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Lucie ne répliqua pas. Elle choisit d'adopter un ton plus conciliant.

—   Ce refuge est tout le temps ouvert ?

—  Oui. De toute façon, y a rien à voler, rien à démolir. C'est qu'un vulgaire abri. Un toit, un plancher, quatre murs.

—  Et la clé ? La clé de cette porte ? Où se trouve- t-elle ?

—  Ah ! Ah ! Vous réfléchissez déjà à ce message ? « Ramène la clé » ? Vous chômez pas, vous ! Qu'est- ce que j'en sais ? Faudrait peut-être passer à la mairie. Mais attention, pas avant 9 heures demain matin. Sinon, ce sera fermé.

Son collègue esquissa un sourire et tira de nouveau sur sa cigarette.

Lucie comprit qu'il était inutile d'insister. Elle observa attentivement le sol autour de la cabane. Boue, eau, mélasse. Avec ce qui tombait, aucune chance de prélever la moindre empreinte.

Elle promena son regard sur les arbres alentour. Un ravisseur. Un abri isolé, inoccupé. Un message d'avertissement, incompréhensible. Une énigme tordue. Des signes annonciateurs d'un sacré boxon.

Le Professeur... Un dossier géré par Paris, dont elle connaissait à peine plus que ce qu'en avaient dit les médias : un tueur à l'esprit particulièrement retors. Imprévisible. Et jamais interpellé.

Presque quatre ans... Comment l'auteur de six meurtres aurait-il pu s'interrompre et se mettre en veille si longtemps ? À de très rares exceptions près, jamais les tueurs en série n'agissaient de la sorte. Leurs pulsions, leurs fantasmes les en empêchaient. Ils devaient tuer, répéter leurs crimes, sans cesse. Elle regretta amèrement de ne pas avoir eu accès à plus d'informations sur cet assassin.

Quand Greux réapparut, hors d'haleine, Lucie ôta ses chaussures, ses chaussettes, et sous le regard amusé des gendarmes, enfonça ses pieds mouillés dans des sachets plastique avant d'enfiler une paire de gants en latex. Elle regagna l'intérieur du refuge, bientôt suivie par son collègue, et mitrailla la pièce de photos. Puis, en prenant soin de ne pas déplacer trop d'allumettes sur son passage, elle s'approcha des morceaux de corde.

—  Des traces de sang... Manon avait la main tailladée... Vu la longueur des liens, son ravisseur a dû la ligoter des pieds à la tête. Les extrémités sont brûlées pour éviter que le nylon s'effiloche, donc ils n'ont pas été coupés.

—   Elle se serait détachée comment, alors ?

—          Je ne vois pas de nœuds... Quand on se détache, il reste toujours des nœuds. Le nylon enroulé garde une forme particulière, non ?

—         Peut-être, oui. J'suis pas expert dans les jeux sadomaso.

—          L'autre truc étonnant, c'est que les liens sont tous regroupés au même endroit. Presque rangés... Il faudra vérifier dehors, mais a priori, je ne vois pas de bâillon...

—          Bah... Il n'y avait pas grand risque qu'on l'entende. On peut pas dire que ce soit la foule dans le coin. En plus, il pleuvait comme vache qui pisse.

—   Ouais... Ou alors, elle était inconsciente...

Elle observa les murs un à un, avec une attention chirurgicale.

—          Le type avait dû repérer l'endroit pour s'assurer qu'il ne serait pas dérangé durant la mise en place de son « effet »...

—  Un gars du coin ?

—  Pas forcément.

Elle réfléchit à voix haute :

—          Il l'amène ici ligotée et inconsciente. Il la pose dans l'angle et défait ses nœuds, inscrit son avertissement sur le mur, répand ces kilos d'allumettes, avant de disparaître. À son réveil, Manon n'a plus qu'à s'évader, abandonnée à son amnésie.

—          Vachement logique... Enlever quelqu'un pour le laisser fuir ensuite...

Sans répondre, Lucie se pencha vers les allumettes.

—          Il s'est peut-être juste servi d'elle pour nous orienter ici et nous délivrer son message. Une personne incapable de se souvenir de son visage. Ce qui implique qu'il la connaissait, de près ou de loin... Ou alors, il a eu accès à son dossier médical. Puis il y a ces étranges cicatrices... Peut-être que...

