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— Le Tsar mort et Paris rayé de la carte par le feu car les Russes incendieront tout ! Une vengeance contre les deux responsables, parce que même si Alexandre ne voulait pas la destruction de Moscou, il a été incapable d’enrayer la succession d’événements qui a abouti à cette catastrophe. Tout a commencé à Moscou, tout va finir à Paris. Dès le désastre de la retraite de Russie, Charles de Varencourt a deviné que, tôt ou tard, l’Empire finirait par s’effondrer. Il est donc venu ici et il a préparé son plan tandis que, petit à petit, le Tsar et les autres têtes couronnées d’Europe se rapprochaient de la France, en rêvant de faire un jour leur entrée triomphale dans Paris, comme nous avons nous-mêmes défilé dans Vienne, Berlin, Madrid, Moscou. ... Il a progressivement adapté son plan aux événements et aux opportunités... Sa vie ayant été détruite, il n’y avait que le feu en lui. Le feu et le jeu. Le jeu est peut-être la seule activité qui soit capable de tenir tête au feu. Grâce au jeu, il ressent des sensations fortes, comme il me l’a lui-même confié. Le jeu emplit temporairement le vide qui est en lui et tient donc le feu à distance, pendant quelques heures... Seule Catherine de Saltonges aurait pu tout empêcher. Avec elle, Varencourt a failli refaire sa vie une nouvelle fois. Elle a trouvé un jour le bouton abîmé et a fini par tout découvrir. Malheureusement, elle n’a pas réussi à triompher du passé de son amant...

Lefine demeurait sans voix.

— Où est le Tsar ? lui demanda Margont.

— Cela fait plus de trois heures qu’il est passé devant nous...

— Si j’ai raison, c’est maintenant que Charles de Varencourt va mettre son plan à exécution. Parce que c’est le meilleur moment. Tous les Alliés sont encore sous le choc des combats d’hier... Il faut que nous fassions prévenir le Tsar !

CHAPITRE XLV

Varencourt sortit de son logement de repli. Il s’était attendu à traverser des rues vides, mais point du tout. Des Parisiens, curieux jusqu’à en être aventureux, voulaient voir de près les soldats alliés. On le regardait avec consternation et les civils s’éloignaient de lui. Aurait-il eu le visage rongé par la lèpre qu’on ne l’aurait pas plus évité. Car il arborait un uniforme de major de la garde nationale, ce qui risquait de lui attirer des coups de feu... Pour se le procurer, il avait agi au culot, faisant irruption dans un magasin militaire et montrant la lettre de Joseph. Il avait eu ce qu’il demandait en moins de deux heures.

Il marchait avec l’assurance de celui qui n’a plus rien à perdre, puisque, dans très peu de temps, il serait mort. Il lançait l’ultime étape de ce plan qu’il tramait depuis des mois, il abattait ses dernières cartes.

Il perçut des bruits de pas battant les pavés, ainsi que le martèlement de sabots. Une troupe nombreuse. Les Alliés poursuivaient leur déploiement dans Paris.

Varencourt fit son apparition, levant haut les bras, la lettre de Joseph dans une main et un tissu blanc dans l’autre. Il ne portait aucune arme. Dans l’avenue défilait en ordre impeccable une colonne de Prussiens et de Russes. Des carabiniers russes passaient juste à ce moment-là – guêtres noires, culottes et habits vert sombre, shakos ornés d’un long plumet noir. L’irruption de cet « officier français » sema le désordre. Des fantassins tournèrent la tête, mais continuèrent à marcher, comme s’ils n’en croyaient pas leurs yeux ; d’autres rompirent les rangs et encerclèrent Charles de Varencourt en le mettant en joue ; deux capitaines survinrent, sabre au clair ; des mousquetiers qui suivaient se déployèrent dans les rues, faisant s’enfuir les badauds parisiens comme s’envolent des pigeons...

— Je suis un messager ! Je ne suis pas armé ! expliqua posément Varencourt en russe.

Qu’un seul homme tire et il s’effondrerait. Mais cette éventualité ne l’effrayait pas. Les morts ont-ils peur de mourir ? Au contraire, au fond de lui, il jubilait, tel le mathématicien qui teste enfin l’équation qu’il a passé des mois à mettre au point.

