Y en aura pour toutes les bourses.
DIMANCHE
Szentendre, 7 h
Bon. Cette fois, quand je débonde mes lampions, je sens que j’ai mon taf de ronflette. Je suis fraise et dix pots, comme dit Bérurier-le-Grand.
Le sentiment d’une présence me met sur mon séant de service. J’avise la petite Chinetoque du début, fille et sœur de mon « hôtesse de secours », assise sur la dernière marche de l’escalier et qui attend patiemment mon réveil.
Elle me considère avec un intérêt indiscutable et, j’ajouterai, mérité.
— Bonjour ! lui modulé-je en trois langues.
Aucune ne lui convenant, elle me répond d’un triste sourire à la Cosette. Alors je tends la main vers elle, avec tendresse. Je la trouve touchante, cette adolescente.
Elle prend mes harnais posés sur un dossier de chaise et les apporte sur ma couche en m’indiquant que je dois me fringuer.
Intrigué, je l’interroge des sourcils que j’ai particulièrement expressifs.
Tu sais quoi ?
— Police ! elle articule.
Je cherche à piger. Ses gestes intelligents et quelques mots de hongrois abâtardi me font comprendre que la gentille Gnô-Ki est allée quérir les draupers à ma santé. Pendant que je roupillais, le massacre de la Saint-André a dû faire un sacré cri, mon signalement a été virgulé et on me recherche. Le bouquet !
Je me reloque en tentant de gamberger utile. Je déteste m’habiller sans avoir fait ma toilette. Même pour l’éruption du Vésuve qui anéantit Pompéi, je me suis rasé avant de partir.
Pendant que j’usine, elle s’esbigne en cabriolant chevrette et revient avec une sorte de grande blouse grise et une vieille casquette éculée dont la visière ressemble à un toit de pagode écroulaga. Elle me force (positivement) à m’affubler, sort ensuite de sa poche une paire de lunettes à monture de fer et verres noirs et m’entraîne.
En bas, le vieux gît toujours sur sa natte, son souffle court n’a pas l’air de longue durée. Cosette s’empare d’une canne blanche abandonnée dans un angle de la pièce, puis me prend par la main et nous sortons.
Un peu géniale, la gamine ! Je vais chiquer à l’aveugle et elle figurera mon guide. Si la mère Gnô-Ki est réellement une balance, y aura du tirage entre elles deux par la suite.
On marche à petits pas dans la périphérie de la petite ville. C’est l’instant où les boutiquiers, marchands de bimbelotaille, commencent à préparer leurs étaux (ou étals si tu préfères le purisme).
Beaucoup de forces de police. Des véhicules de la Rousse stationnent aux carrefours. On avance tranquillement. Mais pour aller où ? Il est dans un bioutifoule merdier, ton Antonio chéri ! Totalement coupé de ses aminches, avec la police hongroise au panier. D’ici que ces cons de Magyars me seringuent sans sommation, y a pas la largeur de l’Amazone, espère !
Garce de Gnô-Ki ! Elle m’essore la laitance, me réclame cent dollars. Puis, ayant appris ce qui se passait à Szentendre, et en tirant des conclusions, fonce me dénoncer aux poulardins !
A un moment donné, nous voilà hors de l’agglomération. Sur notre gauche, le beau Danube bleu ! Enculé de Strauss ! Il était daltonien ou quoi, ce nœud ?
La môme qui continue de me tenir par la main s’arrête brusquement et me demande :
— Budapest ?
Elle désigne un panneau marquant un stationnement de bus.
— Ja ! que je lui réponds.
Car ma seule façon d’espérer m’en sortir c’est d’aller trouver les plus hautes instances policières pour tenter une mise au point que je devine pas fastoche du tout.
La Jaunette opine, satisfaite.
Nous poireautons dans l’aigre bise soufflant du nord. J’aimerais la remercier pour son action réparatrice qui compense la vilenie de sa maman. Mais comment ? Pas de vocabulaire à disposition. Du fric ? Ça la fâcherait. C’est un esprit trop droit.
