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Ce ne fut qu’arrivée à destination qu’elle s’aperçut que son compagnon l’avait conduite dans la maison de la ruelle aux Réservoirs, alors qu’elle pensait qu’il allait la reconduire dans la petite maison des Quinconces.

Elle fut surprise, mais non inquiète…

Quelle crainte pouvait-elle avoir?

Que pouvait-on tenter contre elle?

Elle se savait indispensable.

En effet, qu’on la fît disparaître ou qu’elle se retirât volontairement de la lutte, et tout croulait pour du Barry comme pour M. Jacques.

Elle pensait donc non sans raison qu’elle était à l’abri de toute violence parce qu’on avait trop besoin d’elle, et la mort, au surplus, ne l’effrayait pas, tant elle avait de douleur et de désespoir au fond du cœur.

Mais si elle supposait qu’on ne tenterait aucune violence à son égard, elle comprenait en revanche qu’elle allait essuyer un rude assaut et, sans doute, être durement réprimandée par le comte ou, ce qui l’effrayait davantage encore, par M. Jacques.

Non pas qu’elle eût vis-à-vis de ce maître la même terreur, la même crainte superstitieuse qu’elle avait précédemment…

Mais elle ne se sentait pas assez sûre d’elle-même, elle ne se sentait pas suffisamment affermie dans ses résolutions.

Et, ayant appris à connaître la force de persuasion de ce terrible maître qui broyait une âme et façonnait une volonté à sa guise, elle craignait que par des moyens inconnus il n’arrivât à la persuader, à la faire renoncer à ses projets et à la ramener docile et obéissante dans la voie où il la voulait.

Cette pensée lui faisait courir des frissons le long de l’épiderme.

Du Barry l’avait fait entrer dans le pavillon du milieu, celui qui était occupé par M. Jacques et où nous n’avons eu que rarement l’occasion de pénétrer.

Après avoir traversé une antichambre déserte et simplement garnie de quelques sièges, le comte l’avait fait entrer dans une pièce assez spacieuse et élégamment meublée.

Cette pièce possédait une vaste fenêtre dont les rideaux étaient soigneusement tirés et, en outre de la porte par où ils venaient de pénétrer, presque en face, une portière rabattue dissimulait une porte qui donnait dans une autre pièce ainsi masquée.

Le comte, après avoir fermé la porte derrière lui, lui fit signe de s’asseoir, et elle eut un soupir de soulagement en constatant que celui en face de qui elle craignait de se trouver, M. Jacques, n’y était pas.

Mais à peine s’était-elle assise que la portière dont nous avons parlé se soulevait et que M. Jacques entrait paisiblement.

M. Jacques s’approcha d’un pas égal et lent, s’assit confortablement, sortit sa tabatière de sa poche, huma une prise et, de l’œil, interrogea du Barry qui, en réponse à cette question muette, répondit avec une rage concentrée:

– Rien, monseigneur.

D’un coup sec, M. Jacques ferma la tabatière avec laquelle il jouait machinalement.

Ce fut, d’ailleurs, la seule manière dont se manifesta sa contrariété, et il demanda avec un calme absolu:

– Êtes-vous arrivé trop tard?… Ou bien nos renseignements étaient-ils inexacts?

– Je ne saurais dire… Suivant vos instructions je n’ai posé aucune question à madame… Quant au reste, j’ai vainement fouillé de fond en comble la maison signalée… C’est à n’y rien comprendre.

– Bien! fit M. Jacques, qui, se tournant alors vers la comtesse, lui dit avec beaucoup de calme et d’un air presque dégagé, comme s’il n’eût attaché aucune importance à ce qui venait de se passer:

Eh bien, mon enfant, malgré mes avertissements réitérés, malgré mes conseils salutaires, malgré tout enfin, vous avez donc voulu revoir ce petit d’Assas?

– Oui, monsieur, répondit Juliette avec fermeté et résolution.

– Vous avouez!… dit du Barry pâle de colère.

Juliette le toisa d’un air méprisant et, sans lui répondre un seul mot, fit pirouetter le fauteuil dans lequel elle était assise, de manière à lui tourner complètement le dos, manifestant ainsi clairement sa ferme résolution de ne pas discuter avec cet allié de la veille qu’elle considérait maintenant comme un adversaire.

En même temps, elle faisait face à M. Jacques, résolue à lutter énergiquement et au besoin à prendre une vigoureuse offensive.

– Madame… hurla le comte exaspéré par cette impertinente attitude.

Mais un froncement de sourcils du maître calma cette colère comme par enchantement et arrêta sur ses lèvres la menace prête à jaillir.

– Vous avez, il y a quelques jours, reprit M. Jacques toujours impassible en s’adressant à la jeune femme, vous avez laissé fuir ce d’Assas qui s’était introduit chez vous pour échapper à ceux qui le poursuivaient…

– Vous savez cela? demanda Juliette avec un calme parfait.

– Je vous ai déjà dit une fois que je savais tout… Vous avez commis là, mon enfant, une lourde faute.

– Il fallait donc le livrer alors qu’il s’était réfugié chez moi?…

– Oui! dit nettement M. Jacques… On se débarrasse d’un ennemi dangereux par n’importe quel moyen…

– M. d’Assas n’est pas mon ennemi.

– C’est le nôtre, dit du Barry qui ne se possédait plus et que la colère étouffait.

– Le vôtre peut-être, reprit froidement la comtesse, mais vos ennemis ne sont pas les miens.

– Le pacte qui nous lie, reprit violemment du Barry, vous impose de considérer comme…

Pour la deuxième fois M. Jacques intervint et, interrompant le comte, il dit:

– Vous avez aggravé cette première faute en essayant de revoir celui que vous aviez laissé échapper… Si cette démarche, que vous avez tenté inconsidérément, je veux le croire, venait à être connue du roi, tout serait perdu…

– Eh! que m’importe!

– Mais il nous importe beaucoup à nous, dit du Barry qui ne pouvait se maîtriser.

La comtesse haussa dédaigneusement les épaules.

– Si encore vous aviez réussi à trouver ce d’Assas, reprit M. Jacques toujours aussi calme que du Barry était exaspéré, mais non… le comte a vainement fouillé la maison sans le trouver… Vous vous êtes donc exposée inutilement…

– Qu’en savez-vous?

– Auriez-vous vu le petit chevalier?

– Oui, dit nettement Juliette en le regardant bien en face. M. Jacques jeta sur du Barry un coup d’œil qui fit frémir celui-ci malgré toute son audace.

– Cette femme ment assurément, dit-il… J’ai fouillé minutieusement la maison et je réponds…

– Cela prouve, dit Juliette avec un calme déconcertant, que celui que vous cherchiez n’y était plus… tout simplement.

– Ah! je vais… dit le comte simplement.

La comtesse encore une fois haussa les épaules.

M. Jacques, qui ne la quittait pas des yeux, dit:

– Inutile, mon cher comte, il doit être loin maintenant…

– En effet, reprit froidement Juliette, vous perdrez inutilement votre temps… M. d’Assas est maintenant à l’abri…

– Mais enfin, reprit M. Jacques, qu’espérez-vous de ce d’Assas… après l’accueil qu’il vous a fait une fois déjà.

– Je n’espère rien… Je l’aime…