Выбрать главу

Et d’un seul coup d’un seul, mes poils occultes : ceux qui me portugaisent les sous-bras, ceux qui m’emmitouflent les deux orphelines, ceux qui matelassent mon poitrail de manière à le transformer en oreiller pour dames se dressent comme dans une pub de Danone. Et non seulement, les voilà trempés de sueur, les pauvres ! Je pige que cet embout fiché dans mon trou a servi à l’émission d’un gaz chargé de me soporifier. Et si on a fait cela, depuis chez la Berthe, c’est qu’on la tenait à merci ! Oh ! Seigneur de miséricorde et de mansuétude, que vient-il de nous arriver ! La truie béruréenne servait d’appât et on l’a bouffée sous mes yeux, positivement !

Le gros Tas-de-couilles me défrime d’un œil maquignonesque. Tu dirais qu’il cherche à vendre un cheval panard à un éleveur en tentant de lui faire croire qu’il a gagné le Prix de l’Arc de triomphe.

— Y a une béchamel ? murmure-t-il entre ses dents de devant qui, non seulement sont fausses, de par sa vie truffée de horions, mais qu’il a fait remplacer par des molaires qu’il juge plus résistantes.

Au lieu de répondre, je passe ma robe de chambre Hermès (ancien modèle, maintenant, on ne les double plus), chausse mes mules et bondis dans le couloir. L’Anglaise jolie est accoudée au bastingage et regarde défiler le Tyrol. Etant ce que je suis, je lui vote un mirobolant sourire qui me fait marquer un point dans son slip. Mais j’ai, hélas ! d’autres chattes à fouetter que la sienne pour l’instant, aussi ouvré-je-t-il en grand la porte de Berthe. Ce que je redoutais le plus au monde depuis 180 secondes m’arrive : la fenêtre de la fausse baronne est ouverte au max. J’apprécie d’un regard exercé le passage ainsi occasionné. Pas de doute : même une vachasse comme Berthe a pu passer par là.

Maintenant, tel que je te connais, tu vas m’objecter : « Si quelqu’un a éjecté mémère sur la voie, pourquoi n’a-t-il pas rabaissé la vitre ensuite ? » A quoi je te répondrai : « Il ne pouvait pas, s’il a pris le même chemin que la Mère Gras-double. » Dans mon idée, ça s’opère de la façon suivante : tard dans la nuit, on s’introduit chez la Grosse. Elle n’a pas mis le loquet de sécurité parce qu’elle attendait une visite qu’on a dû lui laisser espérer galante, tu connais la Gravosse.

On la neutralise et on se hâte de m’endormir au moyen d’une cartouche soporifique. Tu me suis-t-il-tu ? Yes ? Banco ! Quand on sait que je roupille, on attend l’une des nombreuses voies d’attente où l’Orient-Express stoppe pour laisser passer les vrais trains, ceux qui, je te le répète, n’ont pas pour mission de balader les gens, mais de les transporter.

Jeu d’enfant, alors, que d’évacuer Mistress Monticule par cette fenêtre et de quitter le dur à sa suite. C’est l’heure où tous les rideaux de tous les compartiments sont baissés. Il suffit d’éteindre l’éclairage de la cabine pour agir sans risque. On est dans la montagne, en Suisse ou en Autriche. Aucun employé de la fameuse compagnie ne descend à contre-voie pendant les nombreux arrêts de ce convoi lambin. L’enlèvement est propre, discret, efficace. Des heures vont s’écouler avant qu’il ne soit connu. Au moment où je rêve d’Aspirine du Rhône pour piquer ma migraine, Berthe (ou plus exactement, Léocadia Van Trickhül) a pu, sans précipitation, être conduite en France, en Allemagne, en Suisse ou en Italie. Le coup a été superbement réalisé, avec une simplicité et une efficacité ahurissantes.

On tapote mon épaule. C’est le Gros, très froid, très impersonnel.

— Selon d’ toi, j’ sus veuf ? me demande-t-il.

Je baisse la tête sans répondre. Il est trop fin limier pour ne pas avoir tout pigé, l’Hippopotame. Il va même jusqu’à ramasser, dans un pli du drap, la capsule de gaz vide.

