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—          Olivier Quetier, cadre supérieur à Rodez... Gré- gory Poissard, professeur de physique à Limoges... Laurent Delafarge, chef de projet chez Altos Semiconductor, à Beauvais... Grégoire Michel, directeur d'un pôle recherche sur Lyon... Et finalement Romain Ardère, patron d'une petite entreprise de pyrotechnie, à Angers.

Turin rejoignit de son pouce jauni Angers et Nantes.

—          Angers n'est même pas à cent kilomètres de Nantes.

—          Et on retrouvait les victimes du Chasseur dans l'océan, sur la côte atlantique, entre Saint-Nazaire et La Rochelle. Ça concorde parfaitement.

—         D'autant plus que les artificiers manipulent très souvent des produits chimiques...

Lucie écrasa son index sur le visage de Romain Ardère, puis elle fouilla avec précipitation dans son dossier scolaire.

—          On y est ! Ardère avait choisi une spécialisation en chimie organique, il passait la majeure partie de son temps dans le laboratoire expérimental de l'institut ! C'est lui qui fabriquait les broches en étain ! Et...

Elle feuilleta rapidement les pages.

—   Vous devinerez jamais !

—   Quoi ?

—          Il a été surpris en train de faire des expérimentations sur des animaux, dans le labo ! La raison de son renvoi ! Ardère était subjugué par la force destructrice du feu, des substances corrosives...

—         Jacques Taillerand, cinquième victime du Professeur, a été le producteur des spectacles d'Ardère avant de décider de ne plus travailler avec lui, de l'abandonner. ..

—          Et donc, Ardère se met à le haïr. Jusqu'à le faire tuer !

—   On les tient enfin !

Turin saisit son portable et composa nerveusement le numéro de la brigade parisienne. Lucie enfila son blouson et fonça vers la sortie.

—  Vous allez où encore ? grogna Turin.

—         À Angers ! Je veux être auprès de Manon quand on la retrouvera !

—         Je serais vous, je me ferais pas trop d'illusions. Quand on voit la manière dont le frère a été massacré... Notre homme est en colère. Très en colère...

46.

Manon émergea lentement d'un douloureux sommeil, une odeur âcre dans les narines. Un relent de produit d'hôpital... peut-être de l'éther. Elle sentait des pulsations violentes battre sous son crâne. Le sang y circulait, lourd et épais. Un chiffon infect enfoncé dans sa bouche lui donnait envie de vomir à chaque appel d'air. Sa trachée était aussi rêche qu'un gant de crin. Elle voulut repousser le tissu répugnant avec sa langue mais n'y parvint pas.

Des sangles entravaient ses quatre membres. Elle était nue, plaquée contre une énorme cible sur pied, l'un de ces horribles articles de cirque sur lesquels on lance des poignards. Impossible de bouger, ses mouvements arrachaient tout juste une légère plainte au cuir des liens. Du fin fond de son désespoir, elle se voyait réduite à un grand X immobile.

La pièce tout entière était un véritable capharnaum dédié au spectacle. Murs recouverts de fausses toiles d'araignées, masques de Halloween et de Pierrot suspendus sur des miroirs déformants, malles débordant de costumes colorés. Autour, entassés sur le sol, des cartons remplis de briquets, d'allumettes, de pétards, de mortiers, de fusées, de feux d'artifice. Et, juste devant Manon, alignés sur des étagères, des tubes à essai, des fioles à moitié vides, des bocaux étiquetés : soude, phénol, acide nitrique, acide chlorhydrique, acide fluorhydrique.

La jeune femme tenta de hurler. À peine le son de sa voix traversa-t-il le bâillon qu'un projecteur puissant vint lui éclabousser les rétines. Elle plissa les paupières, tétanisée. La brûlure oculaire était insupportable. Alors, elle se sentit pivoter sur elle-même. Son cri cessa dans l'instant, tandis que le sang affluait dans son cerveau, qui semblait se comprimer sous la boîte crânienne.

Puis la cible retrouva sa position initiale et la lampe s'éteignit, laissant place à la lumière diffuse d'une ampoule rouge.

