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— Charles de Varencourt m’a tout raconté, annonça Margont.

— C’est faux ! s’énerva Varencourt.

— Je ne vous crois pas... dit le vicomte de Leaume.

C’était justement parce qu’il commençait à se poser la question qu’il le niait...

— Vous voulez encore des preuves ? demanda Margont. Charles m’a expliqué que vous vouliez tuer l’Empereur avec une aiguille imprégnée d’un poison rare aux propriétés étonnantes. Celui-ci passe par le sang et une seule goutte suffit à terrasser un homme. Son nom est curare et il est utilisé par les tribus indiennes d’Amazonie. Il paralyse les muscles et la victime meurt par suff...

— Mais je n’ai rien dit ! assura Charles de Varencourt, qui se demandait qui avait bien pu faire ces révélations à Margont.

Ce dernier jubilait. Ses adversaires se jetaient des regards déroutés, ne sachant comment faire face à ce renversement de situation. Margont s’adressa à Varencourt :

— Allons, rassurez-vous, Charles, vous pouvez cesser de jouer la comédie. La police a encerclé les lieux. Nous avons gagné ! Vous allez pouvoir réaliser votre rêve : passer le reste de votre vie à perdre au jeu les vingt mille francs que Joseph vous a promis.

Varencourt perdit son sang-froid. Il fut sur le point de tirer sur Margont, mais Louis de Leaume lui saisit le bras et l’obligea à abaisser son arme.

— Maintenant ! hurla Margont tout en bondissant sur Honoré de Nolant, qui avait tourné la tête vers Leaume et Varencourt.

Lefîne, aguerri aux corps-à-corps, s’élança avec la vivacité d’un chat sur Jean-Baptiste de Châtel, qui tira, mais un instant trop tard : Lefine avait déjà repoussé l’arme et la balle s’en alla meurtrir une commode. Louis de Leaume aurait pu se débarrasser de Margont, qui lui tournait le dos et rouait de coups de poing Honoré de Nolant. Mais, convaincu de la culpabilité de Charles de Varencourt, il mit d’abord hors de combat celui-ci en lui assenant un coup de crosse à la mâchoire. Le temps de ramasser l’arme de Varencourt, qui s’était effondré en gémissant, et de se retourner : Margont et Lefine passaient déjà la porte. Durant leur empoignade, Margont avait contraint Honoré de Nolant à lâcher son arme, mais n’était pas parvenu à s’en emparer. Ce dernier la récupéra et, de concert avec le vicomte et Châtel, qui sortait un pistolet de petit calibre de sa poche, il se lança à la poursuite des deux fugitifs. Margont dévalait l’escalier à toute allure, par bonds. En bas, l’homme qui les avait guidés pointait son pistolet sur lui. Étant désarmé, Margont se transforma lui-même en projectile en s’élançant sur son adversaire depuis la hauteur des cinq dernières marches qui le séparaient du rez-de-chaussée. Il le percuta à pleine vitesse, le projetant contre la porte. Le dos de ce dernier vint heurter violemment la poignée et il s’effondra en hurlant. Lefine se jeta sur l’arme tombée à terre. Il fit volte-face et la braqua vers le sommet des marches, tandis que Margont ôtait les verrous de la porte. L’autre homme demeuré en bas avait disparu, ayant peut-être raccompagné Catherine de Saltonges, à moins qu’il ne fût posté à l’extérieur. Lefine visa une silhouette. Il ne distinguait pas son poursuivant, à contre-jour, mais devinait que celui-ci le visait aussi. Lefine se concentra sur son tir. Aucune pensée ne vint troubler sa concentration. Il ne se laissa pas perturber par la peur, la pitié... Il ne songeait pas à sa situation, ne pensait pas à ce qui lui arriverait s’il venait à rater sa cible... Non, il ne voyait qu’une ligne imaginaire, une droite filant du canon de son arme jusqu’à son adversaire, qui avait bénéficié de plus de temps pour ajuster son tir, mais ne parvenait visiblement pas, lui, à maîtriser ses craintes. Il tarda et Lefine fit feu. La silhouette s’effondra et, par réflexe, les deux hommes qui se tenaient derrière elle refluèrent pour se mettre à l’abri.

