Ma prunelle scrutatrice reçoit avec violence Berthe Bérurier en slip, s’apprêtant à passer un robe de soirée noire à paillettes. Quarante kilogrammes de glandes mammaires brillent dans la délicate lumière blonde. Le mot « ouragan » me vient. Il y a de la violence en puissance dans ces formidables nichons aux bouts gros comme des fraises de comice. Elle chantonne, l’élégante, un tube récent : Frou-frou. De toute beauté ! Avant d’enfiler sa robe de bataille, elle se gratte la raie des miches par-dessous sa culotte, sent ses doigts, comme pour s’assurer qu’il s’agit bien d’elle, hoche la tête, convaincue, puis s’habille en baronne de gala.
Je sors dans le couloir. Mon steward, à l’affût, me demande s’il pourra transformer mon salon en chambre pendant le dîner ; je lui réponds que volontiers. Le convoi de princes file à moyenne vitesse dans un paysage de nuit mouillée, criblé de lumières ouvrières. A travers le rideau de flotte, j’aperçois un carrefour livide que traversent de rares voitures, des immeubles de briques (et de broc) bourrés de téléviseurs.
Nous sommes à bord d’un train qui a le temps ; train d’oisifs à la destination sans importance ; nous roulons pour rouler, non pour rallier un point à un autre. Cela ressemble un peu à une croisière où l’on navigue sur une vie de plaisirs davantage que sur la mer.
Je longe la main courante jusqu’à l’extrémité du wagon, histoire de retapisser les lieux. Les deux compartiments succédant au mien communiquent car une famille britannique les occupe : papa, mother et leurs deux filles. L’une est moche comme un cul, l’autre belle comme une chatte. Seize et dix-neuf ans, je leur donne. C’est la petite qui est locdue : basse du valseur, le pot d’échappement rasant la moquette, le cheveu rouquin et frisé, la peau blafarde, le regard albinos et strabique, un bec-de-lièvre mal rafistolé, les oreilles rouges, tu mords le Rembrandt ? Sa grande sœur, par contre, mérite le détour par Soho ! Brune, grande, des yeux verts, le teint bronzé, une bouche propre à te décapsuler le gland, des roberts qui doivent l’empêcher de dormir sur le ventre avec, pour couronner le tout, une flamme dans le regard qui ferait comparer celle d’un chalumeau oxhydrique à un ver luisant.
Je commence à marquer mon territoire d’un léger sourire engageant. Le côté : « bienvenue à bord, ma mignonne, j’ai des diapos plein mon calbute à vous montrer ». Mais il ne faut jamais insister au premier contact, que sinon tu risques de faire capoter ton coup. Un gentleman pose son pion, mine de rien, et continue sa route.
C’est le bon moment pour étudier les autres passagers de la voiture B, car ça commence à frétiller pour le dîner de gala. Les matous sont en smok et certaines frangines ont rivalisé pour se loquer dans le style Arts déco. A la suite des Rosbifs que je viens de t’évoquer, y a un couple de kroums à cheveux blancs qui commencent un peu d’égroter. La vieille a une canne anglaise et son vétuste est penché en avant, comme un qui rebrousse chemin après s’être aperçu que ses fouilles sont trouées. Je les situe Allemands ou Scandinaves en cas de besoin. Ils sont plein de sollicitude l’un pour l’autre ; on sent qu’ils se sont mutuellement consacré leur vie et je me dis que, putain, ce bol de liberté qu’il va déguster, celui qui survivra à son conjoint ! Ce qu’il va faire bon le pleurer ! Parce que, contrairement, c’est toujours les couples unis qui fournissent les meilleurs veufs (ou veuves) tandis que c’est souvent dans les unions d’apparences foireuses qu’on trouve les inconsolables. Ils sont bizarres, les gens, tu sais ?
Après ces deux fossiles, autre échantillonnage de ménage. Là, ça sent bon son « voyage de noces ». Pas des Français, eux non plus. Je vois pas bien, faut qu’ils causent pour que je les situe. La fille est plutôt jolie, châtain clair, coiffée court avec une raie et un dégradé dans le cou, mèche dansante sur le front. Rieuse, potelée à point. Ce genre de gonzesses, elles sont comme les poires : faut les consommer au jour J, sinon t’es déçu. Deviennent vite blettes, ou bien, si tu les cueilles trop vite, n’ont pas encore le goût de la poire. Son tendeur est dégingandé, frisé afro, à lunettes. Un intello, je te parie ma bite ! Et qui chique à l’artiste, à l’anticonformiste.
