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Dévorée par la curiosité, elle essayait de l’amener à lui en dire plus. Margont prit un air soucieux.

— Nous sommes extrêmement inquiets à son sujet. Vous a-t-elle expliqué ?

— Non, elle ne m’a presque rien appris sur lui. Même pas son nom. Lors de sa deuxième visite, celle durant laquelle je suis intervenue, je lui ai dit : « Encore un homme marié qui vous a fait de belles promesses et qui ne veut maintenant pas quitter sa femme... » Elle a éclaté d’un rire amer et m’a répondu : « Exactement ! Excepté le fait que son épouse est morte ! Comment rompt-on avec un mort ? »

— C’est une bien triste histoire...

Il essayait d’être le plus évasif possible. Brûlant d’en apprendre plus, elle ajouta :

— Elle a seulement dit : « Lui qui a déjà perdu un si grand nombre des siens, voilà qu’il va en perdre un de plus sans même le savoir. Décidément, le sort s’acharne à tuer ses enfants juste avant leur naissance... » C’est donc si terrible ?

Elle se pencha en avant, de peur de perdre une seule des confidences que Margont, croyait-elle, s’apprêtait à lui chuchoter.

— Oui. Mais, au jour d’aujourd’hui, déclara-t-il, c’est pour Mlle de Saltonges que je m’inquiète. Elle est si blanche, si faible... A-t-elle beaucoup saigné ?

— Forcément, pour une grossesse de plus de deux mois...

Réalisant enfin avec regret que son interlocuteur ne lui révélerait rien, elle se résolut à changer de sujet.

— Mais, dans votre cas, monsieur ?

Bref instant de flottement. Puis Margont se ressaisit.

— Non, concernant mon amie, ce n’est que le premier mois.

— Alors il est possible qu’une décoction de plantes et un massage du ventre suffisent. En cas d’échec ou si vous tardez trop, j’emploie l’aiguille. Mais j’ai l’habitude. Si votre amie décide de faire appel à mes services, elle devra me donner son nom. Son vrai nom, car je vérifierai... J’ai besoin de savoir ce genre de choses. C’est ma façon de m’assurer qu’il n’y a pas de tricherie, que vous n’êtes pas un policier... Parfois aussi, il peut arriver qu’en découvrant l’identité de la personne, je choisisse de refuser mes services. Vous seriez très étonné d’apprendre quelles personnes célèbres et puissantes m’ont fait contacter. Même l’épouse d’un maréchal... Dans ces cas-là, c’est toujours non, quel que soit le prix que l’on me propose. Mais vous pouvez compter sur ma totale discrétion.

La pièce située derrière la porte fermée faisait plus que jamais sentir sa présence. Catherine de Saltonges s’y était rendue, rongée par l’hésitation ; l’odeur de son sang en imprégnait encore l’air ; des femmes y étaient mortes...

— Je vais y songer, annonça-t-il.

Il se leva en affichant l’air de l’homme mis en confiance et qui va accepter de confier la vie de celle qu’il aime à une femme qu’il connaît à peine. Ils se saluèrent cordialement et Margont s’en alla. Il ne lui avait même pas révélé son nom. Tandis qu’il passait le seuil, sa peau frissonna sous la caresse glacée des fantômes de celles qui avaient péri là.

CHAPITRE XVII

S’étant débarrassé de Michel, Margont raconta tout à Lefîne. Tandis qu’il parlait, un goût amer lui emplissait la bouche, comme s’il avait croqué dans une prune sans attendre qu’elle fût mûre. Il s’en voulait de s’être plongé ainsi dans la vie privée de Catherine de Saltonges. À peine eut-il terminé ce récit qu’il se jeta à corps perdu dans les hypothèses.

— Elle a menti à son amant – par omission – en lui laissant ignorer qu’elle était enceinte. Elle a agi ainsi alors qu’elle a horreur du mensonge !

— Et vous, vous jouez les espions, vous trichez et manipulez alors que, d’ordinaire, vous vous vantez d’être sincère, honnête, loyal...

— Le monde est devenu une gigantesque nef des fous où tout est sens dessus dessous... Le père est-il l’un des membres des Épées du Roi ?

— C’est très probable, puisqu’il n’y a qu’eux qu’elle fréquente. D’après la police, son divorce l’a coupée de ses anciennes relations. Michel et son frère la surveillent depuis le début de notre enquête : elle se promène souvent, dans les jardins publics ou dans le faubourg Saint-Germain, mais elle ne va chez personne, ni ne reçoit.

— Elle était enceinte depuis plus de deux mois... L’enfant a dû être conçu aux alentours de début janvier 1814... Elle a hésité avant de se séparer de lui. Si le père est bien l’un de nos suspects, il existe l’éventualité que ce soit lui l’assassin. Si tel est le cas, est-elle au courant ? Est-elle son complice ? Elle a dit à la faiseuse d’anges – quelle appellation stupide ! ― que le père devait régler une affaire... Elle a aussi évoqué le fait qu’il avait déjà perdu beaucoup des siens. Ce pourrait être Louis de Leaume ou Jean-Baptiste de Châtel... Mais les autres aussi ont dû voir des membres de leur famille disparaître sous la Révolution. On n’en sait pas assez sur le passé de nos suspects, je te l’ai déjà dit !

— Je fais de mon mieux pour me renseigner ! Eux non plus n’en savent pas assez sur votre passé, autrement...

Il s’arrêta net, l’air fautif. Margont songea une nouvelle fois aux risques que cette affaire lui faisait courir. Il s’était battu aux quatre coins de l’Europe, contre les Autrichiens, les Hongrois, les Russes, les Prussiens, les Anglais, les Espagnols... Et, aussi bien, il allait se faire tuer ici, à Paris, assassiné par un Français. Décidément, le destin ne manquait pas d’humour ; il devait rire, attablé dans cette taverne tout au bout de la rue et trinquer avec la Mort à son décès tout en l’observant à travers la fenêtre. Ces sombres pensées furent balayées par une illumination.

— Le père va venir lui rendre visite ! Même s’il n’a peut-être rien deviné, il a dû remarquer des changements en elle. Elle n’était pas, elle ne pouvait pas être comme d’habitude ! S’il tient à elle, il doit s’inquiéter à son sujet. Ou alors, c’est elle qui va aller à lui. Elle a failli mourir et elle a perdu un enfant qu’elle aurait voulu garder ! Elle a besoin du soutien de cet homme. Je vais rester ici. Rappelle Michel pour qu’il me seconde.

— Moi, je suppose que je vais devoir me renseigner à nouveau sur nos suspects...

Margont n’était pas doué pour faire le guet. L’attente l’exaspérait. Il essayait de mettre à profit ce laps de temps pour songer à son enquête, penser à nouveau à ce soir où il avait rencontré le comité directeur des Épées du Roi. Peut-être un détail lui avait-il échappé. À la lueur de ce qu’il savait maintenant, le souvenir de cette rencontre se parait de nouvelles teintes. Qui pouvait être l’amant tourmenté de Catherine de Saltonges ? C’était Louis de Leaume qui s’était adressé à elle pour lui présenter ce nouvel admis. Fallait-il voir là une marque de connivence entre eux ? Ou n’avait-il pris la parole que parce que c’était son rôle de chef ? Ce n’était probablement pas Honoré de Nolant... Catherine de Saltonges avait semblé avoir en horreur l’idée de meurtre, elle aurait empêché son amant d’être le bourreau du groupe... Quoique...