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— Parlons encore un peu… Tu ne veux pas connaître ma vie de ces quatre dernières années ? Savoir comment j’ai évolué dans ma carrière ?

— Tu peux parler des heures et des heures, je ne noterai rien. Je me fiche royalement de ta vie.

De nouveau les écouteurs, les conversations enregistrées. Turin serra le poing. Cette garce se foutait de sa gueule.

Les rayonnements orangés des lampadaires explosaient sur le pare-brise en étoiles diffuses. Les bandes blanches défilaient sous les roues. Soudain, à droite, un panneau.

Une aire de repos, à dix kilomètres.

Turin s’attarda sur le visage de Manon. Tout remontait à la surface. L’objet de ses rêves les plus secrets, de sa douleur, de ses obsessions nocturnes se tenait là, à ses côtés. Il se mit à l’imaginer nue, la poitrine offerte, oscillant contre lui.

Un torrent brûlant se déversait dans ses artères. Oui, il était malade. Malade des femmes, de la baise, des putes. Malade de Manon. Du sexe. Toujours plus. Il avait voulu se guérir, ou tout au moins freiner ses élans en intégrant la Crim. S’éloigner de la tentation qui plane sur les flics des Mœurs. Travailler sans cesse, affronter le pire, jusqu’à ne plus distinguer la nuit du jour. Mais tout cela n’avait servi à rien. Les pulsions enflaient, là, en lui, toujours plus violentes.

Il la contempla encore, sans se lasser. Il pouvait la posséder si facilement. Maintenant, sur cette aire d’autoroute. Aller jusqu’au bout, sans aucun risque. Pourquoi se priver ? Il n’y aurait pas une âme. Ou peut-être un ou deux voyageurs qui, d’ici quelques minutes, découvriraient un couple enlacé dans une voiture. Entités anonymes qui repartiraient vers nulle part, sans chercher à comprendre.

Le changement de direction éveilla Manon. Turin, à sa gauche… La peur… Le geste vers la poignée… La feuille A4, qui freine son mouvement et la rassure. Ainsi, ils allaient en Suisse… à Bâle. Bernoulli. Elle ôta son casque.

— Qu’est-ce que tu fais ? Depuis combien de temps roule-t-on ?

— Deux heures. Pause pipi, si tu veux.

— Ça va aller…

Dans un ronflement tranquille, le véhicule dépassa une station-service qui paraissait flotter dans l’air, tel le vaisseau de lumière de Rencontre du troisième type. Ils s’avancèrent vers le parking destiné aux véhicules légers.

Manon fronça les sourcils.

— Les toilettes sont de l’autre côté, me semble-t-il.

— Pas besoin, un arbre me suffira. Si ça te tente, il y a des biscuits dans le coffre, fit Turin en enfilant son cuir. J’arrive…

Manon se frotta les mains l’une contre l’autre et regarda longuement autour d’elle à travers les vitres. Le parking était presque désert, seuls quelques camions au loin. Un décor sordide. Elle se mit à frissonner.

Le coffre se rabattit violemment. La jeune amnésique sursauta. Panique instantanée.

La main sur la poignée, la feuille A4. Direction Bâle, avec Turin. Turin ? Pourquoi lui ?

Elle jeta un œil dans le rétroviseur. Personne. Elle défit sa ceinture de sécurité et se retourna. Le bitume, les camions immobiles sur la gauche, la masse noire des arbres sur la droite, et deux ou trois points lumineux s’éloignant sur l’asphalte.

Où était Hervé Turin ?

— Hervé ? se surprit-elle à crier, soudain en proie à des bouffées d’angoisse.

Peut-être parti aux toilettes, ou en train de fumer une cigarette. Sûrement même.

Elle voulut allumer la radio pour se rassurer, mais l’appareil n’émit aucun son. Pas de clé sur le contact. Cela était-il normal ? Pourquoi se trouvait-elle seule dans une voiture inconnue, en pleine nuit ? Où s’était elle encore échouée ? Comment ? Pourquoi ?

Tout se mit à tourner. Elle plaqua ses mains sur ses oreilles.