Lui ne porte pas le smok, mais un jean, un blouson de velours bleu foncé par-dessus une chemise bleu clair ornée d’un nœud pap’ blanc. Spécial, tu vois. Mais enfin y a une recherche dans sa mise.
Le dernier compartiment est celui de deux ladies arachnéennes. Ce qui paraît de plus solide en elles, c’est la laque de leurs cheveux blancs. Sont-ce deux frangines ? Elles ne se ressemblent pas du tout. Deux amies de pension vouées au plus farouche des célibats ? Voire un ménage de dames arrivées à l’âge où elles ne peuvent plus se bouffer le frifri qu’avec une paille. Peu importe. Elles sont flétries, passées, touchantes. Elles jacassent, et en anglais, c’est rigolo de jacasser.
Je décide de rejoindre le Mastard. En repassant devant les compartiments de la british family, je flanque un nouveau coup de périscope à la brunette aux yeux verts, mais elle est occupée à se recharger le rouge à lèvres et c’est la cadette qui l’encaisse.
Je toque au numéro I. Je ne demande pas Mam’zelle Angèle, comme dans la chanson, mais pénètre sans attendre qu’on m’y invite. Spectacle d’une forte intensité. Béru en tenue de soirée ! Un fait inouï. Tu sais quoi ? Son smok de location est trop grand pour lui. Je ne croyais pas la chose possible. Il pourrait inviter son cousin Léon à cohabiter dedans ! Moi, je crois que ce vêtement a été conçu pour le géant Atlas, dans les années 50 ou 60, et que la maison l’a gardé pour l’offrir au musée de l’habillement. Et puis, tu sais ce que c’est. D’une chose à une autre, on oublie ses intentions pour ne plus s’occuper que du quotidien.
Donc, Sa Majesté a jeté son abominable dévolu sur la chose. Il a retroussé vingt-cinq centimètres de pantalon et quinze de manches. On a épinglé la veste de l’intérieur pour qu’il puisse la boutonner. Elle lui descend plus bas que les genoux et il est contraint de s’accroupir pour pouvoir mettre les mains dans ses poches. Mais baste, à la guerre comme à la guerre, il n’en reste pas moins que notre homme est en smoking et fier de l’être. Par contre, il porte, sous le menton, une chose étrange, noire et épaisse, qui a une forme de lavallière mais n’en est pas une, de toute évidence.
Je lui demande ce dont il retourne.
— J’ai oublié mon nœud, avoue-t-il ; t’sais c’que c’est quand t’est-ce la bourgeoise n’est pas là ? Comme la Grosse s’trouvait dans ta clinique belgiume, j’ai dû préparer ma valdingue seulâbre. Alors j’m’ai noué un’ chaussette noire au corgnolon pour remplacer. L’illuse est parfaite, non ?
— Totale, Gros. Ton ingéniosité reste diabolique.
— Faut qu’t’aies l’œil pour t’en aperçure, complimente le Phénoménal. Rien n’ t’ réchappe, técolle !
— Je visualise, fais-je.
Là-dessus, la baronne Van Trickhül passe dans le couloir, répandant à la ronde un parfum qui fera tourner les plats en sauce au wagon-restaurant. Elle n’a pas un regard dans notre direction, ce qui meurtrit le Gravos.
— Qu’a tinsse son rôle, je dis pas, renaude le Copieux, mais me passer d’vant comm’ si j’serais un’ merde d’ clébard, j’trouve qu’elle en r’met, la Berthe. Tu voyes, Sana, les femmes, é s’sentent plus sitôt qu’tu y accordes un peu d’importation. V’là c’te vachasse qui m’fait sa sucrée ; moi qui lui mets des coups d’guiseau qui m’a obligé d’souscrire un abonn’ment menstruel chez not’ ébénisse pour qu’y vinsse réparer le plumard réguyèr’ment, si fort qu’ j’l’astique la moniche !