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– C’est bien, je vous crois… Oui, je vois que vous êtes sincère… et bien que les nouvelles que vous me donnez ne soient pas précisément ce que je voudrais qu’elles fussent… je vous remercie du sacrifice que vous faites… je vous remercie des ménagements que vous avez mis à me communiquer cette nouvelle douloureuse… Encore un mot, je vous prie… je vous tiendrai quitte après… l’état dans lequel se trouve Mme d’Étioles ne proviendrait-il pas de mauvais traitements?…

– Non, non, dit vivement Juliette, ne croyez pas cela… Mme d’Étioles a été traitée avec tous les égards qu’elle méritait…

– Peut-être alors la séquestration qu’on lui imposait…

– Ce n’est pas cela non plus… Elle n’a pu se rendre compte de rien… le mal l’a foudroyée pour ainsi dire.

– C’est donc un mal subit qui s’est abattu sur elle?

– Je vous l’ai dit… un mal foudroyant.

– Résultat d’une émotion violente? dit à son tour Crébillon.

La comtesse fit de la tête un signe affirmatif. Ce geste fut accompagné d’un coup d’œil expressif comme pour dire au poète qu’elle ne s’expliquait pas plus clairement afin d’éviter une douleur cuisante au jeune homme.

D’Assas, plongé dans des réflexions douloureuses, n’avait rien remarqué, et poursuivant son idée il demanda encore une fois:

– De quand date cette maladie foudroyante?…

– Mme d’Étioles a été terrassée par le mal le lendemain du jour où vous l’avez quittée.

– Ah! fit d’Assas dont l’œil s’illumina soudain, est-ce que…?

Juliette devina ce qu’il pensait et, pour la deuxième fois, elle murmura avec un accent de commisération profonde:

– Pauvre petit!…

– Ce n’est pas cela! dit d’Assas très naturellement et comme s’il avait exprimé tout haut sa pensée, tant il était sûr qu’elle avait compris. Quelle est donc alors la cause de ce mal subit?… Car, enfin, si ce n’est le résultat d’un crime, il doit y avoir une cause réelle… si vous la connaissez, parlez sans crainte… je vous répète que je suis fort… je peux tout entendre.

– Vous le voulez donc?…

– Je vous en prie.

– Eh bien, Mme d’Étioles est tombée foudroyée dès l’instant où on lui a prouvé que… le roi… rendait visite nuitamment à… une autre femme.

– Ah! fit sourdement d’Assas, qui à son tour étreignit sa poitrine à deux mains.

Juliette le regardait avec une commisération infinie, pendant que Crébillon grommelait:

– Diable! diable!… voilà que les choses se gâtent pour mon jeune amoureux.

D’Assas cependant s’était remis et, bien que le coup eût été rude et imprévu, il avait pu, par un prodige de volonté, retrouver son calme et son impassibilité.

Aussi ce fut d’une voix où ne perçait nulle émotion qu’il dit à son tour:

– Quoi qu’il en soit, Mme d’Étioles est hors de danger pour le moment… c’est l’essentiel…

Maintenant, madame, nous vous écoutons et, quoi que ce soit que vous ayez à nous dire, soyez assurée que vous avez acquis des droits à ma reconnaissance et que vous trouverez en moi un auditeur disposé à se montrer aussi indulgent que vous vous êtes montrée doucement maternelle dans vos abnégations.

Ces paroles produisirent sur la comtesse une impression douce et encourageante dont elle avait besoin sans doute, car elle leva sur celui qui lui parlait un regard vaguement étonné où se lisait cependant une infinie tendresse et une reconnaissance sans bornes.

Et d’une voix brisée, baissant la tête pour cacher sa rougeur, elle raconta toute son existence, depuis ses premières années, en passant par la vie de débauches et d’expédients qu’elle menait rue des Barres.

Elle raconta comment M. Jacques était venu la chercher là, quel avenir prestigieux il avait fait luire à ses yeux éblouis, et comment il avait su l’entraîner par ses offres merveilleuses, par ses tentations savantes, comment elle avait succombé à ces tentations, comment elle était devenue comtesse du Barry et comment elle avait débuté dans ce rôle, au bal de l’Hôtel de Ville, ainsi que les paroles prophétiques prononcées par Saint-Germain dans cette soirée inoubliable pour elle.

Elle dit la conspiration ourdie contre Mme d’Étioles et comment en achetant la complicité de Suzon, de Nicole et des filles de service de la petite maison du roi, elle put s’introduire dans la place, éloigner sa rivale, prendre sa place et la supplanter dans les faveurs du roi; comment elle fut de nouveau tentée par le diabolique M. Jacques à son retour de la prison; comment cet homme sut souffler sur la colère qui bouillonnait en elle, attiser la haine et la jalousie; se servir, en les poussant à leur paroxysme, de tous les sentiments mauvais qui fermentaient dans son cœur pour l’amener à commettre la mauvaise action qui devait perdre irrémédiablement et du même coup d’Assas et Mme d’Étioles dans l’esprit du roi.

Elle fit le récit de la nuit épouvantable qu’elle passa à la suite de cette mauvaise action.

Elle dit le chagrin ressenti, les remords dont elle était envahie au moment où d’Assas lui était apparu et comment sa vue fixa toutes ses irrésolutions et la décida à sauver coûte que coûte celui qu’elle avait voulu perdre la veille; comment les exhortations du poète frappèrent vivement son esprit et comment, ces exhortations lui rappelant les paroles du comte de Saint-Germain, elle résolut de tenter la démarche qu’elle faisait, de renoncer à la lutte dans laquelle on l’avait engagée, de partir, de se faire oublier et de racheter ses fautes passées en se sacrifiant elle-même à son amour, en consacrant enfin sa modeste fortune à élever dignement sa petite sœur.

– Maintenant que vous savez tout, dit-elle en terminant, jugez-moi… et ne soyez pas trop sévère… Il me reste encore à vous apprendre où se trouve Mme d’Étioles et…

À ce moment la porte s’ouvrit violemment et Jean fit irruption dans la pièce en disant d’une voix étranglée:

– Alerte!… monsieur le chevalier, on vient vous arrêter!…

Ces paroles produisirent l’effet d’un coup de foudre.

La comtesse devint pâle comme une morte et fut saisie d’un tremblement nerveux.

D’Assas et Crébillon échangèrent à son adresse un rapide et significatif coup d’œil.

Le poète murmura entre haut et bas:

– Ah! les femmes!… les femmes!… quelles comédiennes!… Celle-ci paraissait pourtant bien sincère… et je crois, corbleu! qu’elle avait réussi à m’émouvoir…

D’Assas, lui, dit tout haut à Juliette qui le regardait avec des yeux démesurément hagards:

– Mes compliments, madame… vous avez admirablement joué votre rôle… Je me disais aussi: Est-il possible qu’une créature humaine ait tant de dévouement et d’abnégation? Évidemment c’est trop beau…

– Que voulez-vous dire, balbutia Juliette éperdue.

– Que, n’ayant pas voulu me livrer lorsque je me trouvais chez vous, pour des raisons qui m’échappent, vous êtes venue jouer ici une infâme comédie, pour donner le temps à votre acolyte, le comte du Barry, de venir me saisir…

– Le comte du Barry? interrogea la malheureuse qui sentait la folie l’envahir…

– Lui-même, madame, lui qui commande les soldats qui viennent ici… Voyez plutôt!