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Marmont reçut cette missive. Mais celle-ci ne lui donnait pas l’ordre de mettre un terme aux affrontements, elle proposait seulement cette option, si Mortier et lui ne pouvaient plus tenir leurs positions. Or justement, Marmont contenait les attaques adverses et pensait que l’on pouvait encore faire face, peut-être jusqu’à l’arrivée de Napoléon ! Il envoya immédiatement le colonel Fabvier informer Joseph de son point de vue, en espérant le faire changer d’avis.

Fabvier se rendit au sommet de la butte Montmartre, ne trouva pas Joseph, tourna bride et se lança à sa recherche, mais fut bien incapable de le retrouver, car Joseph galopait déjà en direction de Saint-Cloud.

Le maréchal Marmont prit la décision de poursuivre le combat.

Les heures passaient et les Français résistaient toujours avec acharnement. Mais la situation devenait de plus en plus critique.

L’aile droite était progressivement refoulée.

La défense du village de Montreuil s’était effondrée sous les coups combinés de la Garde russe, de la Garde prussienne et de la Garde badoise.

Le village de Pantin avait été pris et demeurait aux mains des Russes et des Prussiens en dépit des assauts forcenés du général Curial, qui avait voulu le reprendre.

Les Russes et les Prussiens avaient repris les jardins de Romainville et y avaient aussitôt positionné une batterie qui bombardait les Français pour les tenir à distance. Le général Raïevski – celui-là même qui avait héroïquement défendu la Grande Redoute durant la bataille de la Moskova – avait lancé une division de grenadiers à la rencontre du maréchal Marmont, qui conduisait une contre-attaque dans l’espoir de reconquérir le plateau, et l’avait repoussé.

Marmont s’était replié sur Le Pré-Saint-Gervais et alternait défense et contre-attaques.

Des troupes wurtembergeoises et autrichiennes renforcées par de la cavalerie russe s’aventuraient au sud-est, afin de déterminer s’il était possible de contourner la ligne française. Le château de Vincennes, fermement tenu en main par le général Daumesnil et garni de canons de gros calibre, représentait un problème de taille... Elles contournèrent cet obstacle, s’emparèrent de Saint-Maur, de Charenton et de Bercy. La cavalerie russe de Pahlen – hussards, uhlans, dragons et cosaques – voulut alors tourner le maréchal Marmont, mais fut arrêtée par vingt-huit canons maniés par les élèves de Polytechnique, soutenus par des gardes nationaux, quelques gendarmes, des dragons et des cuirassiers.

Des renforts alliés continuaient d’affluer de tous les côtés, telles des abeilles venant s’agglutiner sur chaque position française.

La gauche française était-elle aussi durement malmenée.

Après de violents combats, le village d’Aubervilliers avait été pris par les Russes du général Lange-ron, un aristocrate français passé au service de la Russie peu après la Révolution.

Les villages de la Villette et de la Chapelle avaient résisté pendant des heures, sous un déluge d’artillerie. Mais ils avaient fini par succomber aux assauts sans cesse renouvelés des généraux Kleist, York et Woronzow.

Des cosaques, envoyés en éclaireurs, atteignaient le bois de Boulogne, à la recherche d’une faille qui permettrait de contourner le maréchal Mortier pour le prendre à revers.

Le général Langeron avait été ralenti pendant des heures, en partie à cause de la résistance inouïe de la ville de Saint-Denis, due à l’acharnement de Savarin et de ses huit cents hommes. Six mille Russes avaient ainsi été tenus en échec et leur général, Kapzevitch, avait fini par informer Langeron qu’il lui était impossible de prendre Saint-Denis. Ce dernier avait dû composer avec ce problème imprévu. Mais, maintenant que les points de résistance d’Aubervilliers, de la Villette et de la Chapelle avaient été anéantis, il pouvait enfin porter toute son attention sur l’un de ses objectifs principaux : Montmartre.

Leaume avait demandé à tous ses membres de se rassembler. Mais seuls une quinzaine d’entre eux avaient répondu à son appel. Ils auraient dû être quarante ! Ah ça, pour parler et ergoter et chicaner et critiquer, il y avait toujours du monde ! Seulement, maintenant qu’il fallait agir...

