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Deux minutes plus tard il se trouvait à l’intérieur, dans le hall. Les flics avaient pour ordre de ne pas quitter leur véhicule, ils ne le dérangeraient pas. Quant au frère… Absent pour le moment, tout simplement.

Il rabattit sans bruit la porte derrière lui et ferma le verrou. Son rythme cardiaque s’accéléra. L’excitation, l’embrasement des pulsions…

— Là ! Bon chien, bon chien…

Myrthe explora cette paume étrangère, accepta les caresses sur son poitrail puis retourna dans la cuisine.

L’intrus avança tranquillement. Il jeta un œil en direction de la chambre, sur sa gauche. Un grand poster de Manon habillait le mur du fond. Il s’en approcha et effleura à travers son gant cette opaline si pure. Elle était si belle… si désirable… Ça faisait tellement longtemps…

Les dents serrées, il fit coulisser un tiroir qui émit un bref couinement. Il s’immobilisa, s’assura que le jet hydraulique n’avait pas faibli. Devant lui, des paires de chaussettes, classées par couleur et par saison. Dans une vibration sanguine, il ouvrit le compartiment du dessous et accéda aux petites culottes, elles aussi parfaitement rangées. La main gantée en piocha une bien au fond, noire et en dentelle. La petite salope… Il adorait la dentelle, il en aurait bouffé. Il la renifla longuement avant de la fourrer dans sa poche. Souvenir personnel.

Parmi les papiers, les éphémérides et les Post-It dispersés un peu partout, il découvrit, sur la table de nuit, les bilans des derniers tests de mémoire de Manon. MMS, score de l’efficience cognitive, échelle de Mattis… Il les feuilleta. De jolis progrès, grâce à la répétition. Résultats en hausse, impressionnant. Mais Manon était absolument incapable de retenir de l’information immédiate. La moindre distraction, et hop ! Tout s’effaçait. Y compris les visages. Prosopagnosie, du pur bonheur. La faille à exploiter.

Il poursuivit son exploration. Au fond du couloir, une porte de métal avec un digicode attira son attention. Qu’est-ce qu’un machin pareil fichait dans un appartement ? Qu’avait-elle à cacher à l’intérieur ? Il se précipita dans la cuisine, y dégota un paquet de farine et en fit couler une petite quantité dans le creux de sa main, qu’il retourna souffler sur les chiffres du digicode. La substance blanche s’accrocha sur la graisse abandonnée par les empreintes digitales. Quatre chiffres émergèrent. 1,4, 3,7. Restait à tester toutes les combinaisons. Une minute plus tard, il se faufilait à l’intérieur du bunker.

Une lumière s’alluma automatiquement. Pas de fenêtres.

Un fouillis démentiel, une caverne de notes étranges, illisibles pour la plupart. Il se figea devant les formules mathématiques, les déductions, les bizarreries en latin avant de se tourner vers les photos. La soif de traque de Manon n’avait pas faibli. Clichés de la sœur, Karine, après son passage entre les mains expertes du Professeur.

Œuvre de chair et de sang. Il connaissait cette image, faite de lèvres écorchées, de globes oculaires révulsés, de doigts crispés autour d’une craie bleue. Lui aussi en conservait quelques exemplaires chez lui, avec celles des cinq autres victimes. Sacré privilège.

Mais là n’était pas le plus intéressant. Il sortit, effaça les traces de farine et se dirigea vers la salle de bains.

Il marcha lentement, silencieusement. Il aurait aimé pouvoir étirer chaque seconde à l’infini. La jouissance de l’attente, avant le passage à l’acte.

Du bout des doigts, il poussa la porte. La vapeur enveloppa son corps déjà embrasé. L’eau frappait bruyamment contre une large vitre. Derrière le Plexiglas, les mouvements ondoyants d’un corps de femme. Il s’approcha, chevaucha un tas de vêtements et colla son front contre la paroi.

Elle lui tournait le dos.

Cette cambrure parfaite. Telle que l’avait façonnée son imagination, pendant ces douloureuses années. La vision obsédante de ses cauchemars.

Manon, Manon, là, juste derrière. Un simple film transparent entre leurs corps. Il la lui fallait, tout de suite. Presser ces seins rebondis, les malaxer, les broyer jusqu’au sang. C’était si simple ! Il ôta son blouson, le laissa tomber sur le sol et enfonça son pistolet dans la poche arrière de son jean. Pas besoin d’arme.

Il chassa brutalement la paroi coulissante, ses doigts agrippèrent à tâtons le robinet et coupèrent l’eau. Manon n’eut pas le temps de lui faire face, une poigne puissante la bâillonna. Elle se retrouva écrasée contre le mur de faïence, privée de ses mouvements par le serpent de chair qui se resserra autour de sa gorge. Impossible de frapper.

— Salut ma puce…

Cette voix… Elle l’aurait reconnue entre mille.

Le front de l’homme perlait, sa chemise était trempée. Chacun de ses muscles résonnait comme une corde de harpe. La vapeur le saisissait. D’un geste déterminé, les mâchoires serrées, il coucha Manon au sol et se frotta contre elle de toutes ses forces. Le bruit des chairs contre l’émail luisant se fit de plus en plus intense.

Il lui suffisait de baisser sa braguette, là, maintenant, pour la posséder… enfin.

Manon continuait à se débattre. Dans un hurlement étouffé, elle parvint à lui mordre la main. L’homme grogna, tandis que sa proie recrachait un morceau de chair rose dans le trou d’évacuation.

Écrasé de douleur, il se releva, déclencha le jet d’eau chaude à pleine puissance et rabattit la paroi coulissante.

— Je reviendrai très bientôt, ma puce, grimaça-t-il en pressant sa paume ensanglantée. Et cette fois, tu passeras à la casserole. Salope.

Manon hurla. Le contact de l’eau brûlante sur sa peau. Ses épaules, ses cuisses en feu. L’impression de milliers de volts, à l’assaut de son organisme. Elle projeta ses deux mains au-dessus de sa tête, sur le robinet, qu’elle tourna à fond vers la droite. L’eau devint glaciale. Nouveau hurlement. Elle parvint enfin à fermer le robinet et resta vingt bonnes secondes, haletante, endolorie, tandis que les derniers écoulements disparaissaient dans un tourbillon et qu’un voile de vapeur encerclait son visage en un masque d’oubli.

Comment avait-elle fait pour se brûler si fort ? Et d’où provenait ce goût de sang dans sa bouche ? Elle se tira les cheveux, à se les arracher, en rage contre ce maudit handicap qui la dévorait.

Et la rendait aussi fragile et vulnérable qu’un verre de cristal dans un étau.

23.

Lucie avait prié Maud, la nourrice, de garder les filles plus tard que prévu. Ces heures supplémentaires pousseraient son compte bancaire dans le rouge, mais tant pis. La paye allait bientôt arriver et, par-dessus tout, la passion du métier était en train de supplanter définitivement l’instinct maternel.

Elle devait absolument rencontrer Pierre Bolowski, le paléontologue, qui voulait lui communiquer des informations au sujet des fragments de fossile retrouvés dans le système digestif de Renée Dubreuil. Et, juste après, rendre une petite visite à Frédéric Moinet. Cette histoire de scarifications sur le ventre de Manon l’intriguait.

Avant son départ pour Villeneuve d’Ascq, elle avait appelé le commandant pour lui demander de récupérer les différentes photos du N-Tech sur son émail. Il avait immédiatement placé des effectifs sur le coup. Vérifier les identités, les emplois du temps de plus de cent quarante personnes, de la caissière de supermarché au dentiste. Voilà qui promettait.