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Tous ses sens se braquèrent sur un seul objectif : la fuite.

Brusquement, sa main se figea sur la poignée.

Ses veines saillirent sur ses bras, ses globes oculaires se révulsèrent tandis que ses muscles se contractaient avec une tension inimaginable.

Une forte lumière bleue. Des crépitements électriques.

Elle voulut hurler. Mais pas un cri ne parvint à franchir ses lèvres.

Malgré ses efforts, elle se sentit subitement incapable de remuer le petit doigt. Sa langue pendait légèrement entre ses dents. Impossible de la rentrer dans la bouche.

Paralysée.

Mais consciente.

De nouveau le noir, l'isolement.

—          Le dernier Taser, murmura Turin en essuyant le sang qui coulait de son nez. 50 000 volts pour une paralysie d'un bon quart d'heure. Ni traces, ni séquelles physiques. Pas mal comme joujou, non ?

Aucun mouvement du côté des camions. Pas de lumière, pas un bruit, rien.

Il sortit, réapparut côté passager et allongea Manon sur la banquette arrière.

—          Tu m'as fait mal, sale pute. Tu m'as vraiment fait mal !

Il alla ensuite récupérer une trousse de secours dans le coffre et se colla un pansement sur le nez. Puis il revint se coucher sur Manon, verrouilla les portières,

et lui ôta son pull, avant de plonger sa langue dans la bouche immobile de la jeune femme.

Manon ne put même pas fermer les yeux.

—  Je ne vais pas te pénétrer, lui chuchota-t-il en lui léchant le lobe de l'oreille, mais juste faire un truc entre les seins. Me déverser sur toi...

Il déboutonna sa braguette, lentement, semblable au bourreau préparant son office.

—  Puis je te rhabillerai, te remettrai devant, et je quitterai cette aire tranquillement. Tu ne te souviendras de rien.

Une larme coula sur la joue de Manon et vint mourir sur la banquette. Le tissu l'absorba, comme si elle n'avait jamais existé. Bientôt, rien n'aurait existé. Turin allait posséder sa chair, engloutir cette partie intime de son esprit qu'on protège jusqu'à la mort, et qui a le pouvoir de briser l'être au moment où elle se brise elle-même. La définition amère d'un viol.

Deux minutes durant lesquelles Manon prendrait la mesure de chaque geste, de chaque frottement. Elle oublierait, certes, mais rien ne pourrait empêcher que l'enfer du moment n'ait existé.

—  Je sais où tu habites maintenant, et j'ai le prétexte du Professeur pour rentrer chez toi aussi souvent que je le souhaite. Quel fantastique coup du sort...

Il lui retira son chemisier, son pantalon, puis dégrafa son soutien-gorge, qu'il attrapa avec les dents. Il caressa ses seins avant d'y plonger son visage en feu et se mit à lui sucer les tétons. Puis, lentement, sa langue effleura les scarifications.

—  Tu n'as jamais voulu de moi, ma puce... Tu t'es bien foutue de ma gueule à l'époque. Mais à partir d'aujourd'hui, tu seras le plus parfait des objets sexuels. Le chemin de ma guérison.

31.

La monotonie de la nuit, avant que Bâle ne se dévoile sous leurs yeux. 7 heures à peine sur l'horloge du tableau de bord, mais les longs boulevards rectili- gnes se gorgeaient déjà de véhicules. La Suisse se réveillait sous les nuages.

Très vite, les hauts buildings de la périphérie et les routes bordées de concessionnaires automobiles firent place à des bâtiments d'une autre époque. Près du coude formé par le Rhin qui coupait la ville en deux, le quartier médiéval, avec ses églises et ses ruelles étriquées, abritait les boutiques de luxe. Les marques prestigieuses derrière les vitrines - Breitling, Bulgari, Cartier, Chopard - rappelaient qu'à chaque printemps se tenait à Bâle le salon mondial de l'horlogerie et de la bijouterie.

Turin se gara à proximité du fleuve - le pont à franchir indiqué par le GPS se trouvait en travaux -, Manon récupéra son sac à dos dans le coffre, puis ils embarquèrent sur le bac en direction du Petit-Bâle.