Alors, profitant de ce que nous sommes seuls, je lui saisis le menton et pose mes lèvres sur les siennes.
Elle fuit le baiser comme s’il l’écœurait. Trop aimable !
Là-dessus, le bus se pointe ; un gros véhicule jaune et vert (d’un vilain jaune et d’un vilain vert). Tu croirais entendre arriver des politicards avec toutes leurs casseroles accrochées au fion !
Je tends la main à la petite Chinetoque :
— Grand merci, ma puce. Toi, tu es moins salope que ta mère.
Mais au lieu de serrer cette valeureuse dextre qui a pressé tant et tant de détentes et de clitoris, d’un saut de cabri elle bondit dans le car et me tire à l’intérieur.
Elle a décidé de m’escorter jusqu’à Budapest, la mignonne. Un rêve ! Elle est confondante de gentillesse.
Le tas de ferraille se remet en branle.
Ça fouette un peu le corps négligé. Peut-être est-ce ma propre odeur qui m’incommode ? La viande a vite fait de se vicier : deux bains ratés et tu te mets à renifler le clapier.
Bientôt, on s’écarte des rives du Danube et on passe devant des ruines. Ils sont allés partout, ces Romains ! Note que de nos jours ils continuent d’essaimer à travers le monde, mais au lieu de bâtir des aqueducs et des remparts, ils construisent des pizzerias. Question d’époque.
Pendant que le véhicule bringuebale (ou brimbale), je me fais un topo de mon futur immédiat. Peu clean, j’admets. La seule manière de m’en sortir, c’est de regagner le Hilton et de téléphoner de toute urgence à mon ministre de l’Intérieur avant qu’on vienne me serrer, pour lui demander d’intervenir en ma faveur auprès de son homologue hongrois. Piètre fin d’enquête non solutionnée ! Je vais passer pour un drôle de foireux et on risque fort de me retirer mon beau fauteuil directorial. Il maquillera quoi t’est-ce, ton Sana, après son limogeage ? Il va aller faire de la tapisserie dans un commissariat d’Aubusson ? Des bêtises à Cambrai ? Déberlinguer des pucelles à Carpentras ? Se balader en calissons courts dans les alcôves d’Aix-en-Provence ?
Le bus contourne la place des héros où se dressent, autour de la colonne, les statues romantiques des sept chefs de tribus hongroises de la conquête magyare. Impressionnants, ces Gaulois d’Europe centrale. Des envahisseurs comac, on n’en fait plus. Désormais, c’est des petits hommes verts débarqués d’une soucoupe, ou bien des gaziers astronautiques aux scaphandres aluminium qui se chicornent au rayon laser et s’entrepulvérisent l’engin spatial.
Le lourd véhicule enquille l’avenue Hétazor Elbalbor pour gagner la gare Terminütz.
Tout le monde descend. Je gagne les gogues de la gare pour y ôter ma gapette, ma blouse et mes lunettes d’aveugle. Je rends le tout, ainsi que ma canne blanche à la môme.
— Comment t’appelles-tu ? je lui questionne comme je peux.
Elle est pas dérangeante.
— Li ! répond-elle.
— Très joli, complimenté-je, et puis il est facile de se le rappeler. Tiens, voilà cent dollars, retourne chez toi, mon petit cœur !
Mais elle refoule ma paluche généreuse. J’ai beau insister, elle ne veut pas un laranqué de ma pomme. Ça m’alarme.
— Tu as de l’argent pour reprendre le car, mignonnette ?
Elle négative de la tête.
— Tu ne vas pas retourner à Szentendre à pincebroque !
En manière de réponse, la voilà qui saisit mon brandillon, marquant fermement qu’elle refuse de me quitter.
— Tu es assez unique dans ton genre, déclaré-je. Bon, ben viens ; après tout, c’est ton problème, ma petite grand-mère !
Et nous gagnons la file des taxis.