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— La prochaine fois que vous nous enverrez des jeunes filles à former, assurez-vous de leur pedigree, Léocadia. Cette saleté de Gwendoline vous a trahie pour les beaux yeux de ce gigolo à la manque !

— Je lui aurais donné le bon Dieu sans confession ! soupire la baronne.

— Heureusement que l’autre fille, la moche, l’avait à l’œil, dit la femme de Duck.

La mère Van Trickhül s’empare du bras de son complice britiche.

— Otez-moi d’un doute, Duck, vous avez puni cette salope comme elle le méritait, j’espère ?

Il sourit.

— Elle est entortillée d’un grillage avec le double de son poids ; bientôt, les brochets du lac Balaton seront gros comme ça !

Il montre en écartant les mains.

— Bravo ! La justice est indispensable, mon bon. J’ai toujours eu un grand souci d’équité : récompensant le bien et punissant le mal. Venez assister à l’exécution de ce flic de merde. Français à grande gueule, mais trop brouillon pour arriver à quelque chose. Sa fosse est prête. Elle est à deux places, on ne chipote pas sur son confort. Nos camarades ici présents vont se munir de mitraillettes car il va falloir le tirer à distance, vu qu’il est lesté d’explosifs !

Je suis traîné, poussé, tiré, au bord d’une large et profonde excavation derrière la maison. Ils sont au point en tant que terrassiers, les deux guignolos de la baronne !

Le groupe s’éloigne à vingt mètres de là : les deux bonnes femmes et les trois mecs.

Je vois deux fortes arquebuses dirigées contre ma pomme.

Une lumineuse pensée me vient pour ma Félicie qui n’entendra plus jamais parler de moi.

Une grande bouffée de désir de vivre aussi. Elle est si forte que, dans un effort surhumain, j’arrache l’étoffe de mon bénard en tirant dessus, balance les deux grenades sur la réunion de famille qui me fait face et me laisse tomber en arrière dans la fosse.

En avant ce serait trop risqué, because la capsule collée sur mes incisives.

Tu comprends ?

JEUDI

Paris, 11 h 04

Je souffre des reins, m’étant démis je ne sais quoi en exécutant cette cabriole arrière dans « ma » tombe. N’en n’outre je porte un gros pansement à la main droite car la blessure par balle s’est infectée et j’ai des lancées jusqu’à l’épaule. Pauvre viande, si bravache et si faible ! Pauvre homme, rouleur de mécaniques et si avide d’honneurs qui transforme pourtant en merde les nourritures les plus raffinées.

Je dois faire un peu de température malgré les antibiotiques qu’on m’a prodigués car mes tempes battent anormalement. Tiens, à partir de tout à l’heure, je vais m’offrir un week-end prolongé. Non : je ne partirai pas, mais resterai chez moi, seul avec m’man, Toinet se trouvant à une classe de neige dans l’Alpe homicide. Je vais mettre pour la première fois cette somptueuse veste d’intérieur Hermès que Félicie m’a offerte pour mon anniv. Pantoufles ! Pas de rasoir ! Le bigophone aux Japonais absents. Des books (j’en ai une pile en souffrance sur ma table de chevalet, comme dit Béru) ; de la télé si je parviens à sélectionner des émissions pas trop glandues sur mon Télé 7 jours.

Pour le reste, la Féloche avisera : gratin de cardons, tête de veau, blanquette, oiseaux-sans-tronche ! Tiens, au fait, c’est le veau, ma viande d’élection : mœurs bourgeoises, l’Antonio. J’écouterai notre vieille horloge dauphinoise égrener les heures, et puis je regarderai se goinfrer les petits piafs à qui m’man propose des assiettées de graines et de pain trempé dans du lait.

Est-ce que je pourrai attendre la semaine prochaine sans baiser ? Boff ! Je tirerai la bonne, samedi matin, pendant que ma vieille sera au marka. Un bon petit coup en levrette, contre la paillasse de l’évier, ça met la montre de ton kangourou à l’heure !

Chouette programme, non ?

— Vous semblez très éprouvé par cette équipée insensée ? remarque Nicolas Buton-Debraghette, mon homolo belge qui est accouru à ma demande.

