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—   Qui êtes-vous ?

—  Tu veux savoir ?

À une vitesse prodigieuse, l'homme se rua sur elle et, à sa grande surprise, reçut une semelle dans la poitrine. Il grogna, tandis qu'un second coup de pied fit craquer son genou droit. Il parvint quand même à agripper Manon par les cheveux. Le N-Tech glissa sur le plancher. La mathématicienne hurla, frappa... Sans savoir pourquoi, elle visa le plexus solaire, mais l'homme, cette fois, ne se laissa pas surprendre. Elle voltigea sur le sol, propulsée par une force titanesque.

—  T'es plutôt bonne, toi. Une belle petite gueule d'ange. Je crois que tu vas y passer la première.

Il la plaqua face contre terre. Manon respira une poussière écœurante puis cracha, cruellement en manque d'air. La pointe d'un genou lui écrasait le dos.

Tintement d'une boucle de ceinture. Une braguette qui se déboutonne. Des halètements bestiaux, là, tout contre sa nuque. Que se passait-il ? Où se trouvait- elle ? Seule ? Et pourquoi ? Allait-elle mourir ?

L'homme n'eut pas l'occasion d'aller plus loin. Un gourdin lui fracassa l'arcade sourcilière. Il se releva, titubant, la main sur le front, quand un fantastique coup dans les testicules le plia en deux.

Il bascula dans les escaliers, sans parvenir à se rattraper, et roula jusqu'au bas des marches pour enfin s'écraser sur le carrelage, inerte.

Lucie se massa le crâne, récoltant une fine pellicule de sang sur le bout de ses doigts. Elle se pencha ensuite vers Manon, qui recula sur ses mains pour se retrouver plaquée contre le mur du fond.

—   Laissez-moi ! Laissez-moi !

—  Manon ! Je suis Lucie ! Lucie Henebelle !

Elle s'empressa de sortir sa carte tricolore.

—   Rappelez-vous !

Manon n'avait jamais vu cette carte. Dans quelle galère se trouvait-elle ? Pourquoi cette agression ? Comment avait-elle appris à se battre ? Où ? Elle recula encore, jusqu'à finir repliée dans un angle.

—          Qu'est... Qu'est-ce que je fais ici ? Qui est cet homme ? Et vous ? Pourquoi la police ? II...

Elle se précipita vers son N-Tech, à quatre pattes.

—          Vous avez tout enregistré dans votre machine, dit Lucie. L'hôpital, notre conver...

—   Quel hôpital ?

Manon se mit à crier :

—   Quel hôpital ?

—          Je... Je n'en sais rien, je... ne sais pas comment vous appréhender, Manon... C'est trop... compliqué...

Lucie coinça sa carte de police en haut de la poche de son manteau, afin de la rendre visible en permanence, puis elle ramassa sa lampe et dit :

—          Je descends vérifier s'il... est encore en vie. Rejoignez-moi, dès que possible.

—          Comment ? Qui est encore en vie ? Expliquez- moi ! Expliquez-moi !

Elle avait hurlé de toutes ses forces. Lucie ne répondit pas et, la torche à la main, se hasarda dans la cage d'escalier. Une fois en bas, elle posa l'index sur la jugulaire de l'agresseur et perçut un pouls régulier. Elle se mit à lui fouiller les poches.

Une piqûre au niveau du pouce la fit grimacer. Ses doigts ressortirent en sang. Du verre brisé et des aiguilles...

—   Merde, c'est pas vrai !

Des seringues... Un junkie... Juste un junkie, venu squatter l'endroit...

Elle se redressa, le pouce levé. Dans un réflexe inutile, elle aspira à pleins poumons les gouttelettes avant de les recracher sur le sol.

Quatre lettres explosèrent alors dans sa tête. SIDA.

—  C'est pas vrai ! C'est pas vrai !

Alors, un autre choc dans sa poitrine l'ébranla.

Elle tourna sur elle-même, ébahie.

Au-dessus. Et partout autour dans cette pièce circulaire. Dans la lumière de sa torche. Des chiffres. Des milliers de chiffres.

Peinture rouge.

Sur le carrelage, une phrase : « Si tu aimes l'air, tu redouteras ma rage. » Lucie serra les dents. Combien de temps ce salaud allait-il continuer son jeu ?

