Pour nous sauver reste avec nous
Croyez, s’il ne nous sauve nous,
Qu’il se sauvera bien lui-même !
Les maréchaux Marmont et Mortier arrivaient aux abords de la capitale et positionnaient aussitôt leurs douze mille soldats pour protéger la ville.
Les Alliés, eux, organisaient leurs multitudes de combattants. Des troupes furent dépêchées pour occuper divers points stratégiques, d’autres seraient tenues en arrière, en soutien ou pour faire face à l’éventuelle arrivée de Napoléon. L’attaque de Paris allait être menée par une vague d’assaut de cent trente-cinq mille hommes répartis en trois colonnes géantes, trois Titans. Les Alliés s’attendaient à une faible résistance, mais ils allaient néanmoins jeter toutes leurs forces disponibles dans la bataille. Parce qu’il leur fallait vaincre le plus vite possible.
Au fur et à mesure que les régiments arrivaient en vue de la capitale, ils exultaient. Des dizaines de milliers de voix criaient « Paris ! Paris ! » tout en brandissant des fusils et des sabres.
CHAPITRE XLIII
Ce 30 mars, on battait la générale dans les faubourgs de Paris. Le front français, en arc de cercle, s’étirait sur seize kilomètres et constituait la ligne de défense extérieure, aux abords de la capitale. Il s’organisait en deux ailes. Le maréchal Mortier commandait celle de gauche, à l’ouest ; le maréchal Marmont celle de droite, à l’est ; Joseph Bonaparte vint se placer au centre.
On avait rassemblé toutes les troupes possibles et imaginables : des soldats de l’armée régulière, les gardes nationaux, les gendarmes, les polytechniciens, les saint-cyriens, les pompiers de Paris, ceux de la Garde impériale, les étudiants, des marins, des volontaires en civil, les invalides, les vieux vétérans... En tout : quarante-cinq mille combattants. Mais un grand nombre n’avaient jamais combattu. Seulement vingt et un mille furent déployés sur la ligne de défense extérieure. Les autres demeurèrent en garnison dans Paris.
La seule chance de l’emporter consistait à tenir jusqu’à ce que Napoléon jaillisse dans le dos des Alliés pour y semer le chaos et l’effroi. Si une telle chose se produisait, cette monumentale coalition se retrouverait prise entre le marteau et l’enclume et subirait peut-être bel et bien une défaite cataclysmique.
Les Alliés l’avaient très bien compris et décidèrent de donner l’assaut avant même d’avoir achevé leur déploiement.
À six heures du matin, depuis les hauteurs de la Villette, le maréchal Mortier donna l’ordre de tirer le premier coup de canon. La bataille de Paris débutait.
Joseph Bonaparte avait établi son quartier général au sommet de la butte Montmartre. Il était confiant, parce qu’il n’avait tout simplement pas réalisé la situation. On lui avait annoncé que, le 26, Napoléon avait remporté une nouvelle victoire à Saint-Dizier. Il en avait déduit que l’impétueuse manoeuvre des Alliés n’avait été qu’un feu de paille ! Il croyait que son frère obligeait ces derniers à battre en retraite en ce moment même et qu’allaient apparaître devant Paris seulement quelques corps d’armée isolés. On entendait bien le canon, sur la droite, du côté de Marmont. Mais personne ne menaçait Montmartre pour le moment.
La butte avait été fortifiée – des fossés, des palissades et des levées de terre – et dotée de sept canons manoeuvrés par une soixantaine d’artilleurs. L’infanterie qui défendait ces retranchements se composait de deux cent cinquante pompiers de la Garde impériale.
Des troupes avaient été placées en avant de cette position, dont des gardes nationaux de la 2e légion. Saber se trouvait là, en grand uniforme de colonel commandant de légion. Il était furieux, parce qu’il n’avait pu conduire ici qu’une partie de ses effectifs. Seuls six mille soldats de la garde nationale avaient été préposés à la défense extérieure. Les autres étaient demeurés dans Paris, pour y assurer l’ordre et garnir la ligne de défense intérieure, aux barrières (qui n’étaient que des palissades entravant les portes de la capitale, afin d’empêcher que les gens n’échappent aux taxes douanières). Saber déployait ses soldats en tirailleurs, dans les vignes, les prés, les jardins...
