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— Une fois, deux fois, trois fois ; pas d’amateur ? Alors on passe à la phase deux du traitement !

Ainsi que dit, je renouvelle. Maintenant il a les deux roues sur lui : la gauche sur l’estomac, la droite sur les chevilles. Il s’asphyxie à toute pompe.

— O.K. pour parler ? laissé-je tomber de ma hauteur. Il ne peut plus jacter, seulement battre des ramasse-miettes.

Je grimpe dans la jeep et passe la marche arrière. Quand je me ramène vers Kaszec, il est évanoui. Et ça paraît sérieux ; je crois qu’il n’a pu digérer ces deux tonnes sur son estomac. Je dis l’estomac, mais les roues sont si larges qu’il y a eu des dégâts dans la périphérie. Tu veux parier que sa vessie est naze ? Ses boyaux tréfilés pour faire des cordes à raquettes ? Son pylore déconnecté ? Sa rate comme une sole ?

Blanc surgit, les sulfures sulfureux !

— Monsieur le directeur, chevrote-t-il, je te donne ma démission, et il ne s’agit pas là d’une phrase en l’air ! Moi, la Gestapo, merci bien ! Je crois que le désir de réussir te fait perdre l’esprit. Si tu continues à tourmenter ces gens, je me verrai dans l’obligation d’intervenir !

— Ivanhoé !

— Peut-être : on attrape l’ère du héros nègre ! riposte l’Anthracité.

— Je te pisse au cul !

— Ça va bien avec tes nouvelles manières !

— Et ma main sur ta gueule mâchurée ?

— Elle entraînerait la mienne sur ta gueule blafarde !

Pour la première fois depuis le départ de nos relations on a un coup de haine mutuelle. On est là à se défier avec des regards sanguignolents et des tremblements rageurs dans tous les membres.

Et puis, par la force des choses et de la tendresse réunies, la pression baisse. Mes poings durs redeviennent des mains molles.

— Tu l’as vu, le blond, dans sa chambre, avec le nez et les roustons coupés ? articulé-je. C’était un grand artiste. Eh bien, ces fumiers n’ont pas hésité à le mutiler et à l’assassiner ; et tu voudrais que je les interroge en leur chatouillant la plante des pieds avec une plume de paon, dis, arboricole ?

— Tout de même, ronchonne Jérémie, répondre à la torture par la torture…

— C’est parler le langage de ces gredins ! Quand on se permet d’employer les pires moyens pour obtenir satisfaction, il faut s’attendre à une rétorsion appropriée.

M. Blanc gratte sa toison d’astrakan.

— Tu as « encore » des poux ? ricané-je-t-il. Ta maman ne les a pas tous bouffés ?

Ça vient sans que j’aie le temps de réagir : une patate formide au menton. Voilà mon cerveau qui se décroche de ma boîte crânienne et se met à tourner comme une boule de loterie dans sa sphère. Je tente de saisir quelque chose pour me retenir, ne trouve rien et plonge d’une masse sur le gars Kaszec qui n’avait pas besoin de cet excédent de bagages.

Pendant un moment indéterminable, je perds conscience. Tout est brouillard, dans lequel crépitent des étincelles de « cierge magique ».

Quand je reviens à moi, la main large comme une taloche de maçon du Négus me masse la nuque.

— Tu vois à quoi on en arrive, grand con ? balbutie mon pote. Tu l’as bien cherché, avoue ? Cette façon systématique de m’insulter ! Tu le voulais, ce crochet, hein ? Dis que tu le voulais !

— Exact, je le voulais, conviens-je.

— Et pourquoi le voulais-tu ?

— Pour que tu aies du remords, gros nœud ! Tu es mon débiteur à présent !

Il m’aide à me relever ; ce faisant, il questionne en montrant Kaszec :

— Il ne serait pas un peu mort des fois ?

— Complètement, mon bien cher frère ; mais ne t’attends pas à ce que j’éclate en sanglots : il a eu ce qu’il méritait.

Le all black hausse les épaules et se dirige vers la cabane de chantier.

— Tu as raison, dis-je, après l’avoir rattrapé, occupons-nous de la belle blonde à présent. Je pense qu’il nous suffira de lui montrer le cadavre de son coéquipier pour l’amener à composition.

Tout est peinard dans l’habitat du gardien. Celui-ci roupille toujours sur son lit. La baronne aussi, qui, assise sur la chaise, avec le menton entre ses nichons de fin de kermesse, les bras ballants de son part et d’autre, ronfle à s’en carboniser les sinus.

« O vieillesse ennemie », récité-je mentalement en considérant cette femme qui, il n’y a pas si naguère, fut probablement brillante, élégante, conquérante, et qui, désertée par l’énergie et la lucidité, n’est plus qu’une vieille breloque au rebut.

— Bon, me secoué-je, au tour de Miss Europe Centrale, à présent.

Je me penche sur elle et la constate inanimée. Dormirait-elle également ?

Il n’y semble pas ; d’ailleurs, elle a les yeux à demi ouverts.

Je porte la main à son cou. Ça ne bat plus dans la région jugulaire. Tu ne vas pas me dire, Casimir, qu’elle a passé l’arme à gauche ?

Et pourtant !

— Elle aussi ? bégaie le « démissionnaire ».

— Je crois ; mais tu es témoin que je n’y suis pour rien ?

Blanc Jérémie s’allonge sur le plancher et place sa tête sombre près de la tête claire.

Il étudie le visage de la jeune aventurière.

— Odeur d’amande amère, récite-t-il lèvres bleues : elle s’est empoisonnée avec une capsule de cyanure.

— Comment aurait-elle pu le faire, ligotée comme elle est ?

Il me toise d’un air apitoyé :

— Tu ne sais peut-être pas que les gens qui s’offrent la possibilité de se suicider ainsi ont en permanence une capsule cachée dans la bouche ? Dent truquée, mon pote : Himmler, Goering, Laval, une chiée d’autres !

— En tout cas, nous sommes marron ! lamenté-je.

Il sourit.

— Moi, j’ai l’habitude de l’être, dit Blanc.

LUNDI

Frontière autrichienne, 21 h 20

Le plus grand mérite d’un véhicule comme celui que nous avons « emprunté » est d’être tout terrain, c’est pourquoi, devant sa maniabilité et avec l’accord de Jérémie Blanc, je décide de franchir la frontière autrichienne en loucedé.

Ce qui m’en a donné l’idée, c’est la carte d’état-major trouvée dans l’immobile home du chantier. Là-dessus figurent toutes les petites voies secondaires faisant communiquer la Slovaquie avec l’Autriche dans la région. Je sais combien les pays sont « poreux », pour qui veut bien se donner la peine de s’écarter des principaux chemins d’accès.

Dans un premier temps, nous reprenons la route de Bratislava, sans pénétrer dans cette capitale de la Slovaquie, célèbre par ses monuments anciens, et poursuivons vers le nord en direction de Brno. Au bout d’une cinquantaine de kilbus, j’emprunte un chemin vicinal sur ma gauche. Je déchante vite en m’apercevant qu’il cesse en atteignant un cours d’eau.

— C’est le (ou la) March, m’apprend Jérémie. Il constitue la frontière entre la Slovaquie et l’Autriche pendant un sacré bout de chemin. Il faut absolument trouver un pont, car ensuite, la Morava se jette dedans et file jusqu’à la Pologne ou presque !

Qui dit pont, dit douane, soupiré-je-t-il.

— Tu aurais dû choisir une voiture amphibie, déclare l’Assombri ; il y en avait deux sur le chantier ! C’est vrai, j’aurais dû. Commander c’est prévoir.

— Tu aurais pu me le dire, bougonné-je.

— Je n’y ai pas songé.

— Donc, zéro à zéro, la balle au centre !

— Qu’est-ce que tu fais ! s’exclame mon camarade de villégiature en me voyant foncer délibérément à travers les fougères bordant la rive.

— Pas amphibile, mais tout terrain : j’en profite !

Et nous voilà à tanguer sur une terre peu meuble, écrasant des branches mortes, nous enlisant parfois, mais avec un 4 × 4, tu joues gagnant ?!