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– Oui, continua le chevalier d’une voix de plus en plus éclatante; oui, vous me vouliez assassiner lâchement, monsieur; mais, mordieu! on échappe à votre poignard tout comme on tire sa révérence aux geôliers chargés de garder un homme dont on se veut défaire, et on se présente, comme je le fais, devant l’assassin, au moment où il croit vous tenir, pour lui administrer la correction qu’il mérite… ce que je vais faire avec tous les égards qui sont dus à votre rang… monsieur l’assassin!…

Le comte cependant était revenu de sa stupeur, mais une colère terrible, une fureur terrible l’envahissait.

Il recula d’un pas et tira son épée, en disant avec rage:

– Par le diable! ce coup-ci tu n’échapperas pas!

Mais la voix claironnante de d’Assas, son calme imperturbable en présence de la face hideuse de fureur du comte, l’épée qui brillait au soleil et menaçait cet homme qui gardait dédaigneusement la sienne au fourreau, tout cela attirait de plus en plus l’attention sur eux et faisait pester Crébillon qui ne perdait rien de cette scène rapide.

On s’arrêtait on se groupait autour d’eux.

D’un carrosse qui s’approchait un cri était parti, un buste avait surgi de la portière, un ordre avait été lancé au cocher qui avait arrêté ses chevaux.

Du Barry, de plus en plus aveuglé par la colère, oubliant le lieu où il se trouvait, oubliant qu’il n’avait qu’à s’approcher de la grille, appeler et faire arrêter celui qu’il haïssait, n’ayant qu’un désir: celui d’en finir là, sur place, à l’instant, par un bon coup d’épée; du Barry, ivre de fureur, fonça l’épée haute sur le chevalier, en criant pour la forme, car l’attaque précédait traîtreusement l’avertissement:

– En garde, monsieur, ou je vous tue!…

Le coup était porté avant que l’avertissement fût achevé.

Mais d’Assas surveillait de très près son ennemi.

Alors, les assistants, qui, déjà faisaient cercle virent avec une stupeur mêlée d’admiration que les coups furieux de cette épée traîtresse et qui cherchait à être mortelle était dédaigneusement parée… avec une canne, pendant que la voix vibrante et sonore de d’Assas disait avec un calme terrifiant:

– Salir mon épée contre la vôtre!… fi donc!… un bon bâton, voilà ce qu’il faut à un homme comme vous, monsieur l’assassin!…

Le comte était connu et cordialement détesté… d’Assas était un inconnu pour tous. La crânerie de son attitude lui attira la sympathie et l’admiration de tous.

Un officier, dans un groupe, dit à haute voix:

– Morbleu!… voilà un homme!…

D’Assas eut un sourire à l’adresse de celui qui avait parlé et, entre deux parades, la canne traça dans l’air un salut dans cette direction.

Des murmures admiratifs éclatèrent. Pour un peu, on eût applaudi.

La passe d’armes, si on peut dire, dura, du reste, fort peu de temps. Un coup sec, vigoureusement appliqué, brisa l’épée dans la main du comte.

Rapide comme l’éclair, d’Assas saisit le poignet de son adversaire le broya, le tordit jusqu’à ce que le tronçon d’épée échappât à ses doigts endoloris.

Du pied il repoussa les deux tronçons qui disparurent instantanément, saisis, happés au passage, jetés loin de là par des mains inconnues, car, devant cette lutte inégale d’une épée et d’un bâton la foule sentait, devinait que le lâche qui avait osé soutenir un tel combat était de force à se servir de la lame brisée pour poignarder son trop loyal adversaire, et d’instinct elle prenait parti pour le plus brave.

Alors d’Assas d’une main, saisit du Barry au collet et de l’autre laissa retomber à coups précipités la canne sur ses épaules.