— Nous protégeons un point clé ! répétait-il. On ne peut pas s’emparer de Paris sans prendre d’abord Montmartre. Vous reculez : Paris est perdu ! Vous tenez bon jusqu’à ce que l’Empereur survienne : Paris est sauvé ! C’est simple : Paris, c’est vous !
Il affichait une grande assurance.
— Faites de chaque arbre, de chaque trou un bastion !
Dépassant ses positions, il se retrouva en train d’inspecter les bataillons du régiment de ligne qui côtoyait sa légion. Margont, confus, se cachait le visage de la main. Ça, c’était bien Irénée ! Il était colonel depuis moins de trois mois et il se comportait déjà comme le général de brigade responsable de ce point du champ de bataille ! Mais on manquait tant d’officiers expérimentés que même les soldats qui n’étaient pas placés sous ses ordres l’écoutaient, le saluaient, s’exclamaient : « Vive le colonel Saber ! »...
Lefine et Piquebois s’aménageaient un retranchement. Ils avaient abattu un peuplier et élaguaient les branches. Leurs hommes les imitaient et des arbres tombaient ici ou là.
— On aurait dû faire ça il y a quinze jours ! pestait Lefine.
Margont regardait vers la droite. Là-bas, le vacarme des combats allait en grandissant...
Sur l’aile droite, dès le début de la bataille, une heure avant le lever du soleil, le maréchal Marmont avait lancé une attaque pour le moins audacieuse. Voulant reprendre le plateau de Romainville, qui avait été évacué la veille, il avait pris la tête d’une partie de ses troupes et les avait conduites à l’assaut de cette position. Il avait nettement sous-estimé les forces de l’ennemi. Mais ce dernier avait aussi surestimé les siennes et avait fini par se replier dans le village ! Si bien que, dans ce secteur, les affrontements avaient commencé par une spectaculaire et paradoxale avancée des Français.
Mais les Alliés avaient poursuivi leur déploiement et, ayant pu mobiliser des renforts, ils attaquaient désormais la droite française de tous les côtés.
Sur l’aile gauche, les Alliés avaient déjà pris du retard sur leur plan de bataille, car coordonner les mouvements de telles quantités de troupes était d’une complexité invraisemblable. Mais ils s’apprêtaient maintenant à lancer une attaque de grande envergure contre les hauteurs de la Villette.
Vers dix heures du matin, partout, la bataille s’intensifiait. Depuis le sommet de Montmartre, on vit apparaître des troupes ennemies, encore assez loin au nord, au niveau du Bourget. Leur masse enflait, enflait, enflait... Une division. Non, des divisions. Un corps d’armée. Deux, peut-être... Non : plusieurs corps d’armée...
La réalité de la situation s’imposait enfin à Joseph. Où que se posât sa longue-vue, il apercevait des assaillants. La ville de Saint-Denis était contournée et des milliers de tirailleurs envahissaient la plaine, juste devant lui, telles des nuées de sauterelles.
Joseph était de plus en plus inquiet. Un messager venait de lui transmettre un message émanant du Tsar, qui l’invitait d’un ton menaçant à négocier... Il prit la décision de regagner Paris, suivi par quelques proches.
— Où est-ce qu’il va ? demanda Margont.
— Il doit se porter sur un point où la situation est critique... hasarda Piquebois.
Saber ricana.
— Il n’y a qu’un seul endroit où Joseph devrait se trouver et c’est au sommet de Montmartre, car c’est la clé de voûte de notre centre. Donc il s’enfuit. Voilà. La défense de Paris vient d’être décapitée sous vos yeux. Désormais, chacun fait ce qu’il peut de son côté.
Au château des Brouillards, Joseph s’entretint brièvement avec le conseil de défense, dont faisaient partie, entre autres, le général Clarke, ministre de la Guerre, et le général Hulin, gouverneur de Paris. Il leur montra la lettre du Tsar. Le conseil décida de faire cesser le combat. Joseph envoya un message au maréchal Marmont, pour lui faire savoir qu’il l’autorisait à entrer en pourparlers avec les Alliés.