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— Si c’est elle la plus dangereuse pour vous, alors séduisez-la.

— Quelle idée détestable !

— Si elle est amoureuse, elle sera aveugle...

— Je n’aime pas ta façon de traiter les gens comme des pions.

— Et comment nous traite-t-on, nous ?

— Donc toi, tu ne la vois pas brûler le visage d’un cadavre... Moi, je ne sais pas... En tout cas, elle ne manque pas de fermeté. Elle s’est présentée sous son nom de jeune fille et aucun membre n’ose l’appeler « Mme de Joucy », alors qu’ils sont probablement tous contre le divorce...

— C’est le seul autre membre dont nous connaissions l’adresse. Elle ignore apparemment que la police enquête sur elle. Je fais surveiller son domicile, dans le faubourg Saint-Germain.

— Emploies-tu des hommes de confiance, comme je te l’ai demandé ?

— Je réponds d’eux. Pour le moment, ils n’ont rien repéré de bien intéressant quant à son quotidien.

Margont se leva.

— Allons nous dégourdir les jambes.

Il se dirigea vers la butte Montmartre et en entreprit l’ascension à pas lents. C’était facile, si facile... Mais, si les Alliés arrivaient aux portes de Paris, ils attaqueraient forcément Montmartre. Alors, à chaque pas, Margont avait l’impression d’enjamber déjà les cadavres ennemis qui s’accumuleraient peut-être sur ces pentes.

— Qu’as-tu appris sur Honoré de Nolant ? De lui, j’ignore tout si ce n’est que le groupe l’avait désigné pour éventuellement m’égorger. Donc il est capable de tuer. Il l’a peut-être déjà fait... C’est celui que je connais le moins et, en même temps, c’est l’un des plus dangereux.

— Il est effectivement à craindre, parce qu’il a beaucoup à se faire pardonner... Les rapports de la police m’ont livré des éléments intéressants sur lui. Sa famille appartenait à la noblesse champenoise. Adolescent, il gravitait dans l’entourage de Louis XVI. Il faisait la lecture au roi, ce genre de choses ineptes. C’était vraiment un proche. Mais il a vite senti le vent tourner et, dès 1790, il s’est mis à renseigner secrètement des députés de l’Assemblée nationale constituante. Il révélait les moindres faits et gestes du roi, de Marie-Antoinette, du dauphin... D’après ce que j’ai lu, c’est lui qui, le premier, a signalé la disparition du roi et de sa famille, la nuit du 20 juin 1791...

— La fuite du roi... Celle qui s’est terminée à Varennes, parce qu’un maître de poste, Jean-Baptiste Drouet, a reconnu Louis XVI...

— C’est que Honoré de Nolant est malin. Quand il a donné l’alerte, la famille royale était déjà sur les routes. Il a prétendu qu’il avait réagi dès qu’il s’était rendu compte que le roi n’était plus là. Mais, moi, je pense qu’il a misé sur les deux partis à la fois. Si Louis XVI avait pu gagner l’étranger, Nolant, qui était certainement au courant de ce plan et qui avait peut-être même participé aux préparatifs, aurait été récompensé par la suite. Mais, une fois le roi arrêté, les révolutionnaires cessèrent de considérer Honoré de Nolant comme un simple espion et le traitèrent en un vrai révolutionnaire. Il se rebaptisa « Denolant » et suivit une carrière fulgurante. En 1793, il espionnait pour le compte du Comité de salut public, cet amalgame de sanguinaires ― Robespierre, Couthon, Saint-Just... ― qui voulaient guillotiner tous les Français !

— Encore un espion ? Varencourt, moi, maintenant Nolant...

— Quand on nage dans les eaux troubles d’une anguillère, on ne se plaint pas de croiser sans arrêt des anguilles...

— Il est impossible que les Épées du Roi sachent cela ! Ils n’auraient jamais accepté un tel homme dans leurs rangs ! Ils ne doivent connaître qu’une partie de son histoire...

