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—          Ce n'est pas tout. On a aussi retrouvé des photocopies de différents articles sur toi, du temps de ton enquête sur la « chambre des morts ». Bref, cette femme te suivait, savait qui tu étais et connaissait ton adresse bien avant que tout ceci commence !

—  Mais... À quoi ça rime ?

—         Je l'ignore. Je suis aussi paumé que toi. Mais j'ai repensé à un truc... Le premier soir...

—   Quoi, le premier soir ?

—          Manon s'était réfugiée dans une résidence d'étudiants juste à côté de ton appart... Comme par hasard ! Tu ne crois pas que... qu'elle l'a fait exprès? S'échouer là, pour que ce soit toi ? Toi et personne d'autre qui s'occupe de l'affaire ?

—         Non, non ! Je... Je vois encore son regard ! Je vous garantis qu'elle ne me connaissait pas !

—  T'es sûre ?

—         Je... Mince, je sais plus ! Mais elle était tellement terrorisée, tellement perdue...

—  Comment expliques-tu les photos, alors ?

—         Je... Je n'en sais rien... Ça me paraît complètement fou. Ou alors, c'est... ce manipulateur qui les a mises dans son PC. C'est lui qui dirige sa vie... Mais... Pourquoi moi ? Pourquoi, bon sang ?

—         Le manipulateur ? Ouais, c'est peut-être une option. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que tu joues un rôle plus important que tu ne le pensais dans cette histoire... Visiblement, tu y étais liée avant même qu'elle ne commence... Attends une seconde Henebelle !

Lucie perçut d'autres voix dans F écouteur, entendit le commandant donner des ordres d'une voix ferme. Puis il revint vers elle.

—   Henebelle ?

—   Oui commandant.

—   Malheureusement pour toi, c'est pas fini !

—   Quoi encore ?

—          Y a un autre truc. Cette fois totalement en dehors du dossier. Enfin, je suppose.

Lucie sentit soudain tout son organisme se contracter.

—          Je vous écoute... Après ce que je viens de traverser, je vois pas vraiment ce qui peut m'arriver de pire...

—          J'ai eu un appel de la sûreté urbaine. Ils ont reçu la plainte d'une concierge, de ta concierge !

—   Que s'est-il passé, encore ?

—   Ton appartement a été forcé.

Lucie encaissa le coup.

—   Un... Un cambrioleur ? bafouilla-t-elle.

—          Du travail de débutant, contrairement à chez Frédéric Moinet. Apparemment, il n'y a pas de dégâts. Ta télé, ton ordinateur, ta chaîne hi-fi, tout était là. Pas de bordel, pas de tiroirs retournés...

—         Vous... Vous voulez dire que... les collègues sont venus chez moi ?

—          Oui, enfin les gars du 88. Et on a fait changer ta serrure. Tu pourras récupérer la clé auprès de ta concierge.

Elle resta muette, incapable de décrocher un mot. Kashmareck poursuivit :

—          Ah, juste un détail... C'est dans ta chambre... Une petite armoire avec la vitre brisée...

Lucie se sentit vaciller. Kashmareck, toute la brigade devaient savoir.

—          Comm... andant... Il ne faut pas... Je... Il faut que... je vous explique... Ça n'est pas ce...

—          J'entends plus bien! Je vais te laisser! Mais sache juste que l'armoire était vide. J'espère que... tu n'avais pas des choses trop importantes là-dedans ! Allô ? Allô ?

Le téléphone gisait sur le sol. Lucie était partie vomir sur le pont...

43.

La vieille Ford était lancée sur la nationale, sous la pluie, au maximum de sa vitesse, un petit cent trente kilomètres-heure. Direction l'Institut des Hautes Études Scientifiques de Brest, l'IHESB. Là où, selon le dernier coup de fil de la brigade, Frédéric Moinet avait étudié après le baccalauréat, voilà plus de quinze ans. La seule piste concrète, pour le moment, en attendant les remontées des analyses de la police scientifique dans la grotte, ainsi que l'autopsie du corps de Frédéric.

