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La mathématicienne jeta un œil sur son N-Tech, protégé par une housse hermétique suspendue à son cou, avant de s'approcher. Le rétroéclairage illumina ses traits éprouvés d'un halo fluorescent.

—          Merci d'être venue, fit-elle en reprenant sa respiration. Je ne pensais pas que les éléments se déchaîneraient comme ça contre nous. Mais au moins... je suis certaine que vous êtes seule...

Sans réfléchir, Lucie l'enlaça et la serra contre elle de toutes ses forces. Elle sentit la main de Manon dans son dos répondre à son étreinte.

—  Manon... J'ai eu si peur pour vous...

Elles s'abritèrent et la jeune amnésique considéra une nouvelle fois son organiseur.

—  Rendez-moi mon Beretta.

—         Désolée, impossible de le récupérer, il s'agit d'une pièce à conviction.

—  Je vous avais prévenue !

—  Je ne pouvais pas, vous devez me croire !

Manon tira sur les sangles de son petit sac à dos et

se pinça les lèvres.

—         Bon... Je... Je pensais que nous pourrions prendre la mer ce soir, mais... pas un seul marin n'a accepté avec une météo pareille...

—   Prendre la mer ? Mais...

Manon posa son index sur la bouche de Lucie.

—         Chut ! Je vous raconterai tout quand nous serons au sec... L'un de mes amis nous a prêté sa maison de vacances, là où je passais la majeure partie de mes étés, autrefois. C'est à Trébeurden, à quelques kilomètres d'ici. Un marin, Erwan Malgorn, nous embarque demain, à 6 h 30, à partir de Perros-Guirec. Qu'il pleuve ou qu'il vente, il le fera, il nous conduira là- bas... même si l'endroit où nous allons est interdit.

—   Interdit ?

Manon fixa Lucie et son visage s'adoucit.

—          En route... Nous avons toutes deux besoin d'un bon bain chaud et de repos...

Elle embrassa soudain Lucie sur la joue.

—          Je sais que nous nous connaissons, Lucie. Même si je n'en garde qu'un souvenir artificiel, je sais que nous nous connaissons. Et je crois... non, je suis certaine, que vous êtes quelqu'un de bien. Parce que vous vous trouvez ici, au milieu de nulle part, avec moi...

Frédéric Moinet quitta le véhicule immatriculé dans le Maine-et-Loire et courut en direction d'une poissonnerie, son imperméable au-dessus de la tête. À l'intérieur du magasin, le propriétaire était occupé à baisser les grilles. Frédéric tambourina sur la vitrine.

—  Attendez !

Le commerçant haussa les sourcils et désigna une pancarte.

—   20 h 20 ! On est fermés depuis une heure !

—  Juste une minute, je vous en prie ! fit Frédéric d'un ton nerveux avant de se retourner.

Le poissonnier aperçut une ombre immobile qui se tenait plus loin, appuyée contre une voiture. Un autre gars qui attendait sous un parapluie et qui faisait jaillir la flamme de son briquet de façon compulsive. Ça sentait le coup fourré. Le commerçant ne lâcha pas le bouton de fermeture des grilles et dit, la gorge serrée :

—  Fi... Fichez le camp !

Frédéric regarda rapidement autour de lui et sortit un revolver de la poche de sa veste. Il plaqua le canon contre la vitrine, tandis que sa cravate volait dans le vent.

—          Ouvre ou je tire ! C'est pas une vitre qui m'empêchera de te trouer la cervelle !

Le poissonnier leva les mains. Le mouvement de la grille s'interrompit à mi-descente.

—          Je t'ai pas dit de lever les mains, je t'ai demandé d'ouvrir ! Tu le fais exprès ou quoi ? C'est la dernière fois !

Tétanisé, le commerçant inversa le mécanisme puis déverrouilla la porte. Frédéric s'avança dans la boutique. Ses doigts tremblaient autour de la crosse.

—         Je... Je n'ai pas d'argent... fit le propriétaire. Je vous en prie... Il n'y a rien à voler ici.

