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Dieu le veut !

«Détestable », songea Margont. Cette expression, « Dieu le veut ! », avait été prononcée par le pape Urbain II, en 1095, lors de son célèbre discours qui appelait à la croisade pour « libérer » la Terre Sainte. Cette harangue avait joué un rôle majeur dans le déclenchement de la première croisade. Et cette façon de tutoyer le peuple, quelle arrogance ! Quant aux mots « ton Roi » : comme si l’on était obligé d’en avoir un...

Un sifflement strident retentit depuis la rue. Le baron de Nolant et Jean-Baptiste de Châtel soufflèrent les bougies, plongeant les lieux dans les ténèbres.

— Qu’est-ce qui se passe ? chuchota Lefine.

— Silence !

On perçut des pas au-dehors. Margont attendait avec anxiété que ses yeux s’habituent à l’obscurité. Mais il ne distinguait toujours rien. Il commença à s’inquiéter. Et si quelqu’un l’attaquait, ici, par surprise ? L’un des hommes présents était peut-être l’assassin qu’il cherchait... Celui-ci ne l’avait-il pas démasqué ? N’allait-il pas s’approcher de lui pour le poignarder ? Margont tendit les bras devant lui, espérant ainsi détecter un assaillant qui se serait rapproché à pas de loup. Il entreprit de se déplacer en silence et, en même temps, il s’en voulait. Il était devenu le jouet de ses peurs.

Un long moment plus tard, un sifflement retentit à nouveau, plus grave et plus bref. Honoré de Nolant ralluma une chandelle.

— Nous allons partir, annonça-t-il. Chevalier, il nous faut plus d’affiches. Vous pourriez former quelques-uns des nôtres au métier d’imprimeur.

— C’est trop risqué. Chaque imprimerie possède un délateur à la solde de la police or j’ignore qui est le mien. En outre, les censeurs et la police nous rendent régulièrement visite. Il vaut mieux que j’agisse seul. Je pourrai imprimer quelques affiches, de temps en temps. À force, j’en obtiendrai des centaines...

Louis de Leaume acquiesça.

— Très bien. De toute manière, mieux vaut que nous ne remettions jamais les pieds ici.

Ils s’en allèrent, abandonnant Margont et Lefme, qui devaient tout remettre en ordre afin de ne pas éveiller les soupçons des employés. Bien sûr, ils emportèrent les affiches.

Une fois seuls, Lefine dit à Margont :

— J’aimerais bien voir la tête de Joseph quand vous lui annoncerez comment vous avez utilisé l’imprimerie qu’il a mise à votre disposition...

CHAPITRE XXII

Le 24 mars 1814, les Alliés tenaient un conseil militaire, non loin de Vitry. Une fois de plus, la confusion régnait. Que faire ? Personne n’était du même avis, mais il fallait bien s’entendre, puisque la désunion serait exploitée par Napoléon. La veille, des cosaques avaient capturé un cavalier chargé de remettre un courrier à l’Empereur. La missive émanait de Savary, le ministre de la Police générale. L’angoisse imprégnait les mots comme une colle.

« On est complètement à bout de ressources, la population est découragée. Elle veut la paix à tout prix. Les ennemis du gouvernement impérial entretiennent et fomentent dans le peuple une agitation encore latente, mais qu’il sera impossible de réprimer si l’Empereur ne réussit pas à éloigner les Alliés de la capitale, à les entraîner à sa suite loin des portes de la capitale... »

Oui, mais ne s’agissait-il pas d’un piège ? Si les Alliés tournaient le dos à Napoléon pour marcher sur Paris, leurs communications seraient menacées, voire coupées. Il leur faudrait donc s’emparer très vite de la capitale !

Le Tsar hésitait. Il avait été trop hardi à Austerlitz, ce qui avait précipité l’armée austro-russe dans le piège de Napoléon, la conduisant à la catastrophe. Au contraire, durant la campagne de Russie, la majorité de ses soldats l’avaient jugé trop prudent ! Aujourd’hui encore, nombreux étaient ceux qui pensaient que les Français auraient pu être battus avant d’arriver à Moscou, à la bataille de Borodino-la Moskova, si Alexandre et le haut état-major n’avaient pas douté de leurs soldats... Il s’agissait d’un point de vue absurde, mais tout paraît toujours si simple après coup. Alors, tantôt il se disait qu’il ne répéterait pas l’erreur d’Austerlitz et devenait prudent à outrance, tantôt il songeait à sa chère Moscou détruite et avait envie de lancer au pas de charge son armée sur Paris. Ou alors sur Napoléon. Quoique, à bien y songer, à Austerlitz... Étonnamment, ce jour-là, ses conseillers se mirent d’accord. Paris !

