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Il revoyait l’incendie de Moscou. Quatre jours de feu ! Et les lendemains... Les quatre cinquièmes de la ville détruits, vingt mille morts... De ces milliards de milliards de flammes s’était en quelque sorte détachée une flammèche qui brûlait encore aujourd’hui, dix-huit mois plus tard, alimentée par l’esprit de Charles de Varencourt. Elle avait parcouru deux mille cinq cents kilomètres pour arriver jusqu’à Paris, avec un seul but : embraser Napoléon... Un retour de flammes.

Cela pouvait sembler dérisoire : un homme contre un empereur et les milliers de personnes qui veillent sur lui. Mais la flamme d’une seule bougie peut réussir à consumer une forêt entière...

Margont allait sortir lorsqu’il revint sur ses pas pour retourner voir Catherine de Saltonges. Assise sur sa couche, elle était prostrée, le regard perdu dans le vague. Il déposa le bouton à ses côtés.

— Cela vous appartient, murmura-t-il.

Elle posa les yeux sur l’objet, le prit et l’enserra délicatement dans ses paumes, comme si elle caressait la dernière étoile qui brillait encore dans son univers.

CHAPITRE XL

Margont, Lefine, Palenier et son subordonné se rendirent chez Varencourt. Les rues de ce quartier, boueuses et malodorantes, évoquaient un marais qui se serait faufilé entre des rangées de maisons délabrées. L’adresse indiquée par Charles de Varencourt à la police était effectivement un « pigeonnier », comme l’avait appelé Lefine. En d’autres circonstances, il aurait été comique d’observer ces hommes se pressant là pour fouiller, se gênant les uns les autres, se cognant la tête à la charpente... Quatre policiers occupaient déjà les lieux avant leur arrivée et avaient déclaré n’avoir rien découvert d’intéressant.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Palenier à Margont, l’air de rien.

— J’avoue que je suis dépité. Le groupe avait prévu de nous faire disparaître, mon ami et moi. Heureusement, il y a eu votre intervention salvatrice !

Palenier rougit, mais continua à regarder Margont, ne voulant pas perdre la face devant ses hommes.

— Certes, nous n’avons arrêté que Catherine de Saltonges et un homme de main, reprit Margont. Cependant, Charles de Varencourt n’a pas eu le temps de repasser ici. C’eût été courir trop de risques. J’avais espéré que nous découvririons des indices... Il possède au moins deux logements. Celui-ci – où résidait le « Varencourt qui trahit au profit de l’Empire » ― et l’autre, où il doit se trouver actuellement. C’est là-bas qu’il a entreposé les poisons et tout ce dont il a besoin pour mettre en oeuvre son plan. Ici, il y avait toujours le risque que la police cesse de lui faire confiance et surgisse pour tout inspecter de fond en comble...

— Sa maîtresse, elle, connaît sûrement l’autre adresse...

— J’en doute, au contraire. Regardez l’assassinat du colonel Berle, la complexité de leur plan, le double jeu qu’il a mené : Charles de Varencourt est prudent, méticuleux. Je ne pense pas qu’il aurait commis une telle erreur. D’autant plus que, grâce à Louis de Leaume, il peut disposer d’un grand nombre de logements. Et puis, il s’agit sûrement d’un taudis de ce genre. Vous imaginez-vous vous livrant à des ébats amoureux au milieu de fioles de poison qui vont servir à assassiner quelqu’un ? Peut-être se rencontraient-ils chez elle, mais je ne le pense pas, car Catherine de Saltonges a des domestiques : ceux-ci auraient jasé... Ils devaient plutôt se rendre dans une hôtellerie, en se faisant passer pour un couple en voyage. De toute façon, il ne faut pas se leurrer, elle ne nous dira plus rien.

Il s’approcha de la paillasse sur laquelle les policiers avaient aligné les objets qu’ils avaient trouvés. Une bien maigre pêche.