Les traits de Frédéric trahissaient une grande fatigue et, en même temps, une tension extrême. Les cheveux en bataille, sa chemise pendant hors de son pantalon, il n'était plus que l'ombre de lui-même.

—          Si ! affirma-t-il. Il y a exactement ce qu'il me faut dans votre poissonnerie.

Il pointa les étals du doigt. Le commerçant se retourna, surpris.

—          Des poissons ? Ne me dites pas que vous... me braquez pour me voler des poissons ?

—         Je ne vais pas vous les voler, mais les acheter. Et ce ne sont pas des poissons que je veux...

—  Quoi alors ?

—  Des calamars.

—  Des calamars ?

Frédéric soupira en baissant son arme.

—          Oui, des calamars ! Des putain de calamars ! Alors tu vas me les servir avant que je m'énerve sérieusement, d'accord ?

L'homme se dirigea vers les étals, abasourdi. Ce type l'avait contraint à ouvrir, avait pointé un flingue sur lui pour acheter des calamars.

—   Combien vous en voulez ?

—   Tout ! Mettez-moi tout ce que vous pouvez.

Le poissonnier écarquilla les yeux.

—   Mais il y en a au moins quinze kilos !

—          Eh bien dans ce cas, mettez-moi les quinze kilos ! J'ai été suffisamment clair, non ?

—   Très clair...

L'homme fourra les mollusques dans plusieurs sacs plastique. Une odeur de sel, d'algues, de tout ce que la mer pouvait charrier, envahit l'espace.

Frédéric s'empara des sacs et fit demi-tour.

—          J'ai laissé cent euros sur votre comptoir, je pense que cela suffira. Merci pour le service, Perros-Guirec est une chouette ville.

Et il disparut sous le déluge, aussi vite qu'il était arrivé.

36.

La maison aux pierres centenaires n'était pas chauffée. Le propriétaire des lieux avait caché les clés sous un pot de granit, comme au temps où Manon venait y passer ses vacances. C'était une bâtisse de plain-pied d'une dizaine de pièces, aménagée en appartements, aux volets attaqués par les rudes pluies de l'Ouest. Un endroit magique, d'où l'on dominait les déchirures de la côte.

Grelottant sous une couverture, Lucie massait son mollet pour tenter d'apaiser sa douleur. Manon s'empara de quelques feuilles et d'un marqueur qu'elle sortit de son sac à dos.

—   Je vais devoir noter et afficher sur ces murs des choses qui risquent de vous paraître bizarres, mais... si je ne le fais pas, je pourrais...

—   Péter les plombs, un câble, une durite ?

Lucie désigna son front.

—  Ou me frapper à coups de batte jusqu'à ce que mort s'ensuive ?

Manon s'approcha et palpa délicatement l'arcade sourcilière suturée.

—   Oh ! Ne me dites pas que...

—          Si, si, c'est bien vous. Mais ça va, ne vous inquiétez pas.

Les doigts de Manon étaient chauds, ses gestes d'une tendresse enfantine. Elle avança ses lèvres à quelques centimètres de celles de Lucie.

—  Vous êtes sûre ?

—   Pas de soucis...

Lucie détourna imperceptiblement la tête, un peu gênée, et demanda :

—          Et maintenant, vous pouvez bien m'expliquer pourquoi nous sommes ici ?

—   Deux minutes. Deux minutes, OK ?

Après avoir noté sur des feuilles le récit de ses heures passées, après avoir affiché partout que Lucie l'accompagnait pour l'aider, Manon s'empara d'une bouteille de Martini dans un bar en forme de tonneau, traça au marqueur un trait indiquant le niveau d'alcool et remplit deux verres.

—   Le trait, c'est pour quoi ? questionna Lucie.

—   À votre avis ?

—          Éviter que vous vidiez la bouteille sans vous en rendre compte ?

—   Eh oui, voilà à quoi j'en suis réduite...

—         N'empêche, vous savez très bien vous débrouiller. Revenir de Bâle toute seule et avancer si loin dans une enquête criminelle sans aucune aide... Je dois admettre que le docteur Vandenbusche est un excellent professeur, et vous la meilleure des élèves.