Выбрать главу

Lucie sortit son portable.

—         Je réveille le commandant de la brigade, qu'il se débrouille avec le parquet de Valenciennes pour nous donner des moyens et lancer la procédure judiciaire.

—         Z'êtes folle ou quoi ? Pourquoi vous voulez alerter la cavalerie ?

Le gendarme jeta un œil vers son collègue.

—         Après tout, c'est vous que ça regarde. C'est vous qui aurez les chiens sur le dos, pas nous...

Lucie ne se laissa pas impressionner.

—         Messieurs, je fais appel à votre bonne volonté et à votre collaboration. Dès les prélèvements de la scientifique effectués, il faudra compter ces allumettes, y compris celles balancées dans la boue. Et sans erreur.

—  C'est un gag, là ?

Lucie prit son air mauvais. Elle haussa sérieusement le ton.

—  Ça y ressemble ? Je fais mon job, voilà tout ! On a en face de nous un type qui a séquestré une femme, et qui nous pose un ultimatum ! Vous voudriez faire quoi ? Rester ici et attendre ?

Les deux gendarmes gardèrent le silence. Lucie se retourna vers la porte.

—  Greux, à partir de maintenant, veille à ce que personne ne touche plus à rien ! Je retourne à l'hôpital ! Manon est la clé !

Au téléphone, le commandant, qu'elle sortait du lit, la reçut vertement. Mais, face à son acharnement, il comprit rapidement l'importance de la situation. Il savait que dans toute enquête, les premières heures sont les plus précieuses. Il fallait agir vite. Une demi- heure plus tard, la police scientifique assiégerait les lieux.

Après son appel, Lucie partit en courant dans la forêt.

Elle devait regagner sa voiture, rejoindre la jeune amnésique.

Cette quantité effroyable d'allumettes... Compter... Était-ce réellement la solution ou une perte de temps ? S'agissait-il d'un traquenard destiné à attirer inutilement l'attention, à monopoliser les ressources de la police ?

Et surtout, qu'allait-il se passer à 4 heures ?

Frédéric Moinet se gara en catastrophe sur le parking de l'hôpital Roger Salengro. Il claqua la portière de sa BMW dernière génération et disparut dans le hall des urgences. Après vérification de son identité, on lui indiqua le numéro de la chambre où sa sœur avait été admise. Il s'y précipita en courant, son long imperméable gris bruissant dans le sillage de sa mince silhouette.

Il pénétra dans la pièce, légèrement éclairée par une veilleuse. Un homme, assis sous un poste de télévision suspendu au mur, se leva immédiatement pour le saluer. Le docteur Vandenbusche.

—  Merci de votre appel, fit Frédéric en serrant la main du neurologue. Mais pourquoi n'avoir rien voulu me dire au téléphone ? Que s'est-il passé ? Comment va-t-elle ?

Frédéric transpirait d'inquiétude. C'était un homme tout en nerfs. Sa chevelure d'un noir sévère, rejetée vers l'arrière, renforçait l'impression qu'il donnait d'un bolide propulsé à cent à l'heure.

—  Rassurez-vous, elle va bien, expliqua le médecin avec un très léger accent belge. Elle dort, on lui a administré un sédatif.

Frédéric s'empara d'une petite housse crème dans la poche intérieure de sa veste.

—     Je l'ai... Il se trouvait à côté de son ordinateur, dans son appartement.

Le médecin s'appuya contre le mur, visiblement soulagé.

—  Dieu merci...

Frédéric Moinet extirpa le N-Tech de sa pochette en cuir et le posa sur une tablette à côté du lit. Son interlocuteur l'entraîna vers le fond de la pièce. Il était complètement décoiffé, bien différent du Vandenbus- che impeccable, monolithique, qu'il avait l'habitude de rencontrer.

—     Écoutez, Frédéric... Votre sœur a été retrouvée par la police. Elle était en train d'errer dans les rues de Lille. Trempée, en survêtement, complètement désorientée.

