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Il brandit son sabre en direction de Paris.

— Contre-attaque à la baïonnette !

— Tu es fou, Irénée ! Nous sommes encerclés ! Tout est perdu ! Regarde autour de toi ! Il n’y a plus personne, tout le monde est mort !

— Avec moi les morts ! hurla-t-il.

Et il s’élança droit sur les Russes qui leur coupaient la retraite. Au pas de course, le long de la pente descendante, vers Paris. Une quarantaine de défenseurs le talonnaient, chargeant à la baïonnette. Il y avait Piquebois avec eux, le sabre brandi, promesse d’une mort imminente pour tous ceux qui tenteraient de l’intercepter.

— Contre-attaque ! cria Margont à son tour.

Il se jeta lui aussi dans la tourmente, suivi par Lefïne. Il était impossible de tenir leur position actuelle. Ou il montait cette pente, ou il la descendait. Or il venait d’avoir une sorte de prémonition. Là-haut, au pied d’un moulin de Montmartre – peut-être même exactement là où il s’était allongé pour rêvasser, quelques jours plus tôt –, l’attendait sa tombe. Aussi préférait-il se jeter dans les bras de la mort plutôt que de se laisser attraper par elle.

Dans cet univers en perdition, les simples soldats ne savaient plus quoi faire. Quand ils virent un colonel, un major, un capitaine et d’autres fantassins se lancer sur les Russes, ils les imitèrent, espérant que ces officiers les guidaient vers la voie du salut.

Jusque-là, les Russes avaient été les assaillants. Cette charge désespérée les prit par surprise. Les Français, dévalant la pente, les percutaient à pleine vitesse. Les premiers ennemis furent embrochés et les autres rejetés en arrière. Les Russes reculaient, non pas de leur plein gré, mais parce qu’ils étaient bousculés par ces fous de Français emportés par leur élan. Ils glissaient, perdaient pied, trébuchaient et roulaient... Et tous ces hommes heurtaient ceux qui les suivaient, les déstabilisant à leur tour... De ce côté-là, la pente était trop raide, elle ne permettait pas de s’y tenir fermement... Ce n’était plus une contre-attaque, mais la course frénétique d’une meute de chiens français lancés dans un jeu de quilles russes. Les Russes se retrouvèrent en train de refluer sous la pression. Les Français, encouragés par ce miracle, se déchaînaient. La finie des combats leur avait fait perdre la raison, ils se croyaient invincibles, immortels... Bien que fondant sous les balles et les coups de baïonnette, ce groupe parvint à traverser les lignes adverses, qui se refermèrent derrière lui.

Margont, Piquebois et Lefine comptaient parmi ces rescapés qui couraient en direction de Paris, tandis que, tout au sommet de la butte, les Russes massacraient sur leurs pièces les derniers canonniers encore en vie. Margont pleurait : Saber n’était pas parmi eux.

Un aide de camp de Marmont avait tenté de rejoindre le sommet de Montmartre, pour savoir si Joseph avait laissé quelqu’un pour commander la défense de ce point.

Il ne put s’acquitter de sa mission, car Langeron avait lancé son assaut. Mais il assista aux dernières minutes de la résistance de Montmartre et à la charge de Saber. Il retourna présenter son rapport au maréchal.

— C’est extraordinaire ! s’exclama Marmont. Le roi Joseph, qui est supposé nous commander tous, n’est plus là ! Et c’est un colonel commandant de légion qui s’illustre à sa place ! Comment s’appelle-t-il, ce colonel ?

— C’était la 2e légion du colonel Saber, Votre Excellence.

— Je veux qu’il soit notifié à l’Empereur que je demande respectueusement à Sa Majesté de bien vouloir promouvoir ce colonel au rang de général de brigade. Parce qu’avec une poignée d’hommes seulement, il a réussi à malmener ce maudit Langeron !

— Mais... Votre Excellence... Ce colonel est mort, je l’ai vu tomber de mes propres yeux...

Le visage du maréchal se fît plus dur.

— Qu’est-ce que cela change ? Qu’on le fasse général à titre posthume.

