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— Il y a d’étranges similitudes, en effet... Des coïncidences... Mais il n’en faut pas plus pour enflammer un esprit trop mystique.

— Il fera la guerre à Dieu et à l’Église ― Napoléon a annexé les États pontificaux à l’Empire et, sur son ordre, Pie VII a passé presque cinq ans en résidence surveillée, à Savone puis à Fontainebleau. Il essaiera de se faire passer lui-même pour un dieu. Mais son règne sera éphémère. Dieu le renversera avec aisance et rapidité. Tout cela est principalement raconté dans l’Apocalypse, parce que c’est la venue de l’Antéchrist qui déclenchera l’Apocalypse.

Il marqua une pause avant de reprendre d’une voix posée :

— Jean-Baptiste de Châtel semble vouloir appliquer la Bible à la lettre. De ce fait, en m’y plongeant moi aussi, c’est presque comme si je lisais directement dans ses pensées... Si l’on y songe, ce n’est guère étonnant qu’il n’ait que les Saintes Écritures en tête. S’il a passé plusieurs années dans les prisons de l’Inquisition avec pour seule activité la lecture de la Bible...

— Alors ce serait ça, le « troisième plan » : assassiner l’Empereur par le feu ?

— Les damnés ne sont-ils pas supposés brûler en enfer ? C’est une hypothèse. Châtel aurait ses motifs mystiques, mais d’autres membres pourraient le soutenir, pour des raisons politiques. Cependant, il y en a un autre qui pourrait bien être influencé par la Bible...

— Qui donc ?

— Louis de Leaume. Comme pour tout aristocrate, son enfance a été baignée par la religion. On devait le conduire à l’Église, lui parler de Dieu, lui citer la Bible... J’ignore quelle importance avait la foi pour lui à l’époque. Mais, par la suite, il est en quelque sorte mort, puis ressuscité, il s’est relevé d’entre les morts... Il est impensable qu’il n’ait pas fait le lien entre son histoire et celle de la résurrection du Christ. La question est donc : quelle est la teneur exacte de ce lien ? Y voit-il seulement une similitude, une coïncidence ? Ou un signe de Dieu ? A-t-il lui aussi basculé dans le mysticisme à outrance ?

— Il est sûr que l’on ne devrait jamais mélanger politique et religion...

— Tu parles d’or.

— Hélas, cet or-là ne me rapporte rien. Comment avez-vous fait pour trouver tous ces passages dans la Bible ? Vous n’avez quand même pas pu la lire en entier...

— J’y ai passé une partie de mes nuits. Mais c’est parce que je la connais bien que j’ai pu découvrir aussi vite ce que je cherchais. Mes années d’apprenti moinillon m’ont été fort précieuses...

Pour Lefïne, toute la culture religieuse de Margont constituait une inutile séquelle de son passé, une écharde qu’il avait renoncé à extirper de l’esprit de son ami. Margont, au contraire, y puisait une grande force, plus qu’il ne voulait l’admettre.

— Je suis sûr que nous n’avons pas assez exploré cette piste du feu, conclut Margont. Il faudrait trouver une façon différente d’aborder cette énigme...

Ils convinrent d’un rendez-vous le lendemain et se séparèrent.

Lefïne n’était pas parti depuis quelques instants que l’on tapa à la porte. Margont empoigna un pistolet et le pointa droit devant lui.

— C’est encore moi... annonça Lefine.

Margont lui ouvrit. Il fut bousculé par son ami que l’on poussait à l’intérieur et la petite pièce se retrouva bondée. Il y avait là Louis de Leaume, Jean-Baptiste de Châtel et Honoré de Nolant ainsi que deux autres hommes que Margont ne connaissait pas. Tous étaient armés et s’empressèrent de lui ôter son pistolet. Le vicomte de Leaume jubilait. Lefine déclara :

— J’ai amené quelques amis...

CHAPITRE XX

Louis de Leaume triomphait, comme si Margont et lui avaient disputé une partie d’échecs et qu’il venait de mettre son adversaire en difficulté.

— Qui est cet homme ? demanda-t-il à Margont en désignant Lefine de l’index.

— Je m’appelle Fernand Lami, monsieur le vicomte, répondit l’intéressé. Je sais tout et je suis des vôtres.

Jean-Baptiste de Châtel sourit avec ironie.

— Oh non, vous ne savez pas tout...

Margont nota que ce commentaire irritait Louis de Leaume. Il vit là un nouvel indice en faveur de l’hypothèse que ce groupe préparait un troisième plan dont il était tenu à l’écart. Lefine gardait son sang-froid.

