compromettante et se dirigea, sans se presser vers la chambre occupée par d’Assas, dans l’intention de lui faire connaître qu’il venait de recevoir des instructions formelles lui prescrivant de mettre son prisonnier au secret, et le prier de l’excuser personnellement de la rigueur de ces ordres qui n’émanaient pas de lui et qu’il était simplement chargé de faire exécuter.
Après avoir vainement frappé, il se décida à ouvrir la porte et constata que le chevalier n’était pas là; en outre, du premier coup d’œil, il remarqua que le lit n’était pas défait.
Sans trop savoir pourquoi, il se sentit pris de soupçons et, vaguement inquiet, il se rua vers la terrasse:
Personne!
Commençant à craindre une fuite extraordinaire, la sueur de l’angoisse au front, il redescendit plus précipitamment qu’il n’était monté et se mit à visiter une à une toutes les pièces, appelant de temps en temps:
– Chevalier!… chevalier d’Assas!…
Point de réponse… Personne nulle part!…
Le chevalier avait disparu.
Désespéré, anéanti, ne songeant même pas à donner l’alarme, il se laissa tomber lourdement sur un siège, se demandant s’il ne devenait pas fou, tant cette fuite le déconcertait.