Au moment où elle se décida à ouvrir la portière, à courir en direction des camions, le lieutenant réapparut, le perfecto sous le bras, et pénétra dans l’habitacle.

— Qu’est-ce que je fiche ici ? grogna Manon. Tu aurais dû me laisser un mot ! Je croyais que… Ne recommence plus jamais !

Il ébouriffa ses cheveux noirs. Manon aperçut une lueur malsaine dans ses yeux.

— Je pourrais recommencer dans cinq minutes, si je voulais. Puis dans dix. Sortir me cacher, t’observer, comme à l’instant, et revenir t’effrayer. M’amuser avec toi.

— M’observer ? Qu’est-ce que…

— Je pourrais rester ici des plombes, et te dire que nous venons d’arriver, à chaque fois. Je pourrais te raconter les pires saloperies. Te traiter de sale pute, par exemple, ou alors…

Il fouilla dans sa poche et agita un morceau de dentelle noire.

— Te forcer à bouffer ta propre petite culotte, mais…

D’un geste très vif, il claqua son poing sur le tableau de bord.

— Bouh ! hurla-t-il en cachant le sous-vêtement.

Manon bondit sur son siège, haletante.

— Qu’est… Qu’est-ce qu’il se passe ? Que fait-on ici ?

— Pipi. Tu ne te souviens pas ?

Elle se retourna dans tous les sens. Pourquoi son cœur battait-il si vite ? Et cette suée, partout sur son corps ?

— Où sommes nous ?

Il se mit à lui caresser la cuisse. Elle lui attrapa fermement le poignet.

— À quoi tu joues ? N’essaie même pas !

— Tu ne peux pas savoir ce que je ressens. C’est… pire que la gangrène. Ce besoin de… posséder la chair des femmes. Tu sais, je crois qu’il manquait peu de chose pour que je bascule de l’autre côté. Du côté sombre…

Il dégagea sa main et lui agrippa la nuque.

— La limite est tellement fragile. Je comprends si bien ces enfoirés que je traque… Je me sens si proche d’eux, parfois…

— Lâche-moi !

La crainte filtrait dans le vibrato de sa voix. Elle, seule avec un obsédé qui avait déjà tenté de la violer. Cela lui paraissait hier.

Tout recommençait. Le monstre Turin se réveillait. La face noire de l’être.

Sans qu’il puisse réagir, elle lui envoya un coup de coude en pleine figure et se jeta sur la portière.

Tous ses sens se braquèrent sur un seul objectif : la fuite.

Brusquement, sa main se figea sur la poignée.

Ses veines saillirent sur ses bras, ses globes oculaires se révulsèrent tandis que ses muscles se contractaient avec une tension inimaginable.

Une forte lumière bleue. Des crépitements électriques.

Elle voulut hurler. Mais pas un cri ne parvint à franchir ses lèvres.

Malgré ses efforts, elle se sentit subitement incapable de remuer le petit doigt. Sa langue pendait légèrement entre ses dents. Impossible de la rentrer dans la bouche.

Paralysée.

Mais consciente.

De nouveau le noir, l’isolement.

— Le dernier Taser, murmura Turin en essuyant le sang qui coulait de son nez. 50 000 volts pour une paralysie d’un bon quart d’heure. Ni traces, ni séquelles physiques. Pas mal comme joujou, non ?

Aucun mouvement du côté des camions. Pas de lumière, pas un bruit, rien.

Il sortit, réapparut côté passager et allongea Manon sur la banquette arrière.

— Tu m’as fait mal, sale pute. Tu m’as vraiment fait mal !

Il alla ensuite récupérer une trousse de secours dans le coffre et se colla un pansement sur le nez. Puis il revint se coucher sur Manon, verrouilla les portières, et lui ôta son pull, avant de plonger sa langue dans la bouche immobile de la jeune femme.

Manon ne put même pas fermer les yeux.

— Je ne vais pas te pénétrer, lui chuchota-t-il en lui léchant le lobe de l’oreille, mais juste faire un truc entre les seins. Me déverser sur toi…