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Il n’est pas donné à tous les académiciens Goncourt d’avoir été légitimés au couvert qui porte leur nom au moins autant par le vin que par la littérature.

Cette présence du vin dans mon existence, ses interventions bénéfiques m’ont toujours à la fois amusé et intrigué. Ce ne sont pas les deux petites vignes qui bordent la maison de famille, côtés sud et ouest, qui justifient une protection spéciale de saint Vincent, patron des vignerons. Je n’ai jamais voulu passer pour l’un d’entre eux, refusant quand c’était à la mode de me constituer un domaine. Quoique serviteurs dévoués, mon nez et mon palais ne possèdent pas les capteurs surpuissants des sommeliers. Pourtant Bacchus semble me tenir en estime, m’ayant fait gravir assez rapidement tous les grades de la Confrérie bourguignonne des chevaliers du tastevin.

Un samedi soir de camaraderie en liesse, nous nous étions cotisés pour que, nous faisant un prix collectif, une sorte de gitane nous tire les cartes dans un café de Richelieu-Drouot. Nous n’étions encore que des étudiants curieux et inquiets de leur avenir. Les cartes que j’alignai, l’ordre dans lequel elles étaient sorties du paquet montraient clairement, selon la pythonisse, que j’étais un homme de la terre, du signe du Taureau — c’était exact —, et que je ferais fortune dans les céréales ou la vigne, plutôt le vin, précisa-t-elle, oui, le vin, et que je rencontrerais un homme ou une femme qui m’ouvrirait les portes de son domaine très réputé… C’était loufoque et absurde. Mes copains rigolaient. J’ai quand même payé ma part.

Ce n’était ni loufoque ni absurde. Il y avait du vrai. Je remplis mon verre et le lève pour remercier successivement ma mère, son vigneron Julien Dulac, Maurice Noël, Charles Bukowski, Olivier Orban, Colette et Léon Daudet.

Quatrains littéraires

Antoine Blondin a ainsi résumé l’Odyssée : « Ulysse, ta femme t’attend. » Difficile de faire plus court. Demande-t-on encore aux collégiens et aux lycéens de résumer un roman ou un essai ? Exercice pas aussi simple qu’il y paraît, souvent le secondaire ou le superflu n’étant pas clairement isolable de l’essentiel. On peut se perdre dans le déroulé des faits ou l’enchaînement des idées.

On avait droit à cinq, dix ou vingt lignes, pas une de plus. Condenser Le Bourgeois gentilhomme, Tarass Boulba, Le Rouge et le Noir ou L’Art poétique, c’était comme triturer une grosse boule de pâte à modeler pour en extraire une tête de chat ou un marteau. La Fontaine ayant le génie de la rapidité et de la concision, le résumé de la fable était presque aussi long que la fable elle-même.

C’est le souvenir de ces exercices que j’aimais pratiquer qui m’a donné l’idée de bricoler des quatrains dans lesquels j’évoquerai plus que je ne les condenserai des œuvres célèbres. Non plus à la manière respectueuse du collégien, mais avec la liberté désinvolte et blagueuse du vieux lecteur. On voudra bien me pardonner un certain penchant pour la loufoquerie.

