Ces messieurs examinent ma nudité, certains avec convoitise, me semble-t-il.
— Habillez-vous ! m’enjoint le gars que je viens de mentionner.
J’obéis et me refringue dans un silence de crypte, un mardi (jour de fermeture des musées).
La vigilance est à l’ordre du jour et quatre canons aux calibres variés demeurent pointés sur les centres vitaux de ma personne.
Nouveau geste péremptoire du chef. Un uniformé me passe les menottes. Moi, je te signale au passage, en grande première mondiale, j’utilise le coup du poignet de force que m’a appris récemment Riton-de-la-Tour-du-Pin, un presque pays à moi qui venait de tomber pour une histoire de vol à l’arraché. J’ai un peu beurré ses mouillettes, l’esprit de clocher jouant. N’ayant pas de fleurs sous la main pour me témoigner sa gratitude, il m’a enseigné un petit truc marrant comme tout. Quand on te passe les cadennes, tu parviens, avec un peu d’entraînement, à faire gonfler les muscles de ton poignet de façon à en augmenter le diamètre de quatre ou cinq centimètres ; ensuite, tu l’as belle pour dégager ta paluche. Pas plus marte que ça. Le tout est de ne pas te faire gicler les falots des coquilles, façon constipé gavé de riz, en produisant ton effort. Rester naturel pour que le pandore n’y voie que du bleu.
Les uniformés m’emballent, cependant que les civilisés restent à pied d’œuvre auprès du cadavre. A suivre !
DIMANCHE
Budapest, 10 h 15
Franchement, ça l’affiche mal !
Juste qu’on traverse le hall de l’hôtel, voilà que nous croisons les quatre Rosbifs de l’Orient-Express. Leur stupeur en me voyant menotté entre deux bourdilles ! La môme Gwendoline en reste pétrifiée telle la gonzesse de Loth après s’être retournée, la pipelette !
Je lui souris.
— Simple malentendu, mon petit cœur, lui lâché-je.
Courroucée, sa vieille l’empoigne par une aile pour l’entraîner. Et bon, on sort du palace. La tire des pignoufs est à quelques encablures. Ils m’y entraînent sans ménagement comme on dit puis en vraie littérature.
Au moment qu’on l’atteint, voilà un taxi qui freine à mort à notre hauteur. Un chauffeur fou s’en arrache qui m’arrive sur le poil en hurlant, vociférant, tout bien. Je le reconnais : c’est mon driver d’hier soir, celui que j’ai laissé en carafe à Szentendre.
Je ne comprends pas ce dont il baragouine, mais le sens général m’est perceptible.
— Accrozdyl nagiare kinkénal foutrak byskornu ! il hurle.
Mes deux poulardins veulent s’interposer, mais le gus est un lion furax. Il me bourre le dos de gnons soignés. Moi, je déteste, me démenotte selon les préceptes du cher Riton-de-la-Tour-du-pin, volte pour lui faire manger ses chailles d’un coup de boule. N’en profite pour shooter dans le paquet de burnes d’un condé, offre un crochet du gauche au deuxième, pas attiser les jalousies professionnelles.
Et voici donc qu’en un temps très bref, le combat cesse faute de combattants. Je bondis dans le taxi toujours ronronnant qui crache une fumée polluante en comparaison de laquelle, Tchernobyl ne fut qu’un pet d’amateur de cassoulet.
Je démarre en cata, l’accélérateur trouant le plancher. A l’arrière, y a un vieillard barbu de blanc qui ressemble à François-Joseph en plus vieux. Peut-être est-ce-t-il son cousin germain issu des pieds ?
Le vioque entrave que pouic à cette substitution de conducteur et réclame des explications.
Au lieu de lui en fournir, j’enquille une voie en sens interdit, frôle un tramway, écrase une bicyclette sans son cycliste, balance une gerbe de boue sur la toilette d’une touriste hollandaise, puis chope le quai.
A l’arrière, le vioque exprime sa désapprobation dans un dialecte proche du finnois dont je lui laisse la pleine et entière responsabilité.
Je roule, klaxon bloqué. Mon rétroviseur est libre de toute bagnole policière ; probable que j’ai eu un coup de génie (un de plus) en commençant cette courette par une rue interdite.