Tout vibrait dans l'habitacle, le volant, les sièges, le rétroviseur, mais la voiture tenait bon. Lucie crispa sa main droite sur le caoutchouc du levier de vitesse. Si elle retrouvait Manon vivante, comment parviendrait- elle à lui annoncer que son frère, celui qui malgré tout l'avait soutenue, aidée à se reconstruire, venait de mourir, brûlé par des produits chimiques et transpercé de coups de bec ? Comment Manon réagirait-elle ? Est-ce qu'elle allait tout enregistrer dans son N-Tech ? Tout apprendre par cœur ? Ou choisirait-elle de rejeter ce décès, comme elle l'avait fait avec celui de sa mère ?

Trop de suppositions. Pour l'heure, Manon était aux mains d'un psychopathe et il fallait la retrouver. Absolument.

Les gouttes continuaient à s'abattre sur la carrosserie. Lucie regarda sa montre. À cette heure, dans sa puissante berline, Turin devait déjà être loin devant. La flic se remit à penser à ces photos d'elle, retrouvées dans l'ordinateur de Manon. Un véritable choc. Et toujours les mêmes questions : qui les avait prises ? Et pourquoi ? Comment avait-elle pu se trouver mêlée à une histoire qui n'avait alors même pas commencé ?

Comment tout ceci allait-il se terminer ? L'enquête, cette traque macabre et surtout, surtout, ce qui venait de se produire, dans son appartement, cette mise à nu de son inconscient... La Chimère, entre des mains étrangères. La Chimère, forcée de se réveiller...

Le coup venait assurément de l'un des étudiants. Un locataire voisin, mis au courant du contenu de son armoire par Anthony. Ces salauds se couvriraient les uns les autres. Difficile de retrouver le coupable. Et puis, à quoi bon ? Le mal était fait...

Dans un soudain accès de rage, elle se mit à hurler, à tambouriner contre son volant. La Ford fit alors un léger écart qui s'amplifia par un effet d'aquaplaning. Une violente montée d'adrénaline lui fit reprendre ses esprits. Elle parvint à contrôler son véhicule. Il s'en était fallu de peu pour que...

Quelques minutes et quelques kilomètres plus loin, elle ne put s'empêcher de revenir à ses pensées. La Chimère... Ces étudiants lui avaient sans doute volé son secret pour le photographier et l'offrir aux yeux de tous sur Internet. Oui, à coup sûr ! Et tout se propagerait comme un feu de paille. Chacun saurait et plus jamais on ne la regarderait comme avant. Qu'allait-on imaginer ? Qu'elle était cinglée ? Obsédée ? Sadique ? Voire... une meurtrière? Qu'elle était semblable à ceux qu'elle traquait ?

Et Clara ? Et Juliette ? Que penseraient-elles de leur mère quand arriverait le moment des pourquoi ?

Ses yeux s'embuèrent.

De retour dans le Nord, il allait falloir prendre les devants. Tout déballer aux étudiants.

Avant qu'ils ne détruisent sa vie.

44.

L'IHESB était un complexe impressionnant. Un entrelacs de bâtiments hypercontemporains posés sur une immense pelouse tondue à l'anglaise, au milieu des pins, à une dizaine de kilomètres à l'est de Brest. Rien autour. Ni entreprises, ni commerces, ni habitations. Une sorte de monastère moderne, tout en ruptures géométriques, une pépinière à cerveaux d'où avaient germé certains des meilleurs scientifiques de ces dernières années. Enfin... D'après la plaquette publicitaire.

Lucie pénétra dans le hall d'entrée. Sur le mur de gauche étaient affichés des encarts annonçant les prochaines conférences : quanta et objets étendus, isomor- phisme entre les tours de Lubin-Tate et de Drinfeld, théorie des cordes... Sur celui de droite, une galerie de portraits. Des étudiants, le front haut, le menton relevé. La même attitude hautaine qui l'avait frappée chez Frédéric, lors de leur première rencontre. Lui aussi avait été de ceux-là.

La jeune flic se présenta à l'accueil et apprit de la bouche d'une secrétaire que Turin, fort élégamment, ne l'avait pas attendue et s'entretenait déjà avec le directeur de l'établissement depuis cinq bonnes minutes dans la salle des archives. Selon ses indications, il fallait ressortir, contourner l'amphithéâtre central, puis marcher sur une cinquantaine de mètres pour les rejoindre. Sympathique vu les conditions météo.