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— Taisez-vous ! Je n’en peux plus. Je ne comprends rien à ce que vous dites !

— Tu ne comprends pas, ou tu fais semblant ? Toutes ces consignes, c’est moi qui les invente ? « Nettoyer le sol à la Javel. » « Vérifier dehors avant de sortir. » « Fermer la porte. » « Rejoindre la voiture. » « Rentrer à l’appartement. » Un véritable mode d’emploi !

Lucie était rouge de colère. Elle contrôla sa respiration et poursuivit :

— Et donc, te voici de retour chez toi. Dubreuil est morte, et nous sommes en fin de matinée, aux alentours de midi… Ton frère ne m’avait pas menti. Il t’avait bien vue à 9 h 10, juste avant que tu t’apprêtes à commettre ton crime.

— Mon frère ? Pourquoi vous parlez de Frédéric ?

— Arrive maintenant le passage délicat. Le moment où tu décides de tout effacer. Midi, donc. Tu viens de tuer Dubreuil et de rentrer chez toi. Dans ton N-Tech, il est noté que tu dois inscrire sur une feuille toutes les actions futures à effectuer. Le papier, en quelque sorte, deviendra le miroir de ton N-Tech, le temps que tu passes à la dernière phase de ta machination. Une fois que tu as recopié tout ce qui t’intéressait, tu supprimes méticuleusement les données compromettantes de l’organiseur, toutes les traces de la préparation de ton crime. Cours d’autodéfense, Beretta, ammonite, spirale de Bernoulli, les infos me concernant… Bref, tu vas encore décider de repartir de zéro, mais avec un atout de taille : les forces de police à tes côtés, cette campagne de pub, et tout le reste… Tu ne commets qu’une seule erreur : alors que tu penses écraser ta précédente sauvegarde et donc effacer également toute trace sur le serveur de MemoryNode, tu ne fais en réalité qu’en ajouter une de plus à toutes celles qui t’accablent.

Chacune des étapes du plan machiavélique de Manon apparaissait maintenant aux yeux de la flic dans toute sa clarté.

— Ensuite, tu abandonnes le N-Tech près de ton ordinateur, et, à partir de ce moment-là, tu suis uniquement les instructions de ta feuille. Sur cette feuille, il est indiqué que tu dois rester habillée avec ton survêtement et tes baskets, sortir sans te faire remarquer, chose facile dans ton impasse, prendre le bus jusqu’à Valenciennes, puis aller à pied jusqu’à Raismes, en passant par des sentiers pédestres, afin de t’épuiser… pour que tout paraisse plus vrai. Le docteur des urgences avait remarqué tes pieds gonflés, tes ampoules… Je n’ai pas pensé à creuser ce détail, mais j’aurais dû ! Car la cabane était très proche de l’endroit où une voiture t’a recueillie ! Et ce n’est pas ton errance dans Lille qui pouvait t’amocher les pieds de la sorte !

Des coups sur le mur. Manon qui frappait du poing.

— Tu peux chercher à perdre la mémoire, fit Lucie, mais ça ne changera rien à la réalité.

Elle poursuivit, imperturbable :

— Avant d’arriver dans l’abri des chasseurs, tu t’entailles la main avec un caillou tranchant. Tu inscris : « Pr de retour », puis tu te débarrasses du caillou. Une fois dans la cabane, usée, à bout de souffle, la paume en sang, tu te frottes les poignets et les chevilles avec la corde, tu ressors et tu rejoins la route. On connaît la suite. Le type qui te recueille, puis te ramène sur Lille. Ta marche dans les rues de la ville, avant que tu te débarrasses de ta feuille et que tu t’échoues dans la résidence étudiante, juste à côté de chez moi… Je cite : « Tu arracheras, puis jetteras la feuille au moment d’atteindre la résidence. Fais-toi confiance… » C’était ça, Manon, cette impression que tu avais de me connaître, sans savoir pourquoi !

Lucie éteignit l’écran de l’ordinateur et souffla longuement.

— Et pourtant, malgré tout ce que tu as fait, malgré… ton crime, je crois que tu as été honnête avec moi… Tu t’es laissé prendre par ta propre mise en scène… Tu as vraiment cru à ton enlèvement par le Professeur… Tu as réellement tourné en rond… Tu t’es scarifiée, tu t’es fait agresser et kidnapper par Ardère… Tu as failli mourir.

La flic ne parvenait plus à juger du bien et du mal. Tout s’embrouillait en elle.

— Et tu as réussi… Par ton acharnement. Par ta volonté de tout reprendre à chaque fois depuis le début… Tu as continué à traquer le Professeur, à combattre tes propres fantômes… Là où nous avons échoué, tu as réussi… Tu as trouvé le Professeur… Et le Chasseur… Tu as rendu justice à toutes ces familles… Manon… Que vas-tu devenir ? À peine comprendras-tu ce qui est arrivé que tu auras déjà oublié… Comment te juger, Manon ? Comment t’imaginer à ton procès, ignorant la raison de ta présence sur le banc des accusés ? Comment t’imaginer derrière les barreaux d’une prison, dans cet environnement hostile, te demandant sans cesse ce que tu fais là ?

À présent, Lucie laissait parler son cœur, oubliant pour un temps son insigne de flic.

— Tu savais que le visage de Dubreuil s’effacerait de ta mémoire quelques minutes à peine après le meurtre. Tu as choisi un monstre, tu n’as pas tué une innocente… Dubreuil a torturé… Elle a torturé ses trois enfants qui auraient pu être mes filles. Mérite-t-elle que tu paies pour elle ? Je… Je ne crois pas… Tu as besoin d’une nouvelle vie… Laisser le passé derrière toi. Couper le cordon, comme je viens de le faire avec la Chimère… Et je pense que je serai là pour t’aider…

Le N-Tech se mit à sonner trois fois d’affilée, deux longues et une courte. Manon leva l’index.

— Ah ! Myrthe ! L’heure de son repas ! Vous m’attendez ici ?

Et alors que Manon s’éloignait, Lucie alluma de nouveau l’écran.

Lentement, elle sélectionna les dossiers un à un sur le serveur externe.

Et enfonça la touche « Suppr ».

— Personne ne saura jamais, Manon. Ce secret t’appartient… Ce secret nous appartient…

NOTE AU LECTEUR

Deux des victimes du Professeur ont été confrontées au problème d’Einstein. Il s’agit d’un exercice de logique qui ne demande aucune connaissance mathématique particulière, juste une certaine forme d’acharnement.

En voici l’énoncé :

« Il y a cinq maisons de couleurs différentes, toutes sur une rangée.

Dans chaque maison vit une personne de nationalité différente.

Chacune de ces cinq personnes boit une boisson, fume une marque de cigarettes et élève un animal.

Personne n’a le même animal, ni ne fume les mêmes cigarettes, ni ne boit la même boisson.

L’Anglais vit dans la maison rouge.

Le Suédois a un chien.

Le Danois boit du thé.

La maison verte est à gauche de la maison blanche.

Le propriétaire de la maison verte boit du café.

Celui qui fume des Pall Mall a un oiseau.

Celui de la maison jaune fume des Dunhill.

Celui de la maison du centre boit du lait.

Le Norvégien vit dans la première maison.

Celui qui fume des Blends vit à côté du propriétaire du chat.

Celui qui a un cheval vit à côté de celui qui fume des Dunhill.

Celui qui fume des Blue Masters boit de la bière.

L’Allemand fume des Princes.

Le Norvégien vit à côté de la maison bleue.

Celui qui fume des Blends a un voisin qui boit de l’eau.