D’Assas, en parlant, s’était approché de la fenêtre et avait pu voir le comte qui paraissait, sinon commander, du moins diriger une troupe de soldats sous les ordres d’un officier.
D’un bond la jeune femme fut près de lui et s’assura par elle-même qu’il ne se trompait pas.
Elle passa sa main sur son front où perlait une sueur froide et murmura, terrifiée:
– Le comte!…
– En personne, madame… mais, vrai Dieu! il ne me tient pas encore, et puisque la correction que je lui ai administrée ne lui suffit pas…
– Et vous croyez que c’est moi qui l’ai amené ici?… moi?… dit Juliette avec une douloureuse indignation.
Sans répondre, d’Assas tourna le dos et alla chercher son épée et ses pistolets posés sur une chaise.
La comtesse ne trouva pas un mot de protestation.
Cette accusation imprévue l’assommait littéralement.
Elle sentait vaguement, du reste, que cette extraordinaire intervention de celui dont elle portait le nom, au moment précis où elle se trouvait chez d’Assas, devait paraître louche et qu’il lui était impossible de se justifier pour le moment.
Que dire, en effet?
Par un sentiment de délicatesse qui se tournait maintenant contre elle, elle avait, dans le long et douloureux récit qu’elle venait de faire, volontairement omis de citer aucun nom.
Elle voulait bien renoncer à la lutte, mais elle ne voulait pas paraître dénoncer et livrer ceux qui l’avaient engagée et soutenue dans cette lutte.
Écrasée de honte et de douleur devant cette soudaine et irréfutable accusation, elle poussa un soupir douloureux et s’affaissa évanouie sur le parquet.
Sans s’occuper d’elle, d’Assas examinait froidement ses armes.
Mais le valet, Jean, qui paraissait trépigner d’impatience, lui dit:
– Vite, monsieur le chevalier, suivez-moi…
– Et où cela, mon ami? demanda le chevalier assez étonné.
– Vous le verrez… mais, pour Dieu, dépêchons, monsieur; dans quelques secondes il sera trop tard… Monsieur de Crébillon, tâchez de gagner quelques minutes, je réponds de tout…
Jean parlait avec une telle assurance que le poète, gagné par cette confiance, répondit:
– Allez, chevalier, allez vite… Je me charge de retenir pendant quelques instants ceux qui vous cherchent.
– Venez, monsieur, suivez-moi, reprit Jean.
– Soit, répondit d’Assas, qui, sans plus discuter, s’élança à la suite du valet de Saint-Germain qui lui montrait le chemin.
Quelques instants plus tard, le poète entendait des pas nombreux dans l’escalier, et la voix de l’hôtelier, qui, tremblant de frayeur, disait, d’ailleurs avec la plus entière bonne foi, car il n’avait jamais vu d’Assas:
– Mais, monsieur l’officier, je vous jure que la personne que vous cherchez ne loge pas chez moi.
– C’est ce que nous allons voir, répondait une voix… Je vais fouiller la maison, je verrai bien si vous dites vrai…
– Ah! Seigneur! quelle aventure!… geignait l’hôtelier.
Crébillon n’en écouta pas davantage et, jugeant le moment venu d’intervenir, il ouvrit la porte et demanda avec son plus gracieux sourire:
– Qu’y a-t-il donc?… D’où vient tout ce vacarme?
L’officier s’avança et dit, après avoir consulté d’un coup d’œil le comte du Barry, qui répondit par un signe de tête négatif:
– Monsieur, nous recherchons M. le chevalier d’Assas pour l’appréhender au corps… J’ai reçu l’ordre de fouiller cette maison… Permettez-nous donc de pénétrer chez vous et de nous assurer que celui que je cherche n’y est pas…
J’ajoute, d’ailleurs, qu’au cas où cette visite ne vous conviendrait pas, je me verrais contraint, à mon grand regret, de me passer de votre permission…
– À Dieu ne plaise, monsieur, qu’il me vienne à l’idée d’empêcher un loyal officier de Sa Majesté d’exécuter sa consigne… Celui que vous dites n’est pas chez moi… Entrez, monsieur, et assurez-vous-en par vous-même… accomplissez votre mission…
L’officier, voyant que cet inconnu s’exprimait comme un homme de qualité et en sujet docilement soumis aux ordres de son roi, s’inclina très poliment, et sans doute avait-il des instructions précises, car il s’effaça devant du Barry qui entra le premier.
Pendant ce temps, la comtesse, remise de son évanouissement, s’était traînée vers un fauteuil dans lequel elle s’était assise, ses jambes refusant de la soutenir.
La première personne que du Barry vit en mettant le pied dans la chambre, fut donc la comtesse, qui le regardait s’approcher avec des yeux où se lisaient la terreur et l’angoisse.
À la vue de la comtesse, du Barry tressaillit violemment et, sans dire un mot, s’approchant d’elle vivement, il se plaça devant elle de façon à la masquer le plus possible.
De son côté, la jeune femme, soit par crainte réelle, soit qu’elle eût compris l’intention du comte, avait enfoui son visage dans son mouchoir et pleurait silencieusement.
En sorte qu’il eût été impossible à l’œil le plus perçant de pénétrer les traits de la femme qui pleurait dans ce fauteuil.
L’officier, à qui cette manœuvre avait échappé, avait du premier coup d’œil aperçu la jeune femme et il en avait conclu que sa visite intempestive venait interrompre un duo d’amour.
Aussi, jetant sur le poète un coup d’œil égrillard, il dit avec un sourire entendu et un furtif coup d’œil à l’adresse de la comtesse:
– Excusez-moi, monsieur, mais ma consigne est rigoureuse et formelle… Néanmoins, j’abrégerai autant qu’il sera en mon pouvoir et vous laisserai continuer votre… entretien…
Crébillon s’inclina à son tour et, toujours aimable, répondit:
– Faites ce que vous avez à faire.
Discrètement, l’officier, pendant que ses hommes fouillaient partout, affecta de ne pas remarquer la présence de cette femme.
La visite terminée, l’officier allait se retirer, lorsque du Barry s’approcha de lui et lui dit à voix basse quelques mots qui parurent le surprendre.
Néanmoins, il s’inclina devant l’ordre qu’on venait de lui donner, et, s’adressant à Crébillon, il dit:
– Encore une fois, monsieur, excusez la rigueur des ordres que je suis chargé de faire exécuter… Je dois laisser deux sentinelles dans cette chambre, pendant que nous continuerons ailleurs nos recherches… Jusque-là, vous êtes mon prisonnier… Mais rassurez-vous, cette détention sera de courte durée…
Assez étonné et vaguement inquiet, le poète répondit néanmoins avec un calme apparent:
– Je suis à vos ordres, monsieur.
L’officier, après avoir fait un signe à deux hommes, sortit, suivi de du Barry et de toute sa troupe, et pendant qu’ils se faisaient ouvrir toutes les portes par l’hôte toujours geignant, pendant qu’ils visitaient minutieusement toutes les pièces, sondaient les matelas, regardaient sous les lits, fouillaient les armoires, et enfin inspectaient les combles et les caves dans tous leurs coins et recoins, les deux soldats restés dans la chambre s’étaient placés, l’arme au bras, l’un devant la porte, l’autre devant la fenêtre, et par leur présence empêchaient toute conversation entre le poète et Juliette.
Enfin, après avoir fouillé la maison de fond en comble, Crébillon entendit l’officier qui disait: