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Greux se moucha et demanda :

— Vous pouvez enfin m’expliquer ce qu’il se passe ? C’est qui, cette Manon Moinet qui croit dur comme fer sa mère vivante alors qu’elle est morte depuis des plombes ?

La jeune femme résuma la situation à son collègue. L’errance de Manon. Les urgences. L’amnésie.

— Ça, c’est une sale histoire, conclut Greux en lissant sa moustache.

Lucie agita son portable entre ses doigts, les lèvres serrées. Son jean mouillé lui collait à la peau. Une sensation très désagréable.

— Bon… Il faut figer la scène. J’appelle l’astreinte du LPS[5]. Qu’ils nous envoient une équipe pour les prélèvements primaires, en attendant qu’il fasse plus clair.

— Vous êtes sûre ? Les IJ[6] n’aiment pas trop qu’on les dérange la nuit. On n’a pas de corps.

— La séquestration est punissable d’au moins vingt ans d’emprisonnement, alors ces messieurs, crois-moi qu’on va les déranger. Et t’as vu la tronche du message ? Tu as un appareil photo ? Des rubans PN ? Des gants en latex ? J’aimerais regarder de plus près.

— Bah non, j’me promène pas avec la tenue de lapin blanc sur moi.

— Et dans le coffre ?

— On a bien quelques bricoles…

— Un aller-retour sous l’orage, ça te tente ?

— On appellerait pas Adamkewisch ? Il est à proximité !

— Non. Je préfère qu’il continue là-bas. Tu ne voudrais quand même pas que j’y aille moi-même ? La galanterie, t’en fais quoi ?

Greux bougonna, boutonna son duffle-coat et disparut dans le déluge.

Lucie ausculta la serrure et considéra les gendarmes qui grillaient une cigarette à l’abri. L’un d’eux propulsa d’une pichenette une allumette consumée.

— Évitez de contaminer l’endroit ! Râla-t-elle. Il faut préserver la scène au maximum ! Vous le savez bien, non ?

— La PJ lilloise en pleine action ! Lâcha le plus ventru en se retournant. Vous avez vu l’ombre d’un cadavre, vous ? Encore un délire de jeunes, à tous les coups ! Ou des écolos, ils en sont bien capables ! Ils sont un poil nerveux ces derniers temps ! Eux et les chasseurs, vous savez…

Il haussa les épaules, avant de continuer :

— Passez-moi l’expression, mais je comprends pas bien ce que les Lillois viennent foutre dans notre patelin pour des tags et des allumettes dans une cabane paumée ! On nous fait moisir ici ! On nous empêche de faire notre boulot alors qu’on a un accident sur les bras, et avec ce temps ça risque de pas être le seul !

Lucie ne répliqua pas. Elle choisit d’adopter un ton plus conciliant.

— Ce refuge est tout le temps ouvert ?

— Oui. De toute façon, y a rien à voler, rien à démolir. C’est qu’un vulgaire abri. Un toit, un plancher, quatre murs.

— Et la clé ? La clé de cette porte ? Où se trouve-t-elle ?

— Ah ! Ah ! Vous réfléchissez déjà à ce message ? « Ramène la clé » ? Vous chômez pas, vous ! Qu’est ce que j’en sais ? Faudrait peut-être passer à la mairie. Mais attention, pas avant 9 heures demain matin. Sinon, ce sera fermé.

Son collègue esquissa un sourire et tira de nouveau sur sa cigarette.

Lucie comprit qu’il était inutile d’insister. Elle observa attentivement le sol autour de la cabane. Boue, eau, mélasse. Avec ce qui tombait, aucune chance de prélever la moindre empreinte.

Elle promena son regard sur les arbres alentour. Un ravisseur. Un abri isolé, inoccupé. Un message d’avertissement, incompréhensible. Une énigme tordue. Des signes annonciateurs d’un sacré boxon.

Le Professeur… Un dossier géré par Paris, dont elle connaissait à peine plus que ce qu’en avaient dit les médias : un tueur à l’esprit particulièrement retors. Imprévisible. Et jamais interpellé.

Presque quatre ans… Comment l’auteur de six meurtres aurait-il pu s’interrompre et se mettre en veille si longtemps ? À de très rares exceptions près, jamais les tueurs en série n’agissaient de la sorte. Leurs pulsions, leurs fantasmes les en empêchaient. Ils devaient tuer, répéter leurs crimes, sans cesse. Elle regretta amèrement de ne pas avoir eu accès à plus d’informations sur cet assassin.

Quand Greux réapparut, hors d’haleine, Lucie ôta ses chaussures, ses chaussettes, et sous le regard amusé des gendarmes, enfonça ses pieds mouillés dans des sachets plastique avant d’enfiler une paire de gants en latex. Elle regagna l’intérieur du refuge, bientôt suivie par son collègue, et mitrailla la pièce de photos. Puis, en prenant soin de ne pas déplacer trop d’allumettes sur son passage, elle s’approcha des morceaux de corde.

— Des traces de sang… Manon avait la main tailladée… Vu la longueur des liens, son ravisseur a dû la ligoter des pieds à la tête. Les extrémités sont brûlées pour éviter que le nylon s’effiloche, donc ils n’ont pas été coupés.

— Elle se serait détachée comment, alors ?

— Je ne vois pas de nœuds… Quand on se détache, il reste toujours des nœuds. Le nylon enroulé garde une forme particulière, non ?

— Peut-être, oui. J’suis pas expert dans les jeux sadomasos.

— L’autre truc étonnant, c’est que les liens sont tous regroupés au même endroit. Presque rangés… Il faudra vérifier dehors, mais a priori, je ne vois pas de bâillon…

— Bah… Il n’y avait pas grand risque qu’on l’entende. On peut pas dire que ce soit la foule dans le coin. En plus, il pleuvait comme vache qui pisse.

— Ouais… Ou alors, elle était inconsciente…

Elle observa les murs un à un, avec une attention chirurgicale.

— Le type avait dû repérer l’endroit pour s’assurer qu’il ne serait pas dérangé durant la mise en place de son « effet »…

— Un gars du coin ?

— Pas forcément.

Elle réfléchit à voix haute :

— Il l’amène ici ligotée et inconsciente. Il la pose dans l’angle et défait ses nœuds, inscrit son avertissement sur le mur, répand ces kilos d’allumettes, avant de disparaître. À son réveil, Manon n’a plus qu’à s’évader, abandonnée à son amnésie.

— Vachement logique… Enlever quelqu’un pour le laisser fuir ensuite…

Sans répondre, Lucie se pencha vers les allumettes.

— Il s’est peut-être juste servi d’elle pour nous orienter ici et nous délivrer son message. Une personne incapable de se souvenir de son visage. Ce qui implique qu’il la connaissait, de près ou de loin… Ou alors, il a eu accès à son dossier médical. Puis il y a ces étranges cicatrices… Peut-être que…

« La voilà repartie dans son trip… » Se dit Greux en soupirant.

— Mais pourquoi tant d’efforts ? s’interrompit Lucie. Pourquoi pas un simple coup de fil anonyme qui nous aurait directement amenés ici ?

— Pour la beauté du geste, à coup sûr, répondit ironiquement le major. Le coup de fil ? Trop minable.

Lucie releva légèrement le menton.

— Tu te fous de moi ?

— Non, mais bon… En général, on n’a pas vraiment affaire à des lumières…

Lucie se redressa, les mains sur les genoux.

— Note… Note qu’il faudra vérifier si la branche qui a provoqué l’accident n’a pas été sciée. Notre kidnappeur serait bien capable d’avoir poussé son délire jusque-là.

Greux mordilla le capuchon de son stylo sans ouvrir son carnet.

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5

Laboratoire de police scientifique.

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6

Identité judiciaire.