Il saisit d’abord la Bible et l’ouvrit là où se trouvait un marque-page. Alors que cet exemplaire était récent – la reliure n’était pas abîmée et la tranche des pages était blanche –, les deux feuillets mis en valeur étaient sales, froissés et abîmés. On avait rayé les phrases, à la plume, avec colère, en déchirant parfois le papier, pour ne laisser subsister qu’un seul verset. Comme si l’on avait voulu signifier que Dieu n’existait pas, qu’il ne fallait pas aimer son prochain et que, dans la Bible, tout était à jeter à la corbeille excepté ces quelques lignes. Margont fut déçu, parce qu’il ne s’agissait pas de l’un des passages auxquels il avait songé. Il lut :

— Deutéronome, chapitre 19, verset 21 : « Tu ne jetteras aucun regard de pitié : vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. »

— La loi du talion... commenta Palenier. Nous avions bien compris de quoi il retournait...

Margont porta alors son attention sur le marque-page, sursauta et en lâcha la Bible qui s’écrasa sur le sol.

— Ne touchez plus à rien ! s’exclama Palenier, qui, préoccupé par cette histoire de poison fulgurant, songeait soudain que Varencourt avait peut-être piégé son appartement avec des aiguilles enduites de curare.

Margont ramassa la Bible, puis le marque-page. Il s’agissait d’une pochette en papier. À l’intérieur se trouvait une mèche de cheveux d’un blond très clair. Elle ne provenait pas de la chevelure de Catherine de Saltonges. L’épouse moscovite de Charles de Varencourt avait dû la lui offrir, juste avant qu’il ne rallie l’armée russe. Voilà probablement tout ce qui restait de cette femme aujourd’hui...

Les autres objets étaient d’usage courant : un peigne, un broc, des vêtements... Rien qui eut un lien avec le passé russe de Charles de Varencourt ou avec ses projets actuels.

Faubourg Saint-Germain, dans l’hôtel particulier de Catherine de Saltonges, ils ne firent aucune découverte intéressante. Des policiers avaient lu des lettres trouvées dans un secrétaire, mais aucune n’émanait de Charles de Varencourt ; les livres de la bibliothèque ne présentaient pas de particularité ; les domestiques confirmèrent que Varencourt ne s’était jamais rendu là...

Quand Margont décida de s’en aller, Palenier lui serra la main en lui disant :

— Tenons-nous au courant si nous avons du nouveau !

— Mais cela fonctionne toujours de moi à vous, jamais en sens inverse...

— Pas du tout !

— J’ai compté six policiers chez Mlle de Saltonges, quatre chez Varencourt. Avec celui qui vous accompagne et vous-même, cela fait douze personnes. Toute une armée ! D’autant plus que je suppose que ce n’est que la partie visible d’un dispositif plus vaste encore...

— Mais c’est qu’il y va de la sécurité de l’Empereur ! Il s’avère qu’il est malheureusement impossible d’avertir Sa Majesté de ce danger. Avec tous ces ennemis entre l’armée et nous...

Titubant de sommeil, Margont s’en alla, accompagné de Lefine.

Timidement, le jour se levait, aventurant quelques rayons de soleil qui traçaient des bandes dorées entre les nuages. C’était déjà le 29 mars. Margont enfourcha sa monture. Mais Lefine restait immobile.

— J’ai une requête, dit-il. Notre enquête est bloquée. De ce côté-là, on ne peut qu’attendre la suite des événements. ... Faut-il vraiment que je rentre sur-le-champ à la caserne ? Oh, je serai là pour la grande bataille, n’en doutez pas. Mais, dans la mesure où nous serons peut-être tués tous les deux demain, de quelle manière vais-je passer mes dernières heures ? À présenter les armes sous les invectives de notre colonel et néanmoins ami ? Ou en compagnie d’une charmante personne qui m’est chère ?

Margont prit un papier et rédigea un laissez-passer. Il signalait son identité, son grade et le fait que Lefine et lui étaient en mission sur l’ordre personnel de Joseph Ier.