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Quant au roi, voici exactement ce qu’il pensait:

– Voyons jusqu’où ira leur impudence. Évidemment ce damoiseau m’est envoyé par Jeanne pour me retirer toute idée d’aller là-bas pendant le temps de son absence… elle ne sait pas que je connais déjà cette absence!

Et à haute voix, il demanda alors:

– Pourriez-vous me dire, monsieur, de quel genre de danger je suis menacé?

– Je l’ignore, Sire. Mais je puis affirmer à Votre Majesté que le danger est grave.

– Ce danger… il existe… là? dans cette maison?… et non ailleurs?…

– Précisément, Sire!

– Et, sans aucun doute, il est imminent?

– Le mot est exact, Sire: imminent, c’est cela même.

– En sorte que si je m’étais rendu cette nuit même dans la maison en question, peut-être n’en fussé-je pas sorti vivant… puisque vous disiez tout à l’heure que c’était une question de vie ou de mort!

– Pardon, Sire, je répète que j’ignore si on en veut à la vie de Votre Majesté, bien que cela même soit à craindre. Je dis seulement qu’un grave danger menace le roi s’il se rend dans cette maison. Je dis que ce danger est imminent. Les gens qui en veulent au roi, et que je ne connais pas, attendent pour agir la première occasion, ils l’eussent saisie cette nuit même, si elle s’était présentée.

– C’est-à-dire, insista le roi, si je m’étais rendu cette nuit dans la maison des quinconces?

– Oui, Sire, dit d’Assas.

Le roi eut un étrange sourire.

D’Assas, cependant, souffrait cruellement.

Il avait devant lui l’homme qu’aimait Jeanne.

Il remplissait loyalement sa mission, et ne songeait même pas à s’inquiéter de cet air bizarre qu’avait le roi, de cette tranquillité qu’il affectait, de ces questions qu’il lui posait sur un ton sec et nullement avec la gratitude qui eût dû accueillir une révélation de cette importance.

Il jetait sur Louis XV des regards ardents où passait la flamme de sa jalousie.

Et ces regards, le roi les notait, les interprétait à sa façon.

– En somme, reprit Louis XV, vous êtes venu tout exprès du château à l’heure où tout le monde dort pour m’avertir de ne plus retourner à la maison des quinconces?

– C’est cela, Sire! Et si Votre Majesté eût été endormie, j’eusse supplié qu’on la réveillât pour que je pusse lui donner cet avertissement. Car j’avais juré de prévenir le roi sans le moindre retard.

Louis XV garda le silence. En dessous, il jetait parfois les yeux sur le chevalier qui, dans la plus correcte des attitudes, attendait d’être interrogé encore.

Tout autre à sa place eût pu réfléchir sur l’étrange froideur du roi et s’étonner de ne pas recevoir le moindre remerciement.

Mais d’Assas ne songeait à rien de tout cela.

D’Assas souffrait, voilà tout.

Il cherchait avidement sur le visage du roi les traces de cette beauté qui avait pu séduire Jeanne. Et naïvement, il se disait qu’en effet Louis XV était bien beau… plus beau que lui!

Ce sentiment de souffrance et de jalousie devint si vif, si intolérable, que le chevalier, voyant que le roi continuait à garder le silence, oublia toute règle d’étiquette, et, s’inclinant profondément:

– Maintenant que j’ai rempli ma mission, j’oserai supplier Votre Majesté de me donner congé et me permettre de me retirer…

– Un instant, monsieur, fit Louis XV d’une voix narquoise. Nous n’en avons pas fini. L’avertissement que vous nous apportez est vraiment trop important pour que je puisse le traiter à la légère. J’ai donc diverses questions à résoudre et je compte sur les lumières de votre dévouement si manifeste pour m’aider, pauvre roi que je suis, tout entouré d’embûches…

D’Assas tressaillit, et un peu de rouge monta à son front.

Cette fois l’ironie était si évidente qu’il n’y avait pas moyen de n’en pas être frappé.

Mais le jeune homme se contenta de dire très simplement:

– Je suis prêt à répondre aux questions de Votre Majesté autant qu’il sera en mon pouvoir de le faire.

– Voici donc la première, monsieur. Si au lieu d’être le roi j’étais un officier comme vous, monsieur, et qu’un tel secret tombât en ma possession, voici ce que je ferais… en supposant, bien entendu, que je fusse un fidèle et loyal sujet du roi: je m’en irais tout droit trouver le lieutenant de police qui se charge de protéger la personne royale. Comment se fait-il donc, monsieur, que l’idée ne vous soit pas venue de courir tout d’abord chez Berryer?

– C’est bien simple, Sire, dit d’Assas avec une glaciale froideur. C’est parce que je suis officier et non policier.

Le roi se mordit les lèvres.

Il se renversa sur le dossier de son fauteuil et considéra le chevalier avec cette impertinente curiosité qu’il eût mise à considérer un phénomène. Mais ce regard, d’Assas le soutint avec une sorte de simplicité grave.

– Un policier, monsieur! dit le roi dans la voix duquel la colère commençait à gronder. Quand il s’agit du service du roi, tout loyal sujet devient policier.

– Ce n’est qu’une affaire d’appréciation, Sire, dit froidement d’Assas. Pour les uns, le service du roi consiste à faire loyalement son devoir et au besoin à se faire tuer sur les champs de bataille…

– Jusqu’ici, ricana Louis XV, vous êtes vivant et bien vivant.

– Pour d’autres, continua d’Assas imperturbable, le service consiste à préparer des carrosses pour enlever des femmes. Cette manière est celle des policiers. La première, c’est la mienne, – et je la préfère!

À ces mots, le roi se leva, blanc de colère.

Ses lèvres remuèrent comme s’il s’apprêtait à jeter un ordre.

Mais, arrivant à dompter ce mouvement, sans doute parce qu’il ne savait pas tout ce qu’il voulait savoir, il se contenta de hausser les épaules, et laissa dédaigneusement tomber ces mots:

– Vous me paraissez, monsieur, peu au fait de la politesse des cours.

– En effet, Sire, riposta l’intraitable chevalier, je n’ai jusqu’ici vécu que dans les camps.

– Peu importe, après tout. Gardez votre manière de voir et gardez-là si bien qu’on n’en entende plus parler. Répondez donc simplement aux questions que j’ai encore à vous poser.

D’Assas s’inclina. Il sentait de la haine dans l’attitude et l’accent de ce roi qu’il venait sauver.

– Qui vous a prévenu du danger que je courais? reprit Louis XV.

Le chevalier garda le silence.

– Eh bien! monsieur… m’avez-vous entendu? le danger, l’avez-vous découvert tout seul?

– Non, Sire: je n’ai rien découvert, moi.

– Vous êtes donc envoyé par quelqu’un?…

– Oui, Sire. Par quelqu’un qui m’a supplié de courir au château sur l’heure même, pour sauver le roi… et qui m’a supplié avec des larmes dans les yeux… quelqu’un qui mourrait sans doute si un malheur vous arrivait!

Le roi tressaillit.

Ces paroles, le ton mélancolique avec lequel elles furent prononcées, la loyauté qui éclatait sur le noble front du chevalier, la tristesse dont son regard était empreint, tout cela lui donna le sentiment confus de son injustice.

Mais ce sentiment dura peu.