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– Vous renoncez à tout?… même quand je vous dis que je ne m’oppose pas à votre amour pour ce d’Assas, pourvu…

– Je n’obéirai plus à vos ordres… Je ne serai plus la maîtresse du roi, parce que la maîtresse du roi est méprisée de celui que j’aime et que je ne peux pas, je ne veux pas supporter ce mépris… À défaut de tout autre sentiment, je veux du moins conquérir l’estime… dussé-je sacrifier ma vie pour cela.

– C’est autre chose, en effet… Eh bien, vous aviez raison, j’ai menacé prématurément… Aimez ou n’aimez pas M. d’Assas, peu m’importe… Je réitère mon offre… continuez le rôle que vous avez joué jusqu’à ce jour… servez-moi fidèlement et docilement; en échange je tiendrai toutes les promesses que je vous ai faites et M. d’Assas ne sera plus inquiété, je vous le jure… Acceptez-vous?…

– Non!… Je vous l’ai déjà dit, je suis lasse… j’aspire à vivre modestement, oubliée de tous…

– Eh bien, écoutez:

Il ne me convient pas, après tous les sacrifices que j’ai faits, que vous désertiez votre poste… Vous m’obéirez donc… je le veux… ou sinon… j’en jure Dieu… avant huit jours M. d’Assas est un homme mort…

Choisissez: obéir, et j’épargne celui que vous aimez; désobéir, et je le sacrifie implacablement… J’admets que vous ayez fait le sacrifice de votre vie… nous verrons bien si vous irez jusqu’à sacrifier aussi bénévolement l’existence de celui que vous dites aimer.

Juliette frémit, tant ces paroles avaient été dites avec une froide et terrible résolution.

Néanmoins, elle se raidit et tint tête:

– M. d’Assas est en lieu sûr et il échappera à vos coups… Quant à moi, je suis en votre pouvoir… faites de moi ce que vous voudrez…

– Eh! il s’agit bien de vous… que m’importe à moi votre vie ou votre mort, si vous ne m’êtes utile… Réfléchissez… je vous donne deux jours… Si d’ici là vous n’avez fait votre soumission, d’Assas sera sacrifié… et c’est vous qui l’aurez tué…

– Jamais… Je vous dis, moi, qu’il échappera à vos coups…

– Misérable folle! dit M. Jacques d’une voix terrible… tu crois cela?… Et je te dis, moi, que je n’ai qu’à fermer cette main que voilà pour l’écraser…

En disant ces mots, il avait, dans un mouvement de colère d’autant plus effrayant qu’il contrastait étrangement avec ses allures, généralement calmes et paisibles, saisi la jeune femme par le poignet et serrait ce poignet à le briser.

Ils étaient là: du Barry, le visage apoplectique, couleur lie de vin, tourmentant nerveusement la poignée de son épée.

Elle, pâle et défaillante, les traits convulsés par la douleur.

M. Jacques, la face contre sa face, l’œil terrible et flamboyant, lui broyant le poignet qu’il tenait toujours, sans qu’elle tentât d’échapper à l’étreinte.

À ce moment précis, comme la foudre tombant au milieu de ces trois personnages, une voix jeune et claironnante dit soudain:

– Eh bien, fermez donc cette Main puissante… voici celui qu’elle doit écraser… mais, en attendant, ouvrez celle que voici et laissez cette femme que vous maltraitez…

Les trois personnages restèrent quelques secondes pétrifiés par des sentiments différents.

Celui qui venait d’apparaître d’une manière aussi imprévue, au moment même où sa vie se jouait, et qui déjà parlait haut:

C’était d’Assas lui-même.

XXVI LE TRAQUENARD

D’Assas, avons-nous dit, avait suivi Jean.

Celui-ci, d’après les instructions de Saint-Germain, son maître, à qui il était dévoué jusqu’à la mort, veillait fidèlement et avait préparé les voies en cas d’alerte.

Il conduisit d’Assas droit au grenier et par une petite lucarne le fit passer sur le toit d’un corps de bâtiment contigu et de là dans le grenier de ce corps de bâtiment.

De ce grenier ils purent voir les soldats qui s’éloignaient bredouilles, et quelques instants plus tard du Barry lui-même qui emmenait la comtesse.

Aussitôt d’Assas avait dépêché Jean vers Crébillon pour le rassurer, tandis que lui-même s’élançait sur les traces du comte.

C’est ainsi qu’après avoir mis Lubin, qui était venu lui ouvrir, hors d’état de nuire, il put pénétrer dans l’antichambre déserte, surprendre une bonne partie de la scène qui se déroulait entre Juliette, M. Jacques et du Barry, et enfin intervenir au moment opportun.

En reconnaissant celui qui lui parlait avec cette tranquille assurance, M. Jacques avait lâché le poignet de la comtesse et s’était vivement reculé de deux pas, ce qui le rapprochait de la porte masquée par une portière.

Du Barry, d’un geste de fauve, avait instantanément mis l’épée à la main.

La comtesse avait joint les mains avec terreur, car elle pensait que le chevalier ne sortirait pas vivant de ce repaire où il avait eu la témérité de s’engager.

Tous les trois, avec des intonations différentes, lancèrent la même exclamation:

– D’Assas!

– Moi-même, messieurs, dit d’Assas en souriant ironiquement; vous parliez de moi, je crois… Vous disiez des choses fort intéressantes… Continuez, je vous prie… Quoi! ma présence vous trouble à ce point?…

M. Jacques fit encore quelques pas qui le rapprochèrent de la portière.

Du Barry tourmentait son épée, mais comme d’Assas avait un pistolet dans chaque main, il n’osait intervenir.

Seule, la comtesse n’avait pas bougé et murmurait:

– Le malheureux!… il est perdu!…

– Rassurez-vous, madame, dit d’Assas qui avait entendu; ces messieurs ne me tiennent pas encore!

Puis à M. Jacques qui se rapprochait toujours de la portière et qu’il surveillait du coin de l’œiclass="underline"

– Monsieur, je vous prie, ne bougez pas… nous avons à nous expliquer ensemble… et il me paraît que vous semblez vouloir fuir cette explication… ne bougez pas… si vous faites un pas de plus vers cette portière, je vous abats proprement… avant que vous ayez pu fermer cette main qui doit m’écraser… Quant à vous, comte, ne tourmentez pas ainsi votre épée… je vous avertis charitablement qu’au moindre mouvement suspect de votre part je tire… et je passe pour un assez bon tireur…

Cependant M. Jacques s’était remis.

À l’avertissement de d’Assas, il répondit avec un calme apparent:

– Vous vous trompez, jeune homme, je ne cherche pas à fuir… Cette pièce, derrière cette portière, n’a pas d’autre issue que celle-ci… il me serait donc impossible de fuir par là… vous pouvez vous en assurer vous-même…

– Oui-da!… voyez-vous cela… Madame, vous à qui je dois tant déjà, oserai-je vous prier de tirer cette portière et vous assurer si ce que monsieur dit est vrai?… pas un geste, pas un mouvement, messieurs ou je tire…

Juliette s’était levée, avait tiré la portière comme on le lui demandait, était entrée dans la pièce et en ressortait presque immédiatement en disant:

– C’est vrai… pas d’autre porte que celle-ci…

– Parfait!… je vous rends mille grâces, madame… Et avant de m’occuper de ces messieurs, laissez-moi vous demander pardon, encore une fois, de vous avoir soupçonnée… mais mettez-vous à ma place… j’ai tout entendu, madame… pour le moment je ne puis vous dire qu’une chose: