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« L’dur a décarré illico. J’sais pas où il s’rendait, m’en foutais. Ailieurs, ça m’suffisesait ! La Grosse mouftait pas. J’y t’nais la pogne. Temps z’à aut’ j’y plaçais un bec mouillé dans l’cou. Quand l’contrôleur a passé, j’ai chiqué au touriste qu’a fourvoyé, s’est gouré d’train.

« C’tait un bon con : y n’nous a pas fait casquer, mais a veillé qu’on descendâmes l’arrêt suvant. Un bled à la con où y f’sait un froid d’voyou. On a cassé une graine dans une auberge à la gomme, toute peinturlurée, où ça jouait d’la musique à vaches. Charcuterie fumaga, esquise ! Des jarrets d’porc au chou rouge qu’tu t’serais cru chez Lasserre.

« Et c’est alors qu’la baronne me dégoise la vérité : elle n’est point Berthe mais vraiment la baronne. L’coup à Berthy, c’tait un’ ruse. Ton pote d’la police belgium t’as niqué, grand. Il a veillé à c’qu’aye des fuites à propos d’ton tour d’passe-passe, d’manière qu’les ennemis à Léocadia crussent qu’on voulait les chambrer mais en réalité réelle, c’tait bel et bien la baronne qui v’nait en Hongrie, comprends-tu-t-il ? »

— Je commence. Dis voir, tu parles anglais, maint’nant ?

— J’ai toujours causé anglais, mec. Y a des mots qui m’échappent t’encore, j’dis pas, mais j’m’débrouille.

— Quand la vieille lady de l’Orient-Express a crié les numéros du wagon et du compartiment où s’trouvait la mère Van Trickhül, t’as pigé ?

Il réfléchit.

C’est un loyal, Bérurier. Vantard à l’occasion, mais jamais quand il est question travail.

— Tu m’fais penser : elle a crié en italien. Ça, je pige : j’ai eu un beauf rital qui n’cassait pas une broque de françouze. D’alieurs, les agresseurs étaient bruns et çui qui s’est crevé un lampion, l’a fait en italien puisqu’il a hurlé : « Mamma mia ! ».

— O.K., tu ventiles bien, Gros, continue sur ta lancée.

— Où en étais-je-t-il ?

— Dans l’auberge tyrolienne.

— Oh, oui ! On a t’nu conseil, la mère et moi. Je partisais qu’on rent’ sur Paname, mais elle a mordiqué pour viendre à Bouddha-peste. Question de vie et d’mort, elle certifiait. Bon, on s’a frétillé un train pour Vienne.

« En first, y avait personne. Comme on s’plumait, j’ai tiré la mère à la langoureuse ; su’ l’côté, si tu voyes ? J’avais bloqué la porte coulissante av’c ma ceinture et on a usiné comme des princes charmants. T’sais qu’mon étouffe-chrétienne y a pas fait peur la moindre ? Elle a une babasse d’en comparaison de laquelle l’tunnel sous Fourvière c’t’un trou d’souris.

« Elle raffole l’embroque, Léo ! L’a apprécecié ma délicatesse, c’t’ manière que j’la fraisais au rythme du train, pendant qu’é matait l’Alpe neigeuse. Moi qu’ai plutôt d’la brusquererie dans l’coup de reins, j’la pratiquais valses de Vienne. Elle goinfrait du frifri sans brusqu’rie. J’avais l’chibre charmeur. Un vrai sorcier d’la tringle. Et elle, fallait voir c’te tenue ! Impec, pas un gémiss’ment ou grossièreté. La classe ! Elle encaissait mes quarante centimètres de bidoche sans broncher.

« Si j’te dirais : à “Ça se bourre”, un pasteur est entré dans not’comparte. Il a tiré si fort la poignée qu’il a fait péter ma ceinture, c’vieux nœud. En pleine chibrée, que voulais-tu-t-il qu’nous fissions ? Semblant d’roupiller. Le pasteur s’est mis à lire du gothique et on a pu reprend’ not ascension d’l’Ev’reste, sans heurt. Le train, ça nous aidait biscotte il jussifiait not’ trépidance du fion. Malheureus’ment, il a freiné à mort, c’qui nous a fait déjanter pile au moment où j’déboulais des rognons.

