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— Elle, c’est Lucie Henebelle, expliqua Turin. Elle est lieutenant de police, elle veut t’aider. Elle enquête avec moi sur…

— Lucie Henebelle ?

Manon sembla reprendre des couleurs.

— Le Professeur ! Mon enlèvement ! La mort de Dubreuil ! Oui, je crois me rappeler ! C’est cela ! Des… Des choses me reviennent…

Turin s’appuya contre le lavabo.

— Quelqu’un vient d’essayer de te tuer. Et ce quelqu’un n’a pas hésité à neutraliser les deux plantons devant chez toi pour pouvoir t’atteindre.

Manon se remit immédiatement à paniquer.

— Frédériiiic !

Lucie s’agenouilla devant elle et lui glissa la main derrière la nuque. Manon observa d’abord un mouvement de repli, une espèce de méfiance réflexe, puis finit par se laisser faire, comme si, au fond d’elle-même, elle connaissait cette chaleur familière.

— Votre frère n’a rien, ne vous inquiétez pas. Il s’est rendu à Paris, bien avant tout ce remue-ménage, pour une réunion demain matin.

La jeune femme ne parvenait pas à s’apaiser. Elle se mit à fouiller du regard autour d’elle.

— Votre N-Tech est dans le salon, poursuivit calmement Lucie, ainsi que votre téléphone portable. Tout a l’air de fonctionner, soyez rassurée.

Manon la considéra avec cet air suppliant que Lucie connaissait par cœur à présent.

— Donnez-le-moi ! S’il vous plaît !

Turin disparut et revint immédiatement avec l’engin. Elle le lui arracha des mains sans même lever la tête, entra son mot de passe en cachette et déclencha la fonction « Enregistrement ».

— Répétez ! Répétez ce qu’il vient de se passer ! S’il vous plaît ! Répétez !

Lucie s’exécuta. Affronter la détresse de cette fille, sa fragilité, se rappeler la sienne… Elle dut prendre sur elle pour ne pas laisser paraître son émotion. Elle éprouvait l’envie de rentrer, d’étreindre ses gamines, de partager des moments de bonheur avec elles. De brûler ses papiers, ses articles, ses livres. Dans deux jours, son anniversaire… Elle détruirait tout…

Après le rapide résumé de la flic, Turin envoya d’une voix tendue :

— Je me suis renseigné dans l’après-midi. Tu as suivi des cours à l’Union des tireurs de Villeneuve d’Ascq, l’année dernière. Pourquoi ?

Manon ouvrit des yeux de chouette.

— Quoi ? Des cours de tir ?

Turin soupira.

— Et ce Beretta, numéro de série limé ! Explique toi !

— Moi, un Beretta ? Tu es dingue ? Tu viens de me dire qu’on m’avait agressée ! Ce n’est pas le mien…

Il pointa l’index vers un morceau de cuir qui dépassait de la serviette éponge.

— Le holster, il est venu tout seul contre ton flanc ?

— Je n’y comprends rien ! J’ignorais que je savais m’en servir ! Tu dois me croire ! Vous, madame ! Vous devez me croire aussi !

Turin s’avança, mais Lucie s’interposa et lui chuchota :

— Comment vous savez, pour les cours de tir ?

— Vous pensez que j’ai perdu mon temps ? Ses chèques…

— Ses chèques ? De quel droit avez-vous consulté ses mouvements bancaires ?

— Elle est incapable de nous dire ce qu’il s’est passé cinq minutes plus tôt, alors il faut bien faire les recherches à sa place.

Il s’écarta et s’approcha de Manon. La dominant de toute sa hauteur, il poursuivit son attaque verbale :

— Tu t’es aussi inscrite dans un club d’autodéfense, voilà six mois. Tu t’y rendais quatre fois par semaine, avant de tout stopper il y a un mois ! Quatre fois par semaine, comme ça, tout d’un coup !

Il s’accroupit pour venir se placer à dix centimètres de son visage.

— Aujourd’hui, tu te fais agresser, et bizarrement tu t’en sors en désarmant ton adversaire. Grâce à tes cours, justement. Tu as même essayé de le buter avec ton flingue. Comme si on t’avait préparée, programmée à anticiper tout ça. Ton délicieux protecteur t’a même fourni une arme ! Que sais-tu qu’on ignore ?

Manon secouait la tête à toute vitesse, au bord des larmes.

— Je ne me souviens pas ! Je ne me souviens pas !

Turin souffla par le nez, excédé.

— Mais tu aurais pu apprendre que tu suivais des cours ! Tu aurais pu en apprendre la raison ! Ces séances doivent bien être notées quelque part dans ton putain d’organiseur !

Manon passa sa main ouverte devant son visage, lentement, serra le poing et le fit pivoter d’un mouvement sec. Elle ressentit alors la force des coups en elle, la maîtrise du combattant. Aussi fou que cela pût paraître, elle savait se battre.

Avec des gestes incroyablement vifs et précis malgré sa nervosité, elle se mit à fouiller dans son N-Tech. Turin et Lucie s’approchèrent plus près encore. Sous leurs yeux, la mathématicienne remonta des semaines en arrière, faisant défiler le détail de chaque journée. Photos, notes écrites, enregistrements audio titrés. Rien, absolument rien ne concernait son entraînement. Juste une infinité de rendez-vous, des remarques en tout genre. Ni cours d’autodéfense, ni leçons de tir.

Puis, soudain, dans la fonction « Alarme », cette alerte datée du 1er mars et déclenchée ce midi : « Va voir au-dessus de l’armoire de la chambre. Prends l’arme, et arrange-toi pour ne jamais t’en séparer. Jamais. »

— Alors ? Il est toujours pas à toi ce Beretta ? lança Turin.

— Mais… Mais je n’y comprends absolument rien !

— Quelqu’un a dû manipuler les informations, suggéra Lucie. Et vous manipuler, vous.

— Me manipuler ? Non, impossible ! Strictement impossible ! Je m’en serais rendu compte. Je n’inscris là-dedans que ce dont je suis sûre ! Si on me dit de noter des choses que je n’ai pas pu vérifier, je ne le fais pas !

— Comme lorsque votre frère ou Vandenbusche vous affirment que votre mère a appelé alors que vous avez oublié ?

Manon fronça les sourcils.

— C’est différent. D’abord, j’ai confiance en eux. Et pourquoi me mentiraient-ils sur un sujet aussi simple et sans conséquences ?

— D’accord, répliqua Lucie. Et si on vous forçait à rentrer des informations sous la contrainte ?

— Il faudrait qu’on sache exactement la manière dont je saisis mes données, à quel endroit. Sous la contrainte ? J’inscrirais les infos dans un dossier bidon… Et si vous pensez qu’un autre peut le faire à ma place… Non. Mon N-Tech se verrouille automatiquement dès que je ne l’utilise plus ! Personne ne connaît mon mot de passe, je le change régulièrement !

— En le piochant dans votre coffre-fort, c’est ça ?

— Comment vous…

— Votre frère m’en a parlé.

— Mon système de protection est cent pour cent fiable, vous comprenez ? Je suis extrêmement prudente ! Je le sais !

— Manon… Vous êtes amnésique, vous ne pouvez être sûre de rien…

— Comment osez-vous ? répondit la jeune femme, outrée, avant de hurler à l’intention de Turin :

— Et toi, qu’est-ce que tu fiches ici, chez moi ?

Sans même prendre la peine de répondre, Turin sortit de la salle de bains en faisant signe à Lucie de le suivre.

— Juste une seconde, Manon. Nous sommes à côté. Et cette fois-ci, ne faites pas de bêtises… fit la flic avant de le rejoindre dans la chambre.

— Vous pensez comme moi ? demanda-t-il.

— Le frère ?

Il opina du chef.