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A l’abri des regards indiscrets, j’ôte mon veston et l’ouvre sur le canapé.

Mon crapaud est là, impec : croco avec coins en or (un cadeau de ma Félicie au dernier Noël). Mais, derrière cet étui à flouze, s’en trouve un second, extra-plat, en cuir bordeaux qui ressemble à celui d’un petit peigne de fouille.

A l’intérieur, se trouve une plaquette de métal de dix centimètres sur trois, percée de trous. Ceux-ci sont ronds, carrés ou triangulaires et disposés irrégulièrement. Il y en a neuf en tout.

J’examine longuement cette chose sans parvenir à lui trouver une signification. Elle est en acier flexible et ne comporte aucune inscription.

Qui a glissé cette plaque dans ma poche ? Le steward de cabine ? Un voyageur en me croisant dans le couloir ? On est souvent obligé de se frotter le bide pour passer.

Au bout d’un instant de noble méditance, je fourre l’objet sous la doublure de ma valise Vuitton, après y avoir pratiqué une encoche, me promettant d’y revenir plus tard.

VENDREDI

Vienne, 18 h 16

On reste un bon moment en gare de Vienne. A peine nous sommes-t-on arrêtés qu’une délégation de la Sûreté vient me visiter, sous la conduite du chef de train. Deux messieurs relativement sympas, en manteaux longs évoquant la belle époque de la gestape et feutres à larges bords d’ailes[2]. Eux aussi souhaiteraient me faire descendre pour que j’aille leur raconter ma vie aventureuse dans un bureau bien chauffé, mais je les envoie fermement aux bains turcs (nous sommes dans la bonne direction pour nous y rendre). J’invoque des noms, je me prévaux (d’armes) de ma fonction, mentionnne les relations diplomatiques franco-autrichiennes, tout ça bien, qu’enfin, ils me lâchent les baskets à leur tour, et qu’ouf ! me revoici peinard.

Mais ma tranquillité est de courte durée. Re-toc-toc ! Entrez ! Une délégation de voyageurs, conduite par la dame en blanc qui m’effusionnait naguère, est là, bouches en issue d’œufs, qui m’apportent un cadeau pour me montrer leur gratitude. Il s’agit de deux cravates et d’un superbe album consacré à l’Orient-Express achetés au wagon-boutique.

Il est infréquent, de nos jours, que tes contemporains extirpent trois balles de leur poche pour t’exprimer leur reconnaissance. Emu, j’accepte les présents, serre les louches, dis ma vive émotion, et la troupe se retire, me laissant la dame en blanc sur les côtelettes fumées.

M’apercevant de son incrustation, je prends chaud aux plumes. Va me falloir manœuvrer à vue pour m’arracher cet emplâtre. Si j’arrive à soustraire ma virginité à la convoitise de la personne, c’est que mon ange gardien est en train de faire des heures supplémentaires.

Elle commence par me demander qui je suis pour jouer les Buffalo-Bill avec une telle maestria. Je lui avoue être policier. Elle veut savoir si j’ai subi l’entraînement des marines. Je l’assure que, bien davantage. Oh ! mon Dieu, les biceps que je dois avoir ! Elle peut toucher ? J’arrondis le bras comme pour la conduire à l’autel, ou à l’hôtel. Du biceps, sa dextre va à mon mollet ; passant d’un muscle à l’autre, elle remonte naturellement vers mes régions fortifiées. Le moment de la décision est arrivé. Soit je la fais lâcher prise, soit je la laisse perpétrer ses voies de fait. Le hic, à bord de ce train de plaisance, c’est que je ne puis arguer d’un rendez-vous chez mon dentiste.

— Douce amie, lui dis-je, je crains que vous ne me fassiez perdre la tête, ce qui serait fâcheux pour votre réputation.

Elle me répond que sa réputation, elle en a rien à secouer et que, femme d’un élan, elle laisse aller l’amble à sa passion. Mon héroïsme l’a subjuguée ; j’étais tellement irrésistible avec ces revolvers fumants dans les mains ! Si grand, si noble qu’elle en trempait sa culotte, elle ose le dire ! Je suis un chevalier des temps anciens revenu sur Terre ! Ma détermination, mon courage m’éclairaient de l’intérieur, kif un tube de néon dans une statue de verre !