Un pont !
Je décide de l’adopter, coupe la route et une file de guindes exaspérées qui me flashent avec ensemble leurs avertisseurs dans les cornets.
Voilà le Danube franchi. Un tunnel s’offre. Adopté ! Il est long, n’en finit pas. En finit tout de même. Je vire dans un parc qui domine la ville, adopte des allées incarrossables, contourne un temple d’amour où des gamins font du roller-ball. Une petite construction chiottarde. J’arrête « mon » bahut derrière puis, n’hésitant devant aucun sacrifice, écrase une ampoule soporifique à l’intention du cousin de François-Joseph.
Libre !
Pour combien de temps ? On verra !
Ce qu’il y a de profitable dans l’action, c’est qu’elle te dispense de réfléchir. Penser est mauvais, parce que déprimant. Que peux-tu espérer tirer de positif de l’analyse de la vie ?
Je repars sur la ville en adoptant des sentiers en pente vive, ponctués d’escaliers. Des oiseaux divers (et d’hiver) pépient nostalgiquement dans des conifères. Des cris d’enfants joyeux, le grondement sourd de la belle et noble cité, montent par bouffées que le vent dirige.
Je respire large. Me voilà redevenu confiant. L’avenir ressemble un peu moins que tout à l’heure à une tumeur avancée du gros côlon.
Après une longue marche vivifiante, je finis par me trouver près de la rive droite du fleuve. Et qu’avisé-je ? Je te le donne pas en mille, il te faudrait trop de temps pour recoller les morceaux. Un embarcadère, mon vieux. Avec un grand et superbe bateau blanc, immense et plat, style catamaran, sorte de paquebot fluvial au luxe impressionnant : le Mozart. A l’animation qui règne, j’ai l’impression qu’il est en train d’appareiller. Alors, moi, tu as déjà tout compris ?
Des passagers s’apprêtent à emprunter la passerelle d’accès. Cosmopolites ! Vioques en majorité. Y a que des nantis en croisière, les jeunes occupent le temps à gagner le fric qui leur permettra de traîner leur viande faisandée dans de la soie, plus tard.
Je repère un vieux couple d’Allemands. Lui, Bavarois : chapeau vert avec la plume de faisan, veste de daim brodée d’edelweiss. Faut être con ; il l’est. Je note que ses billets de passage dépassent de sa poche. Entre lui et moi, un petit garçon anémique accompagné de sa maman danoise. Je lui file un coup de genou dans le dos qui l’envoie contre le Bavarois, lequel, mécontent, se retourne et le houspille. Le chiare se met à pleurer.
Rien de plus fastoche pour moi que d’engourdir subrepticement l’une des deux cartes d’accès du bonhomme.
Quand c’est son tour, le gars de la coupée qui assure le contrôle lui fait remarquer qu’il n’a qu’un bifton. Le Bavarois se palpe, je prends l’air agacé et lui passe devant en présentant son carton d’accès à bord.
DIMANCHE
Sur le Danube, 13 h
C’est la première fois, me semble-t-il (mais la mémoire n’est que ce qu’elle est !) que je me comporte en passager clandestin. Fort heureusement, je possède un rouleau de dollars appréciable et je ne me sens donc pas clodo pour autant.
J’ai étudié, une fois à bord, l’itinéraire du Mozart : Budapest-Bratislava-Vienne-Passau. Je décide de quitter le bord à Bratislava, la Slovaquie me convenant parfaitement. De là-bas je rallierai Paris d’une manière ou d’une autre et me réorganiserai pour reprendre l’enquête à zéro. Je te fais juge : j’ai pris le dur avec un compagnon, émérite, certes, mais avec un seul. Il ne s’agissait que d’assurer la protection de Berthaga transformée en fausse baronne Van Trickhül. Et puis voilà que la fausse est en réalité la vraie et qu’une horde de tueurs intervient, butant sans merci ni vergogne jusqu’à m’entraîner dans la pire des pistouilles, à tel point que je suis obligé de mettre les pouces, moi, l’indomptable Sana, et de m’enfuir comme un péteux, sans pouvoir porter secours à mes amis.