Quelques minutes plus tard, ils se dirigeaient à pied vers la colline où se dressait la cathédrale. Manon regrettait de n'être jamais venue dans cette ville, ni même en Suisse, d'ailleurs. Les mathématiques, les colloques, les groupes de travail sur les systèmes d'équations différentielles l'avaient plutôt portée vers l'Amérique ou l'Angleterre.

Dans le Vieux-Bâle, on entendait encore le racle- ment des épées sur la pierre, les longues allocutions de Nietzsche ou Burckhardt, ou le claquement du bâton pastoral du prince-évêque. Tout en pressant le pas, Manon se plaisait à détailler chacune des façades, dont l'image s'évanouirait pourtant en elle avec la légèreté d'un songe. Elle aurait tant aimé s'y être promenée avant « l'accident »...

—  C'est là, dit-elle en relisant pour la énième fois ses notes. La Miinsterplatz.

Turin palpa la blessure sur son nez. Cette garce l'avait quand même sérieusement amoché.

—  D'après le plan, le cloître se trouve derrière la cathédrale, maugréa-t-il. On se dépêche, il va bientôt flotter. À croire que ce putain d'orage nous traque, c'est pas possible !

Manon tenait sa feuille A4 devant elle et prenait une photo de temps en temps avec son N-Tech. Elle considéra le pansement sur le visage de Turin. Puis sa main bandée. D'un geste rapide, elle photographia le lieutenant sans qu'il s'en aperçoive.

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, son cœur battait plus fort dans sa poitrine. Ses paumes se mirent à suer lorsqu'ils s'engagèrent sur la gauche de l'édifice. Que se passait-il ? Pourquoi ces alertes en elle ? Elle inspecta autour d'elle, soudain angoissée. Ses yeux avaient-ils croisé un individu qu'elle connaissait ?

—  Y se passe quoi, là ? l'interrogea Turin. Tu cherches quelqu'un ?

—  Non...

Le flic s'arrêta, puis se retourna. Des passants allaient et venaient, le front baissé. Nul ne semblait se soucier de la présence des deux Français. Ils étaient partis précipitamment de Lille. Comment aurait-on pu...

Sur les terrasses du Pfalz, derrière la cathédrale, s'étendaient au loin les premiers coteaux des Vosges. Avec le Rhin en contrebas, même sous ce ciel écrasant, la beauté de la nature se faisait éclatante. Pour le geste, Manon tira une photo. Cliché inutile qui s'amoncellerait au-dessus des milliers d'autre.

Turin la regarda faire. Cette escapade, aux côtés de l'objet de tous ses désirs, lui faisait du bien. Il se sentait comme revenu quatre années en arrière. Ils auraient pu former un couple épanoui, s'évader pour un week-end en amoureux, profiter des grands hôtels et des bières suisses-allemandes. Pourquoi l'avait-elle sans cesse repoussé, lui qui avait sacrifié ses nuits à pourchasser le meurtrier de sa sœur ?

Cette salope n'avait jamais voulu coucher. Et son refus lui coûterait cher.

Une faim insatiable de sexe grondait en lui. Dans la voiture, il aurait dû aller plus loin. Prolonger l'acte, jusqu'au petit matin. Explorer chaque recoin de ce parchemin de chair. Il avait déshabillé Manon, l'avait touchée, baisée, et elle ne s'en souvenait même pas. Son pouvoir sur elle était total. Mais il avait fallu bâcler. Ne pas prendre trop de retard, ne pas attirer l'attention. La prudence, le chantage, le sang-froid, les relations lui avaient toujours permis d'éviter les problèmes.

Ils contournèrent l'édifice. Les portes en chêne, massives, étaient ouvertes, comme une invitation au recueillement. Le sacristain, chauve et râblé, veillait derrière un bureau, à gauche de l'entrée. Il leva rapidement la tête avant de se replonger dans sa lecture.

Manon boutonna le col de son manteau en peau. Le froid des lourdes pierres de taille la pénétrait. A travers les voûtes d'une hauteur prodigieuse soufflait un air humide et glacial. La lente et inquiétante respiration des ténèbres.

Elle se dirigea lentement vers le cloître. Dans les bas-côtés s'alignaient les tombeaux des plus illustres familles bâloises. Il se dégageait de cette immobilité, de ces blocs gigantesques, quelque chose de spirituel. Et aussi de maléfique.