Margont et Lefine se précipitèrent au-dehors et traversèrent la cour au pas de course. L’homme chargé de bloquer l’étroit passage fit son apparition, un pistolet à la main. Il leur barrait l’issue. Lefine s’apprêtait à l’assaillir, mais Margont cria :

— La police ! La police !

Et leur adversaire s’enfuit, se volatilisant dans les ruelles ! L’obsession du secret, qui avait si bien servi les Épées du Roi jusqu’à présent, se retournait contre eux. Soucieux de minimiser le risque de fuites, le vicomte de Leaume n’avait pas prévenu cet homme que Margont et Lefine étaient des espions ! Des volets grincèrent et un coup de feu retentit. Une balle vint éclater contre l’angle d’un mur, au moment où les deux fugitifs disparaissaient à leur tour dans les rues. Lefine passa devant et, après des détours, parvint enfin à retrouver le pont d’Austerlitz.

— À l’aide ! hurla Margont à l’attention d’une file de Marie-Louise.

Les jeunes conscrits brandirent leurs fusils dans toutes les directions. Les uns voulaient protéger ce pauvre bougre effaré qui courait vers eux ; les autres s’apprêtaient à tirer sur lui pour sauver Lefine qu’ils prenaient pour sa victime ; d’autres encore imitaient leurs frères d’armes sans avoir encore décidé sur qui faire feu ; la foule, épouvantée, s’éparpillait de peur d’une fusillade ; plusieurs hommes que l’on aurait pu prendre pour de simples passants sortaient des pistolets de sous leurs manteaux ; des gardes nationaux faisaient leur apparition, fusil dans les mains... Tout le monde faillit tuer tout le monde. Le calme revint peu à peu. L’un des civils armés marcha jusqu’à Margont, l’arme abaissée pour éviter une méprise.

— Je me réjouis de vous voir saufs ! Je suis M. Palenier. Comme convenu, nous vous suivions, mais nous vous avons perdus sur le pont, à cause de cette damnée charrette ! Où se trouvent ceux que nous devons arrêter ?

— Imbéciles ! Incapables ! fut tout ce que Margont put répondre en lui postillonnant au visage.

CHAPITRE XXXV

Margont raconta ce qui s’était passé à Palenier, qui, à son tour, informa Joseph. Quand ce dernier apprit que les Épées du Roi projetaient d’assassiner son frère, il entra dans une colère épouvantable. Sous ses cris et ses critiques, on percevait la peur. Il abattit aussitôt toutes ses cartes d’un seul coup, mais ne parvint pas à remporter la partie.

Les membres de sa police personnelle investirent divers logements où l’on pensait que des membres des Épées du Roi se cachaient, mirent la main sur des suspects... La « trésorerie » fut découverte et on arrêta l’homme qu’avait blessé Margont. Cependant, ce prisonnier ne put rien révéler. Leaume, avec sa manie du secret, ne l’avait informé de rien. Celui sur qui avait tiré Lefine s’était enfui avec les autres. Il avait semé une traînée de gouttes de sang dans les escaliers. Cette piste sanglante s’interrompait dans la cour, le fuyard ayant dû prendre soin de contenir l’hémorragie avec un mouchoir. Lefine pensait que l’on retrouverait non loin de là le cadavre de Charles de Varencourt. Ce ne fut pas le cas. Margont émit l’hypothèse que le long laps de temps mis par les agents de Joseph pour encercler les lieux – car Lefine avait eu du mal à retrouver cette bâtisse – avait prouvé aux autres l’innocence de Charles de Varencourt. Ou alors, il avait réussi à s’échapper en profitant de la panique.

Des meneurs, seule Catherine de Saltonges fut arrêtée, le plus simplement du monde. Elle avait regagné son domicile, où la police de Joseph avait fait irruption un peu plus tard, alors qu’elle rassemblait ses affaires pour quitter Paris, croyant disposer de plusieurs heures avant que les chefs de Margont et de Lefine ne s’inquiètent de leur disparition. Si bien que c’était la moins coupable qui avait été prise, justement parce qu’elle avait refusé d’assister à un double meurtre ! On l’avait conduite à la prison du Temple, où Palenier l’interrogeait – sans la maltraiter, avait-il juré sur l’honneur, quand Margont s’était inquiété du sort qui attendait la prisonnière.