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Elle chercha du secours auprès de Frédéric, avant de poursuivre seule :

—          Mais je ne comprends pas le reste de votre message. Même en réfléchissant, rien ne me vient. Désolée. Sincèrement désolée madame.

Manon se saisit de son N-Tech, de son stylet, et se mit à vérifier le déroulement des dernières heures de la journée. Elle tapota rapidement sur son écran tactile. Cases de rendez-vous non cochées. Celui de la banque à 11 heures : manqué. Visite chez le vétérinaire pour Myrthe à 15 heures : manquée. À quoi tout cela rimait- il ?

—   Manon ?

Elle releva la tête en direction de Lucie.

—   Ce n'est pas tout, insista le lieutenant.

—          Qu'est-ce qui n'est pas tout? Et... pourquoi je parlais de la maison de Hem ? Qu'est-ce que vous voulez déjà ?

Frédéric vint s'intercaler et poussa Lucie légèrement vers l'arrière en lui disant :

—   Laissez...

Il s'adressa à Manon :

—   Cette dame est de la police...

Et il lui réexpliqua très brièvement la situation, avec les mots adéquats, les raccourcis appropriés, contrôlant avec justesse les réactions de sa sœur. Un peu perplexe, Lucie put finalement reprendre son interrogatoire :

—          Dans cette cabane de Raismes, étaient dispersées sur le sol un très grand nombre d'allumettes. Plusieurs milliers. Mes collègues font...

—          Un grand nombre d'allumettes? l'interrompit Manon. Comment étaient-elles disposées ? Expliquez- moi !

—          Répandues un peu partout, complètement au hasard.

Manon claqua des doigts plusieurs fois d'affilée. Frédéric ne bougeait plus d'un millimètre.

—          Au hasard, oui ! Bien sûr ! Au hasard ! Et ce sol, c'était un parquet ?

—   Exact.

—          Avec des lames de la largeur d'une allumette ? Dites-moi !

La piste semblait s'ouvrir. La serrure trouvait sa clé.

—          Euh... Je pense, oui. Mais... Quel est le sens de cette mise en scène ? C'est quoi, le rapport entre ces allumettes et la maison hantée de Hem ?

Soudain, la jeune amnésique observa le bandage autour de sa main. Elle fut prise d'une brusque suée. Avant que Frédéric ne puisse intervenir, elle l'arracha d'un geste enflammé.

Son cœur se serra. Au creux de sa paume, cette phrase terrifiante : « Pr de retour ».

Elle adopta une position de bête traquée et se mit à crier :

—          Il est de retour ! Ce salaud est revenu nous hanter ! Et il s'en est pris à moi ! Arrêtez de mentir et dites-moi si je me trompe !

—          Personne ne te ment, mentit le frère. Nous allons rentrer chez nous, tout va bien se passer.

Manon n'écoutait plus. Paniquée, elle cria plus fort encore :

—          Emmenez-moi là-bas ! Emmenez-moi dans la maison hantée de Hem ! Tout de suite !

Lucie répliqua calmement :

—  Donnez-moi d'abord la signification de ces allumettes !

En un éclair, Manon se retrouva à quelques centimètres du visage de Lucie. Dans ses yeux bleus palpitait la flamme noire de la colère.

—  Il est revenu ! Je ne louperai pas l'occasion de l'attraper ! Emmenez-moi d'abord, ou vous ne saurez rien !

13.

Dans l'habitacle de la vieille Ford, Manon s'affairait sur son N-Tech. De l'appareil électronique irradiait une légère lumière blanche.

—  Il faut que je note tout cela, répétait-elle inlassablement. Continuez, continuez à me raconter. Tout ce que vous savez. Absolument tout.

Après avoir quitté les boulevards déserts, la voiture s'engagea pleins gaz sur une bretelle de la rocade nord-ouest. Marquette, Bondues, Wambrechies... Les sorties défilaient, tandis que, dans cette carcasse de tôle écrasée par des tonnes d'eau, vibrait la voix d'une femme flic qui tentait d'être rassurante tout en racontant le pire, une énième fois. L'enlèvement, l'errance dans les rues de Lille, la cabane de chasseurs et le message alambiqué. Manon ne perdait pas une miette de cet enfer verbal, notant les principaux événements et enregistrant la parole de Lucie grâce au micro intégré de son engin.