Homère en a assez, il est grognon, il boude. Ô Troie, ton siège est long, la guerre jusqu’à quand ? Ayant clos l’Iliade sans le cheval gagnant Homère est licencié par les prods d’Hollywood.
Iliade, Homère, VIIIe siècle av. J.-C.
Sa vieille nounou a reconnu Ulysse Que, ô dieux ! Pénélope a pris pour un quidam. Voilà qui démontre que les seins qui nourrissent Sont plus clairvoyants que la gorge qui enflamme.
Odyssée, Homère,
vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C.
De sa bouche énorme, vorace, Gargamelle m’a roulé un baiser, un patin, une pelle !
Comme elle désirait que nous allions plus loin, affolé, j’ai caché mon petit saint-frusquin.
Gargantua, François Rabelais, vers 1535.
Notable d’aujourd’hui, Don Diègue l’humilié n’utiliserait plus le langage châtié du temps où l’on disait : vous m’avez chanté pouilles. Moderne, il lancerait : Rodrigue, as-tu des couilles ?
Le Cid, Pierre Corneille, 1637.
Cela faisait longtemps que la gent La Fontaine, l’agneau, la cigale, les pigeons, la fourmi, attendaient, qui bêlant, qui roucoulant, que vienne un drôle d’animal : le disant Luchini.
Fables, Jean de La Fontaine, 1668.
Quand le grand Bossuet, en France si célèbre, se présenta, humble, devant son Créateur, il osa cependant lui demander : Seigneur, qui donc a prononcé mon oraison funèbre ?
Recueil d’Oraisons funèbres, Bossuet, 1672.
Si je cède au désir de monsieur de Nemours du sexe très banal je suis la créature, alors qu’amoureuse, repoussant son amour, je serai unique dans la littérature.
La Princesse de Clèves,
Madame de La Fayette, 1678.
« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit. Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée. » Racine, me dit-elle, Athalie ne poursuis, ces deux vers suffisent à ta gloire assurée.
Athalie, Jean Racine, 1691.
Quand vous fîtes jouer votre osé Mahomet vous eûtes la chance, monsieur Arouet, de n’avoir pas fatwa lancée sur votre tête, pas même injures sur votre site Internet.
Le Fanatisme ou Mahomet, Voltaire, 1741.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est bon, proclamait, souriant, l’optimiste Pangloss, si aveugle et béat qu’il ne vit pas ce rosse et roué Voltaire le prendre pour un con.
Candide ou l’Optimisme, Voltaire, 1758.
Je fis cinq enfants à Thérèse Levasseur et j’en fis davantage à la littérature. Aux premiers le refus de mon imprimatur, préférant les seconds dont j’étais seul auteur.
Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau, 1782.
Pour ce grand poète, monsieur de Lamartine, qui, songeur, cultivait près de Mâcon sa vigne, c’est une humiliation, une infortune, un couac, de devoir son renom à l’eau triste d’un lac.
« Le Lac », poème des Méditations poétiques,
Alphonse de Lamartine, 1820.
D’Artagnan au sommet de la célébrité non pas dans les quatre mais « Les Trois Mousquetaires ». Certes, le chiffre est faux, admettait Dumas père, mon nègre sait écrire et pas du tout compter.
Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas, 1844.
Vos papiers, jeune homme, votre permis de vivre ? Avez-vous sauf-conduit, carte d’identité ? Le fugueur répondit : je n’ai pour qualité que ce poème obscur, génial, « Le bateau ivre ».
« Le bateau ivre », Arthur Rimbaud,
écrit à dix-sept ans en 1871, publié en 1873.
Au marché de Beaujeu était François Périer, la veille à la télé, jouant Coupeau l’ivrogne. Les gens lui demandaient, en lui serrant la pogne, comment, tellement soûl, l’était déjà sur pied.
Dans Gervaise, de René Clément,
d’après L’Assommoir, Émile Zola, 1877.
Poète raffiné, sibyllin, de l’onyx, des faunes, de l’azur, de la glose, du Styx, des cygnes et des ris, Mallarmé échoua, si, si, je vous assure, au baccalauréat.
Poésies, Stéphane Mallarmé, 1887.
C’était, je me souviens, chez les Troisgros, à Roanne, que, lisant, savourant Du côté de chez Swann, j’accompagnais saumon, ris de veau et langouste de la très fameuse madeleine de Proust.
Du côté de chez Swann, Marcel Proust, 1913.
Thérèse Desqueyroux, de son mari cardiaque force sur les gouttes pour activer la mort. Entendez le rire chuchoté de Mauriac tandis que son âme dit le Confiteor.
Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, 1927.
Que moi, dis, cher Solal, tu n’aimeras que moi ? implore Ariane que la passion soulève. Cruel, Albert Cohen a déjà fait son choix : la chair est triste, hélas, au canton de Genève.
Belle du Seigneur, Albert Cohen, 1968.