« La voilà repartie dans son trip... » se dit Greux en soupirant.

—          Mais pourquoi tant d'efforts? s'interrompit Lucie. Pourquoi pas un simple coup de fil anonyme qui nous aurait directement amenés ici ?

—          Pour la beauté du geste, à coup sûr, répondit ironiquement le major. Le coup de fil ? Trop minable.

Lucie releva légèrement le menton.

—   Tu te fous de moi ?

—          Non, mais bon... En général, on n'a pas vraiment affaire à des lumières...

Lucie se redressa, les mains sur les genoux.

—          Note... Note qu'il faudra vérifier si la branche qui a provoqué l'accident n'a pas été sciée. Notre kidnappeur serait bien capable d'avoir poussé son délire jusque-là.

Greux mordilla le capuchon de son stylo sans ouvrir son carnet.

—          Bon là, faut quand même pas abuser... Ils n'existent que dans les films et dans votre tête, ces malades.

Lucie le fusilla du regard. Greux se mit à rougir, soudain conscient de sa bévue. Tous, à la brigade, connaissaient son abominable histoire avec cette gamine diabétique. « La chambre des morts », où la réalité avait largement dépassé la fiction.

La flic finit par s'orienter vers les curieuses inscriptions.

—   Peinture... constata-t-elle.

—          Heureusement. Vaut mieux ça que... Enfin, vous comprenez...

—          Oui, je vois. « Ramène la clé. Retourne fâcher les Autres. Et trouve dans les allumettes ce que nous sommes. Avant 4 h 00. » Quel charabia ! J'ai horreur de ça ! Quelle clé ?

—   Toutes ces allumettes, vous avez une idée ?

Lucie secoua la tête.

—          « Trouve dans les allumettes ce que nous sommes. » Peut-être qu'il faudrait les compter... Mais ça nous prendrait des heures. Sans oublier qu'on a une chance sur deux de se tromper. Il y en a tellement.

—          Et quand bien même ? Pour sûr on obtiendra un nombre, cinq mille, dix mille ou quinze mille. Voire dix mille cinq cent quarante et un ou quinze mille cinq cent soixante-neuf. Et alors ? Ça nous avancerait à quoi ?

Lucie pivota sur elle-même.

—          Il nous manque la clé. Qui sont les Autres ? Tu remarqueras qu'il a noté ce mot avec une majuscule.

Greux relut rapidement la phrase sur le mur.

—   Bah ça non, j'avais pas vu !

—          Non mais c'est pas vrai ! Là, ça commence à bien faire, major, OK ?

Lucie considéra sa montre, nerveuse.

—          Il nous reste à peine trois heures... Il faut compter, je suis persuadée qu'il faut compter...

—          Franchement, j'suis pas chaud. J'ai déjà les yeux explosés.

Elle se baissa de nouveau, ses doigts glissèrent sur les fines tiges de bois.

—          « Trouve dans les allumettes ce que nous sommes. » Manon a un rôle là-dedans, il s'est servi d'elle pour nous alerter, nous amener ici dans des délais qu'il a lui-même fixés...

Elle se redressa brusquement. Elle venait de comprendre pourquoi le ravisseur avait libéré sa proie.

C'était une évidence.

Manon était la clé. Celle qui comprendrait le message.

Elle sortit sur le perron. Toujours le grondement de la forêt autour d'eux. Les gendarmes jetèrent simultanément leurs mégots par terre.

—         Est-ce que vous avez touché aux allumettes ? demanda-t-elle. En avez-vous ramassé ?

Le plus replet - encore lui - la considéra d'un air surpris.

—         Deux trois, oui. On s'est... amusés à en griller quelques-unes, avec notre cigarette. Fallait bien passer le temps en vous attendant.

—  Combien ? Deux ou trois ?

—          Quoi? Mais j'en sais rien! Deux, trois, huit, douze ! Qu'est-ce que ça peut faire ? Il y en a des milliers d'autres ici ! Vous n'allez pas pleurer pour quelques allumettes ? Y'a quand même plus important dans le monde, non ?