Aucun coup de feu n’éclatait. Ce Français brandissait un drapeau blanc et il n’avait aucun geste hostile. En outre, il s’agissait d’un officier supérieur : celui qui l’abattrait aurait des comptes à rendre à sa hiérarchie. Enfin, il parlait russe... comme un vrai Russe !

Un chef de bataillon vint placer son étalon devant Varencourt. Ce dernier lui dit, toujours en russe :

— Je suis le major Margont. Le roi d’Espagne Joseph Ier, frère de notre empereur, Napoléon Ier, m’a chargé d’une mission. Je dois voir immédiatement le Tsar.

Il tendait la lettre. Le chef de bataillon eut un geste de la tête en direction d’un capitaine qui chevauchait à ses côtés. Celui-ci prit vivement le document et le parcourut avant de le traduire à son supérieur.

— Vous parlez très bien russe, fit remarquer ce capitaine.

— J’ai fait la campagne de Russie. J’en ai profité pour apprendre quelques rudiments de votre langue.

Ces seuls mots de « campagne de Russie » suffisaient à excéder les Russes. Et c’était là le but recherché par Varencourt. Oui, ces soldats l’ignoraient, mais ils étaient les premières herbes auxquelles il mettait le feu. Il était trop tôt pour que ce foyer prenne, cependant, tout à l’heure...

— Pourquoi voulez-vous voir le Tsar ? interrogea le capitaine.

— Ma mission est absolument confidentielle. J’ai reçu l’ordre de Joseph Ier lui-même de ne m’adresser qu’au Tsar en personne.

Un colonel survint, avec son état-major régimentaire. Comment ? C’était un seul Français qui arrêtait sa colonne ? Il se mit à critiquer vivement le chef de bataillon ; le capitaine interrogeait Charles de Varencourt tout en répondant aux questions du colonel... Plus ils essayaient de montrer qu’ils maîtrisaient la situation, plus il apparaissait qu’ils ne savaient que faire.

— Il n’est nulle part écrit dans votre ordre de mission que vous devez parler au Tsar, souligna le capitaine.

— Évidemment ! Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?

Les officiers russes fronçaient les sourcils. Varencourt leur en disait à la fois trop et trop peu, les incitant à spéculer sur la teneur de son message. Profitant du fait que ce Français parlait russe, le colonel l’interrogea directement :

— Votre message provient-il de Joseph Bonaparte ou de Napoléon lui-même ?

Varencourt cacha sa joie. Si on ne lui avait pas spontanément posé cette question, il se serait débrouillé pour les amener à le faire.

— Effectivement, mon message provient de notre Empereur, qui l’a transmis à Joseph, lequel m’a à son tour chargé de le communiquer au Tsar. Mais je ne peux pas en dire plus ! Tout ce que vous saurez, c’est que j’agis sur l’ordre de Sa Majesté Napoléon Ier ! Fouillez-moi pour vérifier que je n’ai pas d’arme, puis conduisez-moi jusqu’au Tsar. J’agis sur l’ordre écrit d’une personne d’un rang très supérieur au vôtre. Aucun d’entre vous ne dispose de l’autorité nécessaire pour prendre l’initiative de m’empêcher de parler à Sa Majesté Impériale Alexandre Ier. Seul le Tsar peut décider de refuser de me recevoir.

Les quelques mois durant lesquels il avait servi dans l’armée russe avant de déserter avaient suffi à lui faire comprendre à quel point l’argument hiérarchique frappait les militaires. Le colonel hocha la tête et le chef de bataillon donna l’ordre à sa place :

— Fouillez-le !

Deux carabiniers s’exécutèrent, puis un capitaine fit lui-même une deuxième fouille minutieuse. Enfin, le colonel parla, en russe, lentement :

— Je vous laisse une dernière chance. Si vous avouez que vous nous avez trompés, je vous donne ma parole d’honneur d’officier que je vous laisse partir. Libre ! À charge pour vous de retourner dans le terrier d’où vous avez jailli.

— Je suis en mission sur ordre de l’Empereur et du roi d’Espagne, je dois voir le Tsar.