— Ensuite, il a travaillé pour le Tribunal révolutionnaire. Si cela se trouve, il a peut-être un jour retranscrit proprement le nom de Louis de Leaume en ajoutant la mention « condamné à la guillotine ». Quand Bonaparte se fit proclamer empereur des Français, Honoré de Nolant devint impérialiste et trahit les partisans de la République. Il avait noué bien des contacts, à l’époque où il évoluait dans l’entourage de Louis XVI, puis dans les hautes sphères des milieux révolutionnaires. Fouché, alors à la tête de la Police générale, décida donc de le prendre dans son ministère, où Nolant rendit, dit-on, de grands services. Il aidait à établir les dossiers sur les royalistes, les révolutionnaires et les républicains opposés à l’Empereur. Seulement, en janvier 1810, on commença à le suspecter de détourner de l’argent. Honoré de Nolant disparut aussitôt, du jour au lendemain ! La police finit par découvrir qu’il l’avait bernée. Il prétendait avoir de nombreux informateurs qui ne traitaient qu’avec lui. Mais, en réalité, la plupart d’entre eux n’existaient pas et Honoré de Nolant gardait pour lui les sommes qu’il prétendait leur verser. En échange, il inventait des complots républicains, des projets d’assassinats. ... Il vendait du vent. Très cher, paraît-il. La Police générale l’exècre.

— Il n’a pas dû partir les mains vides, et je ne te parle pas que d’argent... Il est certainement arrivé chez les Épées du Roi les bras chargés de dossiers. Voilà pourquoi il a été admis dans le comité directeur ! C’est lui qui leur permet d’être si bien informés. C’est grâce à lui qu’ils échappent sans cesse à la police ! Il a dû donner les noms des enquêteurs chargés de traquer les organisations monarchistes, ceux de leurs informateurs... Il a peut-être aussi conservé des amis au ministère de la Police générale qui continuent à le renseigner. Je comprends pourquoi Joseph et Talleyrand m’ont choisi. Moi, je n’ai rien à voir avec toutes les polices de l’Empire.

— Voilà pour Honoré de Nolant.

— Le groupe doit se méfier de lui. On lui fait payer ses trahisons en le chargeant des sales besognes... Il est obligé de prouver sa loyauté en versant le sang. Voilà un traître professionnel : royaliste, révolutionnaire, républicain, impérialiste, à nouveau royaliste... C’est certainement lui qui a su qui il fallait assassiner pour désorganiser la défense de Paris. Lui connaît la situation de l’intérieur. Il a dû citer le nom du colonel Berle ! Il est au minimum complice de ce crime !

— Calmez-vous... Vous êtes dans un état !

— Les autres, au moins, suivent une certaine philosophie. Même Charles de Varencourt, qui est fidèle à sa passion du jeu. Mais Honoré de Nolant...

— S’il est arrêté, la police le fera pendre. Sauf si l’armée le fait fusiller avant...

— Je ne vois aucun rapport entre le feu et lui.

Ils atteignirent le sommet de Montmartre. Paris s’étendait sous leurs yeux. Louis XIV avait imprimé la marque de son règne avec des réalisations grandioses : les Invalides dont le dôme doré miroitait comme un deuxième soleil – suscitant des rêveries que l’inquiétude dissipait aussitôt –, la place Vendôme... Napoléon avait agi de même, pour signifier qu’il était aussi grand que le Roi-Soleil : la colonne de la place Vendôme, l’Arc de Triomphe en cours de construction, l’église de la Madeleine qui imitait les temples gréco-romains, la percée de la rue de Rivoli, les ponts d’Austerlitz, d’Iéna et des Arts... Paris ressemblait à un vaste échiquier sur lesquels les puissants accumulaient palais et autres ornements comme autant de pions somptueux.

— Et enfin, Jean-Baptiste de Châtel. Il est né en 1766, dans une famille de la noblesse orléanaise. Très tôt, il a intégré l’abbaye cistercienne de Pagemont, dans le Loiret. Ce n’est pas comme vous, lui voulait vraiment devenir moine. Mais il s’est vite fait renvoyer, discrètement, sous prétexte de graves problèmes de santé, car l’Église souhaitait éviter un scandale. Pourquoi d’après vous ?