Frédéric se passa les mains sur le visage en soufflant lentement. Puis il plissa les yeux.

—      Quoi? Mais... Elle ne peut pas s'être égarée dans Lille ! C'est la ville de son enfance, elle en connaît les moindres recoins !

—     Elle ne s'est pas vraiment perdue... Elle était à bout de souffle...

Vandenbusche se racla la gorge. Il paraissait gêné.

—     Je n'en sais pas plus pour le moment, mais elle... elle aurait été séquestrée. Elle présente des traces caractéristiques aux poignets et aux chevilles. Des marques de liens.

Frédéric se raidit instantanément.

—      Séquestrée! Vous plaisantez, j'espère? Je l'ai encore vue ce matin !

Il s'approcha de sa sœur et lui caressa doucement le front. Puis il s'adressa de nouveau au médecin.

—  Et vous allez continuer à me dire que cette fichue campagne de publicité ne présente aucun risque ?

Vandenbusche avait préparé sa réplique. Frédéric Moinet s'était toujours farouchement opposé à ce que sa sœur devienne l'égérie de N-Tech.

—  Si nous avions estimé qu'exposer son image la mettrait en danger, jamais nous ne l'aurions fait, et vous le savez.

—  Alors de quoi parle-t-on ? D'une coïncidence? Ma sœur se serait fait kidnapper par hasard juste après le lancement de la campagne ? Il n'y a pas de hasard, monsieur Vandenbusche !

Le médecin lui agrippa le bras pour l'éloigner du lit. Il répondit calmement :

—  Le cambriolage a eu lieu il y a plus de trois ans, et à Caen ! Comment pouvez-vous imaginer un seul instant que la même personne s'en prenne à la même victime, simplement parce qu'elle aperçoit sa photo sur une affiche publicitaire ? Ceci n'a aucun sens !

Il regarda Frédéric droit dans les yeux et continua :

—  Voilà plus de deux ans que je me démène pour Manon ! Je sais, et vous savez, qu'elle a besoin d'aller de l'avant ! MemoryNode est un programme primordial pour elle. Pour son équilibre.

—  Il est surtout essentiel pour votre carrière ! Ma sœur n'est pas un pantin !

Le neurologue soupira.

—  Ne rentrons pas une nouvelle fois dans ce débat. Pas ici... Ce n'est pas parce que Manon ne se rappelle pas de la majeure partie de ses actes qu'elle n'est pas responsable. Elle a conservé toutes ses capacités intellectuelles, elle progresse tous les jours et se débrouille mieux que quiconque. C'est à elle, et à elle seule, que

revenait cette décision. Elle a accepté l'offre de N- Tech. Et son argent. Point à la ligne.

Frédéric secoua la tête, dépité.

—          J'ai dû céder notre entreprise familiale pour revenir ici, pour... la mettre à l'abri de son agresseur... Je l'ai éloignée de Caen, de cette ville où notre propre sœur a été assassinée, de cette ville où elle a perdu la mémoire, six mois plus tard ! Je vis avec elle, dans la même maison, je l'ai aidée à affronter son handicap, à oublier le... le Professeur... Et à présent...

—          Je vous comprends bien. Mais Manon est ma patiente, et elle est aujourd'hui plus épanouie que jamais. MemoryNode lui fait un bien immense. Ce programme l'a transformée. Vous ne pouvez dire le contraire.

Frédéric garda le silence. Vandenbusche se frotta les sourcils, l'air soudain embarrassé.

—          Frédéric, il y a quelque chose que vous devez m'expliquer. Un fait intrigant qui... qui me tracasse.

—   De quel genre ?

Le spécialiste se dirigea vers Manon. Il souleva délicatement le drap puis le haut de sa tunique verte.

—   Ces cicatrices...

Frédéric se figea.

—          C'est bien ce que je pensais, poursuivit le neurologue. Vous étiez au courant... Celle-ci : « Rejoins les fous, proche des Moines », a été faite par un gaucher.

Il désigna la montre de Frédéric qui encerclait son poignet droit.