— Voilà des années que je connais M. le chevalier de Langés. Nous avons servi dans les mêmes régiments, le 18e, puis le 84e. Côtoyer la mort, forcément, cela crée des liens... Vous voulez le retour du roi ? Moi aussi ! Pas pour les mêmes raisons, mais qu’importe ?

— Et quelles sont les vôtres ?

— Qu’il n’y ait plus la guerre, que je puisse quitter l’armée et que M. le chevalier de Langés me prenne à son service, comme il me l’a promis. Gardien de ses futures forêts domaniales ! Un travail pas fatigant et bien payé. Mon rêve est peut-être petit, mesquin et égoïste, mais c’est ainsi que je rêve...

— Vous nous l’aviez caché, celui-là... dit Louis de Leaume à Margont.

Il paraissait réticent à s’adresser à une personne de basse extraction. Margont s’irrita de son attitude, mais sut se reprendre à temps et affecta de la trouver naturelle.

— Mais, monsieur le vicomte, vous, vous m’aviez caché ceux-là...

Il désignait les deux inconnus qui avaient entrepris de fouiller partout. Ils soulevaient la paillasse, tournaient les pages des livres, déplaçaient les objets, vidaient la malle...

— Ce sont d’autres membres de notre groupe... commença Louis de Leaume.

— Nous n’avons pas le temps ! l’interrompit Jean-Baptiste de Châtel.

Margont songea que celui-ci suivait une tactique cohérente. Il provoquait sans cesse le vicomte de Leaume. Si ce dernier perdait son calme, il se discréditerait lui-même. Qui voudrait d’un chef incapable de se contrôler ? Mais, en se laissant faire, il perdait peu à peu de son autorité, puisqu’il ne parvenait pas à s’imposer auprès de ce membre indocile... Les Épées du Roi ne constituaient pas un bloc homogène, mais un objet fragile, fissuré, perpétuellement sur le point de voler en éclats.

Honoré de Nolant fouillait Lefine. Il trouva un couteau et un pistolet qu’il posa sur le plancher. En palpant, il sentit un objet dans une poche. Il le saisit, contempla le bouton doré, n’eut aucune réaction et le replaça là où il l’avait pris. Margont fut fouillé de même par Châtel.

— Chevalier, vous ne verrez point d’objections à ce que nous nous rendions sur-le-champ à votre imprimerie ? lui demanda celui-ci.

Ils se mirent en route. Les deux membres que Margont ne connaissait pas demeurèrent dans son logement, poursuivant leurs recherches. Margont ne s’en inquiétait pas. Hormis des blattes et des puces, il n’y avait rien à trouver... Finalement, Joseph avait eu raison de lui interdire de consulter directement les rapports de la police... Quant à la lettre de Joseph, bien malin celui qui parviendrait à la dénicher...

Au-dehors, cinq autres personnes se manifestèrent, émergeant de l’ombre des ruelles adjacentes. Des hommes dans la force de l’âge et qui affichaient un air déterminé. Deux d’entre eux retournèrent dans la pénombre, pour faire le guet afin de protéger leurs complices demeurés dans l’auberge. Les trois autres emboîtèrent le pas au groupe, mais à bonne distance, formant une arrière-garde prête à accourir en cas de danger.

Margont observait tout, mémorisait tout. Il assistait à une démonstration de force de la part de ses adversaires. Ceux-ci étaient mieux organisés qu’il ne l’avait cru jusqu’à présent. Ils semblaient capables de mener au combat une petite troupe. Projetaient-ils de tenter un coup d’éclat ? En octobre 1812, lors de la retraite de Russie, alors que la Grande Armée était en pleine débâcle, le général Malet, un officier républicain emprisonné en raison de son hostilité à l’Empereur, s’était lancé dans une folle tentative. Désireux de rétablir la République, il s’était évadé de la maison de santé où il était détenu. Il avait ensuite accumulé les coups d’audace. Se présentant en uniforme dans une caserne en prétendant être le général Lamotte, il avait annoncé... que l’Empereur était mort en Russie. Son aplomb, son assurance lui avaient permis de convaincre la 10e cohorte de la garde nationale. Il avait alors fait libérer deux autres généraux républicains et arrêter Pasquier, le préfet de police, et Savary, le ministre de la Police générale. Mais le gouverneur de Paris, le général Hulin, avait refusé de le soutenir, ce qui lui avait valu une balle dans la mâchoire de la part de Malet. Le général Malet avait finalement été arrêté, puis fusillé après un procès expéditif, mais avait bel et bien réussi à faire vaciller le trône impérial. Si Louis de Leaume avait le cran d’un Malet, étant donné qu’il disposait de moyens supérieurs et que la situation actuelle était pire encore que celle d’octobre 1812, il pouvait effectivement réussir à frapper un grand coup. Tout dépendait des plans qu’il poursuivait.