Depuis des heures, le vicomte de Leaume et les siens s’activaient à décourager les Parisiens. Ils se rendaient aux barrières de la capitale, où des volontaires en civil demandaient aux gardes nationaux de leur fournir des armes. Ils se mêlaient à ces hommes comme s’ils étaient des leurs et tentaient de les démoraliser par d’habiles paroles. « Il faut se dépêcher, nous sommes à un contre dix ! Si on tarde encore, tout est perdu ! » « Comment cela, pas de fusils pour nous ? Et comment qu’on va se battre ? Autant ouvrir tout de suite les portes aux Prussiens ! » « Vous entendez ce vacarme ! Ce sont tous les Alliés qui nous tombent dessus ! » Au bout d’un moment, on leur jetait des regards suspicieux. Il était alors temps pour eux d’annoncer qu’ils allaient essayer de se procurer des armes ailleurs... Des royalistes d’autres groupes faisaient la même chose un peu partout.

Honoré de Nolant trouvait cette stratégie parfaitement appropriée. Varencourt – qui avait retrouvé la confiance du groupe, puisqu’il était apparu que la police n’encerclait pas la « trésorerie » au moment de leur fuite – l’avait opéré pour lui retirer la balle que le comparse de Margont lui avait logée dans le bras. Nolant souffrait toujours et estimait avoir eu son compte de coups de feu.

Mais, pour Leaume et Châtel, il fallait en faire plus ! Ils abandonnèrent Honoré de Nolant – qui soutenait que sa blessure l’affaiblissait, qu’il ne pouvait plus marcher... ― et, avec leurs hommes, ils allèrent s’armer de pistolets et d’épées dans l’une de leurs caches. Quand ils regagnèrent les rues, ils arboraient tous des cocardes et des écharpes blanches et des emblèmes des Épées du Roi.

Prenant la tête de cette petite troupe, le vicomte de Leaume se dirigea vers la barrière de Montmartre. C’était le point idéal, car un peu plus loin au nord se trouvait la butte Montmartre, où Joseph Bonaparte avait établi son quartier général. S’il causait du trouble à cet endroit, les Français chargés de la défense extérieure entendraient des coups de feu dans leur dos et s’affoleraient. Ils croiraient qu’un parti ennemi les avait contournés et se glissait entre Paris et eux pour leur couper la retraite. Il s’agissait d’un pari risqué. Mais, en cas de succès, les conséquences seraient grandioses ! Si Joseph perdait son sang-froid – et il était bien homme à le perdre –, s’il dévalait la butte au galop pour se réfugier dans Paris de peur d’être tué ou capturé, tous ceux qui l’entouraient abandonneraient en catastrophe leurs positions pour se replier avec leur chef. Alors, ce serait lui, le vicomte de Leaume, qui, par un coup d’audace, permettrait aux Alliés de s’emparer de la butte Montmartre désertée. Quel triomphe ce serait ! Un coup de maître ! Un coup de roi !

Mais il fut dépité quand la barrière de Montmartre fut en vue. Le nombre de gardes postés là était bien supérieur à ce qu’il avait imaginé : une centaine de gardes nationaux, des invalides qui avaient repris les armes, des volontaires qui voulaient des fusils... Pourtant, habituellement, cette barrière-là n’était pas l’une des plus fréquentées. Son groupe s’arrêta, indécis.

Leaume avait basé ses calculs sur le fait que la quasi-totalité des défenseurs serait postée sur la ligne de défense extérieure. Cela semblait couler de source au vu de la disproportion des forces en faveur des Alliés. Il avait donc organisé l’attaque d’un point supposé mal défendu, or ce n’était pas le cas. Leaume songea que l’inorganisation était telle que la seconde ligne de défense était surprotégée, au détriment de la première. Puis il se ravisa. Ne fallait-il pas voir là la preuve que les groupes royalistes parisiens avaient bel et bien réussi à effrayer Joseph ?