—  Le Professeur... Comment aurait-il pu me retenir ? Pourquoi ? Comment a-t-il pu savoir pour « les Autres » ? C'était notre expression à nous ! Et... Non ! Ceci n'est pas possible !

Manon ne parvenait pas à retrouver son calme. Ses efforts de réflexion les plus acharnés n'y pouvaient rien : les questions tournaient dans sa tête, sans réponses.

—          Vous en avez peut-être parlé pendant qu'il vous détenait ? suggéra Lucie en regardant sa montre. Peut- être vous y a-t-il contraint, d'une façon ou d'une autre ? Comment le savoir ?

—         Ma détention... Ma détention, mon Dieu... Non, non ! Je n'aurais jamais parlé de mon enfance ! Jamais !

—         Comment pouvez-vous en être aussi sûre, alors que vous ne vous en rappelez pas ?

—         Il y a des choses que l'on sait sur soi ! Même si l'on est amnésique ! Je n'ai pas perdu mon identité ! Je suis moi ! Vous pouvez comprendre ?

Lucie adopta un ton plus apaisant.

—         D'accord, d'accord. Ne vous énervez pas, ça ne sert à rien. Parlons de ces scarifications, sur votre ventre... J'aimerais que vous m'expliquiez ce qu'elles signifient. Le docteur Vandenbusche m'a dit que votre frère et vous en étiez les auteurs.

Manon répondit du tac au tac :

—  Je n'en sais rien.

—  Comment ça, vous n'en savez rien ?

—          Je n'en sais rien, je vous dis ! Je ne comprends pas le sens de ces cicatrices ! Je sais qu'elles sont là, en moi, mais je n'en connais pas la signification ! Quand ont-elles été inscrites ? Pourquoi ? Je l'ignore complètement !

Elle agrippa le poignet du lieutenant.

—         Comment le Professeur a-t-il pu m'enlever? Comment m'en suis-je sortie ?

—  Manon, je...

—          Il faut qu'on le retrouve ! Dites-moi que vous allez le retrouver ! Dites-le-moi !

—   Nous allons tout mettre en œuvre pour.

Lucie la regarda dans les yeux un instant, avant d'ajouter :

—          Vous pouvez me croire. Mais si vous voulez que je vous aide, il faudra me faire confiance...

Elle prit la voie en direction de Roubaix-Est, la gorge serrée. 3 h 35. Moins d'une demi-heure...

—          Parlez-moi des allumettes. Vous ne m'avez toujours pas raconté ce qu'elles signifiaient. Je dois savoir.

—   Quelles allumettes ?

Manon dévisagea la conductrice. Ses doigts glissèrent discrètement vers la poignée de la portière.

—          Où est votre carte ? Vous ne m'avez pas montré votre carte ! Votre carte de police !

Lucie soupira.

—          Si, avant de monter dans la voiture. Puis deux fois déjà durant le trajet. Prenez-la, elle se trouve dans la poche de mon caban, je n'ai pas pensé à la laisser en vue. Je n'ai pas encore les réflexes, excusez-moi... Mais par pitié, lâchez une bonne fois pour toutes cette poignée. Vous allez finir par l'arracher et par achever ma pauvre bagnole.

Manon récupéra la carte tricolore avec soulagement.

—   Pardonnez-moi. J'ai tendance à radoter.

—          Ça aussi, vous me l'avez déjà dit. Mais ne vous excusez pas. Je comprends parfaitement, même si c'est... difficile. Dites, vous parlez toujours aussi rapidement ?

—          Oui, c'est une manière de condenser les conversations. Tout s'efface si vite dans ma tête... Où allons- nous ?

—  Maison hantée de Hem. Déjà dit...

Lucie réfléchit un instant, et reprit :

—         Les scarifications, sur votre corps. Que racontent-elles ?

—  Je l'ignore.

—  D'accord. Je réessaierai plus tard.