Surtout, ne pas paniquer. Elle sortit son portable. Presque plus de batterie. Elle appela une ambulance et fonça à l'étage.

En montant les escaliers, elle entendit sa propre voix, échappée d'un appareil. Manon était assise à l'indienne, face à sa mémoire prothétique.

L'égérie de N-Tech leva le front, inquiète, partagée entre tristesse, terreur et fermeté. Elle ouvrit le dossier « Photo », fit défiler les portraits, proches, amis, connaissances, tous étrangers à sa mémoire, et découvrit l'identité de la femme qui se dressait en face d'elle. Un officier de police aux boucles d'un blond de blé. Lucie Henebelle. Trois mots... «Solidité. Passion. Rigueur. » Était-elle ce policier qu'elle avait attendu pour sa quête du Mal ? Etait-elle enfin arrivée ?

—  J'ai besoin de vous, fit le lieutenant en éclairant sur la gauche.

—          Moi aussi, j'ai besoin de vous. Plus que vous ne le croyez.

Elles s'observèrent durement, presque en adversaires, avant que Lucie ne finisse par lui tendre la main.

—   Venez en bas.

L'une derrière l'autre, elles s'engagèrent sur les marches. Manon eut un mouvement de recul en découvrant le corps étalé et manqua de tomber dans les escaliers. Lucie la retint par la taille et la rassura :

—   C'est bon, Manon ! Il est vivant !

—   Qui est-ce ? Que...

Elle s'interrompit instantanément, découvrant les chiffres rouges.

—          Mon Dieu ! s'exclama-t-elle en s'approchant des formes peintes.

Elle réclama la torche de Lucie et se mit à parcourir la spirale algébrique avec le rayon jaunâtre.

—          Ça vous suggère quelque chose ? demanda le lieutenant de police.

Manon paraissait subjuguée. Elle plaqua le N-Tech contre son oreille.

—          Chut... Taisez-vous, murmura la scientifique. Taisez-vous, je vous en prie.

Elle écoutait une nouvelle fois la conversation enregistrée dans la voiture. Lucie soupira. Le chronomètre continuait à courir, même si l'ultimatum avait expiré.

Quelques minutes plus tard, Manon demanda :

—          Sur l'enregistrement, vous m'avez bien parlé d'allumettes, découvertes par milliers sur le parquet où j'aurais été...

Le mot tarda à sortir.

—   ... séquestrée ? C'est exact ?

—   En effet. C'est tout à fait ça.

—          Et je ne vous en ai pas expliqué la signification, n'est-ce pas ?

—          Non. Vous avez exigé qu'on vienne d'abord ici. Vous ne me faisiez pas confiance...

Manon s'approcha de Lucie et l'éblouit malencontreusement. Elle détourna le faisceau lumineux et déclencha la fonction « Enregistrement » de son appareil.

—          Vous ai-je déjà demandé de me faire une promesse ?

—  Pas encore, non.

—          D'accord, d'accord. Alors promettez-moi de m'intégrer à votre enquête. Promettez-moi que vous me laisserez vous accompagner dans la traque du meurtrier qui a sauvagement tué ma sœur. Promettez- moi de faire tout votre possible pour retrouver le Professeur.

—  J'essaierai, dans la mesure de mes moyens.

—  Je veux des certitudes ! Promettez !

Lucie se rapprocha encore, à quelques centimètres seulement.

—         Je vous le promets. Et vous, promettez-moi de me faire confiance.

Manon secoua la tête.

—  Ça ne marche pas dans ce sens-là. Désolée...

Elle laissa tourner l'enregistrement. Elle apprendrait

tout cela. Sa mémoire en absorberait à peine cinq pour cent, mais elle apprendrait. Après avoir consulté une dernière fois l'ensemble de ses notes - nouvelle attente interminable pour Lucie -, elle finit par expliquer :

—         Ces allumettes que vous avez découvertes représentent un moyen de trouver le nombre n.

—   Quoi ?

—  Lancez-en une importante quantité au hasard sur un parquet dont la largeur des lattes est égale à la longueur d'une allumette. Il suffit de diviser le nombre total d'allumettes par le nombre d'allumettes qui chevauchent deux lattes, et de multiplier le résultat par deux. C'est Buffon, un naturaliste du xvnf siècle, qui le premier a fait l'expérience de cette loi de probabilité. Avec une grande quantité d'allumettes, la précision est stupéfiante.