Le bouquet ? Il est en compagnie de sa grande fille.

— Elle a absolument voulu m’accompagner à Paris, m’a-t-il déclaré. Vous savez la fascination que votre chère capitale exerce sur les femmes de tous les pays ?

J’ai souri. La môme était en train de promener la pointe de sa langue entre ses lèvres pendant que son dabe parlait. Mais c’est marrant : j’en ai pas envie ; les petites salopes trop salopes, ça va une fois, mais pas davantage.

Je lui ai tout narré par le menu à mon homo (logue, hein ? confonds pas !). L’hécatombe l’a impressionné, tout flic à chevrons qu’il soit ! Mais où il a été scié à la tronçonneuse, c’est quand il a appris ce qu’était sa fameuse baronne. La plus grande aventurière de l’après-guerre, ni plus ni moins. Une tueuse cynique ! Formidable marchande d’armes, tenant dans sa main les représentants d’insurgés de tout bord et de tous les continents, qu’elle approvisionnait en armes sophistiquées. Pour mener à bien ce formidable trafic, Mamie Meurtre disposait d’un gigantesque dépôt clandestin situé en Roumanie ; elle avait négocié cette installation avec feu Ceausescu comme partenaire. Le dépôt avait été aménagé dans une carrière troglodytique de la chaîne des Carpates, fermée par un portail en iridium ballotté à serrure thermo-capuchonnée double. Les charges d’explosifs les plus puissantes n’auraient pu en venir à bout. Pour pénétrer dans cette caverne d’Ali Baba de l’armement, il n’existait que deux clés. L’une se trouvait en possession du dictateur rouge, l’autre en celle de la baronne.

La rapide (et brutale) exécution des Ceausescu paniqua la mère Léocadia qui résolut de récupérer coûte que coûte la clé du défunt tyran. Entreprise qui paraissait insurmontable.

Elle mit sur pied une véritable armée secrète pour parvenir à ses fins et on alla jusqu’à déterrer clandestinement le bonhomme pour tenter de mettre la main sur ce trésor inestimable. Il convenait d’agir rapidement et avec un max de discrétion. L’obstination de l’aventurière porta ses fruits puisque, en fin de compte, c’est dans la gaine criblée de balles de la Ceausescu qu’on parvint à dénicher « la chose ».

C’est alors que le destin de la mère Van Trickhül commença à prendre de la gîte. Ses hommes de main, flairant la superbe affaire, résolurent de la faire chanter et lui réclamèrent le pactole en échange de la deuxième clé (laquelle, je te le précise pendant qu’il en est encore temps, sinon ensuite t’es cap d’écrire à mon éditeur que je suis un zozo ! laquelle clé, reprends-je, est impossible à reproduire car, même en disposant du métal qui la constitue, ce dernier ne saurait être compatible avec celui de la serrure originelle, lequel fut traité au carboniseur déontologique dépravé, tu mords l’astuce Tiburce ?).

Cette fois, la vieille finaude organisa une seconde croisade pour reprendre la fameuse clé à ceux qui l’avaient trouvée ! D’où l’affrontement sanglant des deux bandes. La seconde, comme la première, parvint à ses fins et remit la chiave à Léocadia. L’affaire, loin d’en rester là, prit une ampleur démesurée (tu as pu en juger) et ce fut une guerre sans merci, comme on dit à Saint-Alban-de-Roche qui est tout proche de Bourgoin-Jallieu. Mémère résolut de se faire protéger par la police, d’où, indirectement, mon intervention dans l’affaire. Intervention qui allait tout changer ! Bravo, San-Antonio ; une fois encore, tu t’es montré unique en ton genre ! tu demeures le premier, sois tranquille !

Mémère prenait l’Orient-Express avec l’intention de gagner la Roumanie en empruntant le chemin des écoliers. Elle avait l’une des deux clés sur elle, mais elle prit peur quand elle identifia dans son wagon, des gens qui lui parurent inquiétants. Alors, à mon nez et à ma barbe, elle confia l’objet au cher Cédric (le soir au wagon-bar), lequel aurait mieux fait de rester devant son chevalet au lieu de partir avec sa grosse (corne) muse pour une équipée sans retour.