— C’est pas qu’ tu soyes pas intelligent, murmure-t-il, mais la vérole, av’c ta pomme, c’est qu’ tu croives aux mouches. Faut toujours qu’ tu coupasses dans des combines à la mords mon nœud, qu’ même dans les bandes des six nez, y z’oseraient pas les employeyer. C’t’ idée de faire faire la gueule d’ ta Belgium à ma pauv’ Berthe, que Dieu aye son âme ! L’était si tant tell’ment ressemblante qu’on m’ l’a virgulée su’ l’ ballastre où qu’une flopée d’ trains y a passé dessus ; et elle, c’tait plutôt des mecs qu’ell’ encaissait, portée comme ell’ était !

« Si j’aurais attendu d’êt’ veuf en montant dans c’ tortillard ! Veuf ! Av’c un enfant à él’ver. J’ pourrerai jamais tout seul : l’ métier dont j’ fais ! Faudra qu’ j’ m’ r’marille. Trouver une fille bien, à not’ époque, c’est pas d’ la fraisette ! J’ voye, pour moi, une frangine d’une vingt-deuxaine d’années, à la poitrine bien en main et au cul large comme une tondeuse à gazon. A propos d’ tondeuse : faudrait qu’elle eusse beaucoup de poils, j’aime ! Moi, une vraie gonzesse, c’ t’avant tout la cressonnière. Quand j’ la gloupe, c’est comm’ si j’ morderais dans une paillasse : faut qu’j’ fisse les foins avant d’ trouver l’ bonheur. L’escarguinche bien protégé, tu sais ? Qu’après ta minette, t’as les chailles comme le peigne d’un gazier qu’est en manqu’ d’ Pétrolân.

« J’ croive qu’ j’ passerai une annonce dans l’ Chasseur Français. Faudra qu’ tu m’aides à la rédactionner, tu m’ dois bien ça. C’est pas l’ tout d’ rende les copains veufs, faut-il ensuite leur donner un coup d’ main pour qu’y r’constituassent un foilier. Ma nouvelle femme, j’ l’aim’rerais fille d’ cultivateur, la bonne baiseusse ardente au chibre et qu’aye pas honte quand la fantaisie t’ prend d’ la pratiquer par la sortie d’ scours, malgré qu’ t’eusses un baobab sous la ligne d’ flottaison. Moi, ma d’vise, c’est presqu’ le tit’ d’un film : “L’ con, la broute et l’ trou rond.” Un complet, quoive ! »

Je laisse le veuf inconsolable à ses perspectives de réorganisation et vais m’attifer.

VENDREDI

Région d’Innsbruck, 10 h 40

J’ai toutes les peines du monde (et de sa périphérie) à dissuader le Gros de prendre séance tenante le petit déjeuner. Il n’a eu que son breakfast et, veuf ou non, il entend se sustenter pour pouvoir mieux affronter les heures noires.

Nous filons directo à la cabine du gus qui, la veille au soir, est allé causer avec Berthe au wagon-bar.

J’ai la certitude de ne pas l’y trouver, estimant que c’est lui qui a procédé à la décarrade de la Bérurière au cours de la nuit. Aussi, juge de ma stupeur tonitruante quand, à la suite de mon toc-toc, on me crie d’entrer et que je le trouve assis sagement dans son compartiment, les pieds sur un tabouret recouvert de velours, en train de lire L’Evénement du Jeudi, ce qui dénote de sa part une culture certaine. Je te l’ai déjà signalé, naguère, il est archiblond, avec un teint qui hésite entre la coupe-rose et le coup de soleil, un regard indéfinissable. Ce morninge, il porte un futal de lainage à minuscules carreaux blancs, noirs, marron, ainsi qu’un beau blouson de daim de couleur fauve dressé.

Il me défrime d’un air indifférent, sans marquer de surprise ni d’agacement. Pas un mot. J’arrive, c’est à moi de jacter.

— On peut parler ? demandé-je.

Geste vague, désinvolte, mais d’acceptation.

Je fais signe à Bébé-Lune de demeurer dans le couloir et ferme la porte. Sans hésiter, je produis ma carte prouvant comme quoi, et il m’en donne acte d’un acquiescement très bref.

— Tard dans la soirée, attaqué-je, vous vous êtes rendu au bar et avez échangé quelques mots avec une forte dame qui s’y trouvait ?