Des régiments de l’armée de Silésie, la Garde russe et la Garde prussienne s’étaient enfin emparés des hauteurs de Chaumont. Les Prussiens y étaient si nombreux que l’on voyait fourmiller leurs masses bleues le long des pentes et sur les sommets. On croyait assister à une inondation. Cette vague venait de submerger les buttes herbeuses et semblait maintenant sur le point de se répandre dans toute la capitale pour l’engloutir.

Ces troupes prenaient ainsi à revers le maréchal Marmont et l’obligeaient à se replier sur Belleville. En outre, elles s’empressèrent de placer en batterie leurs canons et leurs obusiers. Quand elles ouvrirent le feu, leurs tirs s’abattirent sur la ville de Paris elle-même.

La pièce était minuscule, perchée tout au sommet d’une vieille habitation. Ses murs et ses poutres étaient décorés de dizaines de tableaux, entassés les uns contre les autres, cadre contre cadre. Des batailles navales où sombraient des navires en flammes, le grand incendie de Londres en 1666, un feu de forêt, des soleils couchants qui paraissaient embraser le ciel... Partout, ce n’étaient que des tons rouge feu, écarlates, orangés et jaune vif qui contrastaient avec les étendues noir suie. Si bien que ce logement semblait brûler en permanence.

Varencourt se tenait face à l’unique lucarne, observant la bataille, au loin, comptant les panaches de fumée. Il vit distinctement des formes noires traverser le ciel et retomber sur les maisons. Le plus souvent, il n’assistait pas à l’impact. Mais, de temps en temps, un projectile frappait de plein fouet le toit d’un édifice, projetant des débris, ou percutait un angle et faisait s’effondrer tout un pan de bâtisse, libérant des monceaux de poussière. Une maison vola en éclats. Un autre obus fit se disloquer une toiture dans les airs. La cadence de tir s’accrut. Les détonations se mêlaient les unes aux autres et finirent par se fondre en un crépitement continu. Désormais, cela tombait de tous les côtés. Ici, une fumée noire s’élevait – un premier feu ! –, là un bâtiment s’écroulait et ensevelissait une rue... Un peu partout, au nord-est de Paris, des débris s’élevaient en gerbes et les colonnes de fumée s’accumulaient. Varencourt prit une flasque de vodka achetée dans les ruines de Moscou, après le départ des Français. Il n’y avait jamais goûté, la conservant pour cette occasion. Il se versa un verre et porta un toast aux boulets qui détruisaient Paris. Quand l’eau-de-vie s’écoula dans sa gorge, il eut l’impression que le feu de l’incendie de Moscou s’engouffrait en lui.

Napoléon galopait toujours, désormais accompagné seulement de quelques proches et d’une centaine de cavaliers. Tout ce qu’il voulait, maintenant, c’était arriver à Paris pour prendre le commandement des troupes de la capitale.

Le front français tout entier finit par ployer sous le nombre. Les hauteurs étaient perdues, les défenses extérieures submergées et il n’y avait toujours aucun signe annonçant l’arrivée de l’Empereur. À quatre heures, le maréchal Marmont, blessé au bras et qui venait de frôler la capture, envoya trois officiers aux avant-postes ennemis pour demander une suspension d’armes.

Les Alliés avaient perdu neuf mille soldats, blessés ou tués ; les Français quatre mille.

Le silence avait quelque chose d’irréel. Les oreilles bourdonnaient encore du fracas des combats, comme si elles-mêmes ne parvenaient à croire au retour du calme.

Catherine de Saltonges, recroquevillée dans un coin de sa cellule, sortit de sa torpeur. Ce silence avait un sens, il lui murmurait quelque chose : les Alliés avaient gagné. Mais elle, elle avait tout perdu. Presque tout. Il ne lui restait que sa fierté ! Malgré les souillures infligées par son ancien époux, les désastres dus à la Révolution, son incapacité à garder son amant dans ses bras, la perte de son enfant, oui, malgré tout cela, rien ne parviendrait jamais à briser sa fierté.

Elle se leva, marcha jusqu’à la porte et se mit à taper du plat de la main.

— Messieurs les geôliers ! Voilà, ça y est ! Il est l’heure pour nous d’échanger nos places !