Le comte, écumant de rage, essaya de se soustraire à l’étreinte formidable qui le matait! il essaya de mordre, de griffer… peine perdue… l’étreinte restait la même, les coups pleuvaient dru comme grêle sur ses épaules et la foule enlevée criait: Bravo!

Du Barry perdit alors complètement la tête; la honte, la rage, la douleur l’agrippant, l’étouffant, il se mit à crier, appelant à l’aide, sommant les assistants d’arrêter son bourreau qui était, d’après lui, un criminel, un prisonnier d’État évadé…

La foule amusée férocement, se mit à rire, criant au chevalier:

– Hardi!… Hardi!…

Et d’Assas frappait toujours.

Et les cris de rage, les objurgations de du Barry, se changèrent en hurlements de douleur et la folie envahissait son cerveau.

Alors d’Assas le lâcha et, fou de douleur, ne sachant plus ce qu’il faisait, le comte s’enfuit… mais d’Assas le poursuivit la canne haute, le chassant devant lui, frappant sans trêve, et la foule faisait cercle, empêchait le malheureux de s’échapper, l’obligeait à tourner comme sur une piste, toujours poursuivi par la terrible canne qui s’abattait constamment sur ses épaules meurtries.

Enfin, haletant, les yeux exorbités, les vêtements en lambeaux, couvert de sang, il tomba comme une masse et alors seulement la canne s’arrêta de frapper.

D’Assas, essuyant son front ruisselant de sueur, se fraya un passage parmi les assistants qui lui faisaient une ovation.

Il fut rejoint alors par Crébillon qui, sur un ton de reproche, lui dit:

– Mordieu!… C’est là ce que vous appelez être prudent?… N’importe, ajouta-t-il en riant, voilà une belle volée de bois vert, une magistrale correction!… Tudieu!… chevalier, vous n’y allez pas de main morte!…

– Je m’étais promis de lui administrer cette correction! dit simplement d’Assas.

– Eh bien! vous êtes satisfait maintenant? Oui!… Alors, croyez-moi, tirons au large.

À ce moment, du carrosse qui s’était arrêté, un personnage descendit et vint à eux, les bras ouverts.

– Enfin, chevalier, je vous trouve!… dit le personnage.

– Monsieur d’Étioles, dit d’Assas, non sans une gêne secrète.

– Moi-même, chevalier; montez dans mon carrosse… Vrai Dieu! chevalier, il ne fait pas bon être de vos ennemis… Quelle poigne!… Ce pauvre comte! comme vous l’avez arrangé!… Montez, je vous prie… Au reste, c’est pain bénit et il n’a pas volé la correction que vous lui avez administrée… J’en rirai longtemps… mais montez donc!

D’Assas allait refuser, s’excuser, mais à ce moment un moment inaccoutumé parut se produire dans la cour du château. Une sonnerie retentit, des hommes couraient, des chevaux étaient sortis des écuries; l’œil perçant de Crébillon vit tout cela.

Sans hésiter, il poussa le chevalier vers le marchepied en disant:

– Leste!… montez, chevalier, montez, pour Dieu!

Machinalement, d’Assas monta; d’Étioles le suivit et Crébillon, après avoir fait un geste au valet qui suivait toujours, son cheval à la main, monta à son tour, après avoir crié au cocher, comme s’il eût été le maître du carrosse:

– Tourne à gauche et fouette… crève tes chevaux s’il le faut, mais marche… marche vite!

Puis, se tournant vers d’Étioles stupéfait, Crébillon le mit en quelques mots au courant de la situation, pendant que le cocher du financier, subjugué par le ton impérieux du poète, lançait ses chevaux à toute allure.

En un clin d’œil, Crébillon eut dressé un plan pour la réussite duquel le concours de d’Étioles était nécessaire.

Celui-ci, nous l’avons raconté en temps et lieu, avait besoin de d’Assas pour la réalisation de ses projets. Il promit donc son concours sans arrière-pensée très heureux, au contraire de rendre un service qui devait lui attirer la reconnaissance du chevalier.