« Ma potion magique a fait un vol plané à travers l’comparte et y a emplâtré l’bouquin, l’révérend. Ça l’a poustouflé. Il a l’vé les yeux au ciel, comme si c’s’rait un oiseau qui y aurait chié d’sus. Mais un parachutage d’c’t’acabit, y aurait fallu un aigle royal au moins. Comme y avait pas la possibilité d’un vol d’autruches, il a pigé l’origine du siniss. Les pasteurs n’font pas vœu d’chasse tétée et y confondent pas du foutre av’c du savon liquide. Tu l’aurais vu r’prend’ sa valoche, son manteau et s’sauver en braillant à tyrol-laringo ! La crise ! On s’est marrés comme deux dromadaires, moi z’et Léo. »

Je l’entends péter de joie rétrospective.

— Un’fois à Vienne, reprend Alexandre-Benoît, on s’a fait driver à la raie au porc d’où qu’on a pris l’dernier vol pour Bouddha-peste. J’ai supplié la Grosse qu’on n’allasse pas au Hilton où l’attendait son p’tit julot blond. Non qu’j’soye jalmince, une gonzesse comme la baronne, y en a pour deux et davantage, espère, mais ç’aurait-ce été imprudent.

— Où êtes-vous ?

— Dans un petit bled à la courbe du Danube ; faut une demi-heure pour y arriver par bagnole.

— Il s’appelle comment, ton patelin ?

Le Gros hésite.

— Attends, j’me rappelle pas.

Je l’entends crier à la cantonade :

— Dis-moi, ma belle d’Fontenay, c’est quoi l’nom d’ici ?

J’entends un organe de rogomme lancer :

— Szentendre !

— Quoive ?

— Cela signifie Saint-André en hongrois.

Béru me répète :

— Santender ! On s’d’mande où ils vont chercher ça ! Faut ête hongrois, j’te jure.

— Et où vous trouve-t-on ? Je suppose que vous ne bivouaquez pas sur le terrain de foot du village ?

— Non, mais écoute, y a une grand’ place pavée, avec, au mitan, une croix d’fer, j’irai t’y attend’. Tu penses viendre dans combien de temps ?

— Je m’habille et je cherche un taxi de nuit.

SAMEDI

Szentendre, 3 h 10

Là, le Danube qui, au départ avait vocation de se précipiter à l’est, réfléchit et opte pour le sud. Sa large courbe enserre un paysage charmant que je me promets de venir examiner de jour pour mieux profiter des maisons de couleurs vives, au style rococo. Sept clochers dansent la gigue du culte sur les collines de la petite cité et découpent leurs bulbes en ombres chinoises contre un ciel qui reste clair. Les ruelles abritent des magasins de souvenirs artisanaux, des galeries de peinture, voire des antiquités dont la plus vieille date tout juste de la dernière guerre. Depuis le départ des Russes, on bazarde tout un bric-à-brac abandonné par ces chéris : coiffures militaires, montres, insignes communistes, etc. Cette quincaillerie voisine avec des boîtes peintes, des bouteilles de Tokaji (Tokay), des nappes brodées, des sachets de paprika et autres vases de verre ciselé.

Je carme un bouquet à mon taxi en le priant de m’attendre. Comme je l’ai ciglé en dollars, il est prêt à poireauter toute la nuit et à m’emmener chez lui à l’aube pour que sa femme me fasse une pipe hongroise, goût magyar.

Je le laisse pour me mettre en quête de la grand’ place pavée au centre de laquelle est érigée une croix de fer (si je mens je vais en enfer !).

La trouve sans la moindre difficultance. Au pied de cette croix rococo du XVIIIe siècle, j’avise une nouvelle « masse sombre », Si volumineuse qu’il ne peut s’agir que de Béru. Alarmé, comme à l’armée, je me rue. Qu’ouf ! Le Gros est seulement endormi. Il tient un étrange bébé dans ses bras : une énorme bouteille d’alcool d’abricot (appelé chez nous « abricotine »). Sereine image. La Verge à l’enfant ! La bouteille est vide aux trois quarts.