– Aimez qui bon vous semble, interrompit encore du Barry, mais observez les conditions du contrat qui nous lie… si vous voulez que nous les observions de notre côté… et la première de ces conditions est l’obéissance passive aux ordres qui vous sont donnés…
– J’aime M. d’Assas, reprit imperturbablement la jeune femme, et je ne veux pas qu’on touche à un cheveu de sa tête… je ne veux pas qu’il soit inquiété d’aucune façon…
– Vous ne voulez pas? dit lentement M. Jacques en appuyant sur chaque syllabe.
– Je ne veux pas, répéta de nouveau Juliette en insistant à son tour.
– Ah! fit froidement M. Jacques.
Et, pour se donner le temps de réfléchir, il reprit sa tabatière dans laquelle il puisa machinalement. Puis il reprit:
– Et, dites-moi, quel était le but de votre visite?
– Prévenir M. d’Assas de ce qui se trame contre lui, le mettre sur ses gardes… en lui disant tout.
– Vous avez fait cela? dit M. Jacques dont l’œil lança un éclair.
– Je l’ai fait!…
– Misérable!… hurla du Barry au comble de l’exaspération…
– En sorte, reprit M. Jacques, qu’à l’heure actuelle ce petit d’Assas nous connaît tous…
– Entendons-nous bien, dit Juliette; j’ai prévenu M. d’Assas qui maintenant se gardera soigneusement… mais je n’ai nommé personne… je ne suis pas une délatrice…
M. Jacques respira, car il ne doutait pas de la sincérité de cette femme qui lui tenait si résolument tête.
Il reprit pourtant:
– Et vous n’avez pas craint de vous mettre contre nous en nous trahissant ainsi que vous l’avez fait?…
– Je n’ai fait que suivre votre exemple, dit vivement Juliette… Qui donc a été circonvenir M. d’Assas avant la démarche que j’ai faite près de lui au château?… Vous!
Qui m’a dépeinte à lui comme une ennemie mortelle et acharnée?… Vous encore!
Qui lui a fait accroire que j’étais le bourreau de… de… Mme d’Étioles?… Vous, toujours, toujours vous!
Et tenez, maintenant que j’y réfléchis… ce baron de Marçay de garde aux prisons… ce misérable qui a exigé de moi que je me livrasse à lui pour m’autoriser à voir le prisonnier… ce lâche qui s’est arrangé de manière à me faire surprendre chez lui, dans une tenue qui ne pouvait laisser aucun doute sur ce qui venait de se passer… qui me dit qu’il n’a pas agi aussi vilement sur vos ordres à vous?… car je sais bien que vous détenez un pouvoir immense.
Et pourquoi vous acharnez-vous ainsi après d’Assas?…
Parce que je l’aime… parce que vous craignez que cet amour que je proclame ne me fasse renoncer au rôle honteux que j’ai passivement joué jusqu’à ce jour.
Parce que, si cela était, ce serait l’écroulement de projets ténébreux, mais que je devine formidables et que je serais chargée, moi votre créature, de faire aboutir.
Parce que vous vous êtes dit qu’en supprimant d’Assas, vous supprimeriez mon amour et que je resterais ce que j’ai été jusqu’ici: un instrument docile dans votre main puissante.
Voilà pourquoi vous avez essayé d’abord de faire sombrer cet amour dans la haine, par le désespoir et la jalousie, en me montrant vil et méprisable aux yeux de celui que j’aimais.
Ah! sur ce point vous avez pleinement réussi!… Jamais pauvre créature ne fut aussi méprisée que je le suis de celui que j’aime.
Mais, malgré tout, mon amour a résisté et subsiste encore plus fort que tout… et alors vous vous êtes dit que, puisque le mépris et les injures même de celui que j’aime n’arrivaient pas à le déraciner de mon cœur, il n’y avait qu’à supprimer l’objet de cet amour.
Eh bien, moi, je le défends, celui que j’aime… et je défends qu’on y touche, et ne me parlez pas de trahison, puisque vous-même m’avez trahie tout le premier.
M. Jacques avait écouté cette sorte de réquisitoire avec un étonnement qui allait croissant et aussi une sorte d’admiration pour cette passion sincère.
Du Barry, au contraire, ne s’était contenu que sur les signes impératifs que lui faisait le maître qui se décida enfin à répondre par une question:
– Après une déclaration aussi nette et aussi franche, je vous demanderai, néanmoins, si vous consentirez à me dire où s’est réfugié d’Assas?
– Vous me tueriez que je ne parlerais pas… d’ailleurs j’ignore où s’est réfugié le chevalier.
– Oui… je pensais bien que vous ne parleriez pas… ma question n’a été posée que pour la forme… En sorte que votre amour est profond et sincère et que vous lui sacrifierez tout?…
– Sans hésiter!…
– Eh bien, ma chère enfant, puisqu’il en est ainsi, aimez donc librement… je ne m’y oppose pas…
Du Barry, à ces mots, dressa l’oreille et regarda son maître avec inquiétude.
Juliette, devenue méfiante, attendait que son adversaire s’expliquât nettement.
– Oui, continua M. Jacques, aimez et faites-vous aimer… si vous pouvez… Je renonce à inquiéter M. d’Assas et je vous promets formellement de ne plus m’occuper de lui… Il vivra libre et en paix… à une seule et unique condition…
– Voyons la condition, dit Juliette toujours sur ses gardes.
– C’est que vous obéirez comme par le passé aux ordres que je vous donnerai…
– Et si je refuse?…
– Alors, ma chère enfant, dit froidement M. Jacques, je me verrai contraint de faire parvenir entre les mains du roi certaine déclaration que vous avez écrite entièrement de votre main et dans laquelle vous reconnaissez quel est votre nom, quel fut votre métier et avouez que ce fut par suite d’un vol de papiers que vous avez pu vous faire passer pour une dame de noblesse.
Juliette haussa légèrement les épaules et répondit:
– Vous ne ferez pas cela.
– Je ne le ferai pas?… Qui m’en empêchera?…
– Votre propre intérêt… Si vous me dénoncez, le roi me chasse honteusement, il est vrai… mais vos projets à vous… ces projets que je n’ai pu encore faire aboutir, car je ne suis pas favorite toute-puissante… vos projets tombent du même coup… tous vos plans sont détruits…
Vous voyez donc bien que vous ne ferez pas cela… Cette menace arrive trop tôt… je ne vous ai pas encore rendu les services que vous attendez de moi.
– Soit, dit M. Jacques, qui se mordit les lèvres en voyant que décidément il avait affaire à forte partie; soit, je renoncerai à mes projets… je chercherai un autre instrument, s’il le faut… mais vous, vous serez perdue…
– Ah! si vous saviez combien il m’importe peu!…
– Songez-y, ce n’est pas seulement la perte d’une situation unique… c’est peut-être l’échafaud qui vous attend… Qui sait comment le roi prendra la mystification que vous lui aurez infligée…
– L’échafaud ne m’effraye pas… j’ai fait le sacrifice de ma vie…
– Vous renoncez à la faveur du roi?
– Je renonce à tout… Si vous m’aviez laissée parler, je vous aurais dit que je veux reprendre ma liberté… que je renonce à ce titre de maîtresse du roi… que vous ne devez plus compter sur moi pour continuer le rôle que j’ai joué jusqu’à ce jour… que je veux désormais vivre modestement, ignorée de tous dans un coin obscur… Vous vous seriez évité l’ennui d’une menace inutile puisqu’elle est sans effet.