Le Tsar rêvait depuis longtemps déjà de prendre Paris, pour venger Moscou. Donc Paris !

Schwarzenberg, le généralissime, fit preuve de modestie, qualité inhabituelle chez quelqu’un de son rang. Napoléon l’avait battu avec sa petite armée. Bien d’autres généraux se seraient empressés de tenter de prendre leur revanche. Mais Schwarzenberg jugea que l’Empereur était meilleur tacticien que lui et qu’il valait mieux éviter de le combattre. Alors Paris.

Frédéric-Guillaume III, le roi de Prusse, était du même avis.

La décision était presque prise. Dans ce pile-Napoléon, face-Paris, la pièce penchait beaucoup, mais hésitait encore... Le général Winzingerode, un Allemand passé au service du Tsar et qui avait la réputation d’être le meilleur sabreur des Alliés, eut une idée qui améliorait leur plan. Il suggéra de marcher sur la capitale tout en faisant croire à Napoléon que l’on avait décidé, au contraire, de se lancer à sa poursuite. Il se proposait de se diriger lui-même vers Napoléon – avec dix mille cavaliers, de l’artillerie à cheval et de l’infanterie – et de se comporter exactement comme s’il commandait l’avant-garde des armées alliées. Son idée rencontra un vif succès.

Donc ce fut Paris.

CHAPITRE XXIII

Le 25 mars, Napoléon se trouvait près de Wassy et s’interrogeait sur les intentions de ses adversaires. Vers Bar-sur-Aube, Brienne-le-Château, Joinville, Montier-en-Der, Saint-Dizier : partout, il avait expédié en reconnaissance des détachements de cavalerie.

Enfin, on repéra l’ennemi ! Du côté de Saint-Dizier ! L’Empereur exultait, persuadé que les Alliés entamaient un mouvement rétrograde pour protéger leurs communications. Avide de maintenir une forte pression sur eux, il lança aussitôt son armée dans cette direction, croyant fondre sur une avant-garde qui était en réalité une arrière-garde d’arrière-garde.

En revanche, à plusieurs lieues de là, les maréchaux Marmont et Mortier, qui avaient été séparés de Napoléon par les affrontements et les manoeuvres des jours précédents et qui espéraient le rejoindre avec leurs vingt mille hommes, s’aperçurent que l’armée de Bohême et celle de Silésie – en tout maintenant deux cent mille soldats ! ― étaient venues se placer entre l’Empereur et eux. Ils se replièrent aussitôt, poursuivis par les Alliés. En moins de quarante-huit heures, attaqués à plusieurs reprises, ils perdirent huit mille hommes... Mais, contre toute attente, les gardes nationaux, que l’ennemi ne prenait pas au sérieux, se battirent avec détermination et efficacité. Marmont et Mortier poursuivirent leur retraite héroïque. Ils ne pouvaient plus faire qu’une seule chose : rejoindre Paris. Ils amèneraient bientôt un renfort inespéré à la capitale.

Napoléon fila à une telle allure sur Winzingerode qu’il prit celui-ci de vitesse. Dès le 26 mars, la cavalerie française s’abattit sur ses cosaques. Des canons se mirent à accabler les Russes, ceux de l’artillerie à cheval, qui s’était déjà placée en position. Winzingerode se réjouissait de voir que son plan fonctionnait, mais il était dépassé par son propre succès ! Trop de Français, trop vite ! Il voulut établir une position solide à Saint-Dizier pour les contenir. Il était de la plus haute importance qu’il tienne bon pour continuer à berner l’Empereur. Mais les Français survenaient déjà en ordre de bataille : Macdonald, la Garde impériale... L’infanterie du maréchal Oudinot jaillissait en torrent de la forêt de Val et se dirigeait sur la ville. Winzingerode fut vivement délogé de Saint-Dizier, perdant des hommes et de l’artillerie, puis à nouveau repoussé, et encore bousculé. Les dragons de la Garde impériale et quelques mamelouks galopaient à sa poursuite, chargeant tout ce qui s’opposait à eux ; l’armée française suivait cette cavalcade et fondait sur lui dès que ses troupes essayaient de se ressaisir ; Napoléon croyait avoir saisi l’armée de Bohême au col et la malmenait de toutes ses forces. Mais il se retrouva avec de la paille dans les mains : il ne secouait qu’un épouvantai !, un leurre...