Pouf ! Mine de rien, elle me chinoise Popaul, comme les braconniers pêchant à la main les belles truites saumonées de rivière en leur caressant le ventre avant de planter leurs ongles dans leurs ouïes.

Elle sent très fort un parfum dont le roi d’Arabie ne pourrait même pas s’offrir un baril, tellement qu’il est chérot, mais qui ne t’en zingue pas moins l’olfactif. En admettant qu’elle eût été mariée, Ninette, ses mecs ont dû périr d’asthme.

Moi qui suis un homme de bonne volonté, doublé d’un homme affable et triplé d’un homme à femmes, je ne me sens pas le courage de céder mon antenne télescopique à la goulue.

Au moment où elle s’en prend à la tirette de ma fermeture Eclair de chasteté, j’interviens à la désésperée.

— Madame, lui dis-je gravement, parvenu à ce degré d’intimité, il me faut vous faire une cruelle confidence. Hélas ! lors d’une bataille rangée avec des gangsters, j’ai pris dans les parties une balle inepte qui m’a rendu inapte à l’amour. Tout ce que vous sortiriez de ce pantalon de chez Cerruti, ce serait un misérable brise-jet, flasque comme un gant perdu, dont la vue vous peinerait. Depuis cette balle fatale, madame, je n’ai plus de dur que mes dents et mes muscles, sans parler de mes os, naturellement.

« C’eût été avec un indicible bonheur, jadis, que je vous eusse laissé prodiguer à mon pénis des caresses qui l’auraient transformé en phallus. Vous auriez pu alors, mais à grand mal, certes, l’héberger dans votre bouche divine, pour, en fin de compte, l’accueillir en ce puits d’amour que le Créateur vous a accordé. Hélas ! ma malheureuse destinée a rendu un tel rêve inaccessible. Je répugne à faire une pareille confidence à une ravissante femme comme vous, mais le moyen de vous berner ? »

Anéantie, désorientée, la chatte meurtrie par l’intensité de la désillusion, elle balbutie :

— Mais cependant, en la caressant, il m’avait semblé qu’elle était très épanouie ?

— La gaine, madame ! La gaine protectrice…

— Ne pourrait-on essayer avec ce… cet étui ?

— Voyons, madame, vous savez bien que dans la gaine il n’y a pas de plaisir ! Vous n’êtes pas femme à vous satisfaire de louches prothèses, ni même de bananes vertes ! Prenez-en votre parti, à défaut des miennes.

Elle opine (mais juste de la tête), et il m’est aisé, dès lors, de l’expulser en douceur de mon compartiment.

Et le train repart. Dans le jour déclinant, le Donau (Danube) miroite. Il est quelque peu en crue et ses eaux, moins bleues que dans Strauss, ont une couleur sombre, un peu marronnasse, mais éclairées de fulgurances argentées.

Accoudé à la main courante, je me repais du paysage. C’est partout pareil : Danube ou Pyramides, Promenade des Rosbifs ou pont de Brooklyn, tu captes, tu captes. Tu crois emmagasiner toutes ces images, ces sensations, toutes ces émotions, mais très vite il ne te reste plus dans le souvenir qu’une barbe à papa terne et silencieuse que tu as du mal à préserver et qui meurt de ton présent impitoyable.

Je louche en direction des « cabines » de la famille anglaise. Ils ont la marotte de laisser leurs portes ouvertes ; pour se sentir moins à l’exigu, je gage ?

Maman et papa jouent aux cartes ; les deux fifilles lisent. Je me racle la gorge pour solliciter leur attention. Gwendoline et Dorothy lèvent les yeux. Si mon baiser a fait se pâmer la première, mon exploit n’a pas amadoué la seconde qui me grève d’un regard vérolé. Ça, tu vois, c’est de la garce anglaise pur choix : la pire de toutes, et je m’y connais. Tu ne peux pas savoir combien elles peuvent se montrer fumières, les Britiches.

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2

Excellent jeu de mots, intraduisible en autrichien.