Malgré la douleur, Manon parvint à s'accrocher à une dernière pensée : surtout, ne plus hurler, ni remuer. Car le moindre cri, la moindre impulsion déclenchaient un projecteur et un tour de roue.

Ne plus crier, ne plus crier, ne plus crier.

Des bruits de pas, quelque part. Au fond de la pièce.

Manon crut percevoir une forme monstrueuse se promener derrière les rangées de bocaux. Une silhouette qui avançait vers elle.

Soudain, elle vit un visage, des yeux, horriblement déformés par les verres convexes, les verres concaves, les liquides colorés des récipients.

— Nous y voilà, Manon...

Une voix grave, dure.

Le visage apparut alors nettement, en contrechamp. Qui était cet homme ?

En fait de monstre, elle ne découvrit qu'un type à l'air banal, assez jeune, nez droit, bouche fine et cernes de mauvais dormeur. Une physionomie qui ne lui disait absolument rien.

L'homme s'avança encore, posa ses doigts sur la gorge de Manon, et pressa lentement. La mathématicienne sentit sa respiration se bloquer. Ses joues s'empourprèrent, les afflux sanguins attaquèrent ses pommettes avant de venir enflammer ses prunelles. Sa vue se brouilla. En une fraction de seconde, des images se bousculèrent dans son esprit. Elle se revit suffoquer sur le carrelage, dans sa maison de Caen, se rappela l'haleine imprégnée de rhum, la langue venue lui lécher l'oreille, et ces chuchotements : « Eadem mutata resurgo, eadem mutata resurgo, eadem mutata resurgo. »

Il se tenait là, face à elle. L'incarnation du Mal. Le Professeur.

—  Comme c'est curieux... constata Romain Ardère en relâchant la pression. C'est dans tes yeux que tout se passe, là, maintenant... Tu ne te souviens de rien sauf de ce jour-là, n'est-ce pas ? Tu te rappelles le jour où je t'ai étranglée, où je t'ai volé la mémoire... Et le phénomène s'est reproduit chez toi, il y a deux jours, quand tu as sorti ce flingue de nulle part.

Il lui caressa le visage.

—  C'était il y a si longtemps... Plus de trois ans... Tu avais trouvé la spirale, tu étais devenue bien trop dangereuse pour nous. Trop acharnée. Alors, nous nous sommes réunis et nous avons décidé. Il fallait t'éliminer... Simuler un cambriolage, un truc à la mode dans ton quartier... Nous avons échoué, mais ce n'était pas bien grave, puisque tu étais quasiment devenue un légume. Du coup, tu as pu rester en vie, nous avons laissé tomber.

Manon détourna la tête, les mâchoires serrées. Ardère lui attrapa le menton et la força à le regarder, puis il glissa ses doigts sur le bâillon.

—   Ne crie pas s'il te plaît, conseilla-t-il en ôtant le morceau d'étoffe. Sinon, je devrai te faire mal... Oh ! Suis-je bête ! C'est vrai que dans une minute, tu auras oublié mes ordres même si tu te concentres au-delà du raisonnable... Alors, dans tous les cas, je crois que je vais te faire mal.

Manon toussa à s'en déchirer les poumons. Elle n'entendait pas, elle n'entendait plus. Ce visage ! Ce visage ! Et sa gorge, qui lui brûlait comme si elle avait avalé une torche !

—  Le... Le Professeur... réussit-elle à articuler. Vous êtes... le Professeur...

Il ricana.

—  Le Professeur, le Chasseur... Quelle importance ? Appelle-moi comme tu veux.

Manon se cambra et hurla de toutes ses forces. La lumière blanche du projecteur vint aveugler ses grands yeux bleus. Le cuir des sangles pénétra ses poignets.

Rotation. Coulée de lave dans la tête. Retour à la position initiale.

Un homme, dans son champ de vision. Un inconnu.

—  Ainsi, tu as réellement perdu toute notion de ce qui vient de se passer, dit-il. Amusant... On dirait qu'à chaque tour de roue, tu renais, identique à toi-même. Eadem mutata resurgo, tu te rappelles, Manon ? Serais-tu toi-même une spirale ?