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Je fis cinq enfants à Thérèse Levasseur et j’en fis davantage à la littérature. Aux premiers le refus de mon imprimatur, préférant les seconds dont j’étais seul auteur.
Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau, 1782.
Pour ce grand poète, monsieur de Lamartine, qui, songeur, cultivait près de Mâcon sa vigne, c’est une humiliation, une infortune, un couac, de devoir son renom à l’eau triste d’un lac.
« Le Lac », poème des Méditations poétiques,
Alphonse de Lamartine, 1820.
D’Artagnan au sommet de la célébrité non pas dans les quatre mais « Les Trois Mousquetaires ». Certes, le chiffre est faux, admettait Dumas père, mon nègre sait écrire et pas du tout compter.
Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas, 1844.
Vos papiers, jeune homme, votre permis de vivre ? Avez-vous sauf-conduit, carte d’identité ? Le fugueur répondit : je n’ai pour qualité que ce poème obscur, génial, « Le bateau ivre ».
« Le bateau ivre », Arthur Rimbaud,
écrit à dix-sept ans en 1871, publié en 1873.
Au marché de Beaujeu était François Périer, la veille à la télé, jouant Coupeau l’ivrogne. Les gens lui demandaient, en lui serrant la pogne, comment, tellement soûl, l’était déjà sur pied.
Dans Gervaise, de René Clément,
d’après L’Assommoir, Émile Zola, 1877.
Poète raffiné, sibyllin, de l’onyx, des faunes, de l’azur, de la glose, du Styx, des cygnes et des ris, Mallarmé échoua, si, si, je vous assure, au baccalauréat.
Poésies, Stéphane Mallarmé, 1887.
C’était, je me souviens, chez les Troisgros, à Roanne, que, lisant, savourant Du côté de chez Swann, j’accompagnais saumon, ris de veau et langouste de la très fameuse madeleine de Proust.
Du côté de chez Swann, Marcel Proust, 1913.
Thérèse Desqueyroux, de son mari cardiaque force sur les gouttes pour activer la mort. Entendez le rire chuchoté de Mauriac tandis que son âme dit le Confiteor.
Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, 1927.
Que moi, dis, cher Solal, tu n’aimeras que moi ? implore Ariane que la passion soulève. Cruel, Albert Cohen a déjà fait son choix : la chair est triste, hélas, au canton de Genève.
Belle du Seigneur, Albert Cohen, 1968.

Peut-être

André Gide : « Je n’écris plus une phrase affirmative sans être tenté d’y ajouter : “peut-être” », Journal, 19 juillet 1941.

La date est importante, non à cause de la guerre, mais parce que André Gide a soixante-douze ans. Avec l’âge, il est de moins en moins sûr de ses idées et de ses sentiments, les certitudes l’abandonnent, le doute l’envahit. Les déceptions politiques se sont accumulées. La débâcle de l’armée française ajoutait sûrement à son pessimisme foncier. Mais c’est surtout l’âge qui le contraignait à ne plus être affirmatif, carré, sans réserve, comme il l’avait été souvent durant l’essentiel de sa vie.

La jeunesse ne s’embarrasse pas de peut-être. Pourquoi prendre cette précaution ? On dit ou on ne dit pas. On est catégorique, voire péremptoire. Une restriction paraît être une indécision, un scrupule une faiblesse. Les peut-être, probablement, vraisemblablement, éventuellement relèvent de la sagesse. Est-on sage à vingt, trente ou quarante ans ? À soixante-douze ans, oui, c’est bien, c’est mieux.

J’ai fait l’inverse. (Je n’ai pas écrit : j’ai peut-être fait l’inverse.) Ma jeunesse a été encombrée de doutes et d’incertitudes. J’affirmais d’autant moins mes idées qu’elles me paraissaient aléatoires. Un beau parleur me faisait changer d’avis. Mes sentiments étaient plus fermes, soumis cependant à des cycles météorologiques. Tous mes peut-être ne découlaient pas, hélas, d’une sagesse précoce, mais d’un manque de confiance et, peut-être, de courage.

Avec l’âge, me voilà moins prudent, moins influençable, plus assuré. Non que les peut-être aient déserté ma conversation, mais ils sont beaucoup moins nombreux, et quand ils se pointent sous ma plume ou sur l’ordinateur, je leur demande de justifier leur présence. En biffer est-il un manque de sagesse ?

Il y a aussi que, plus le temps passe, plus je me rapproche du seul jour de la vie, le dernier, d’où sont exclues l’hésitation, la réserve, l’éventualité ou l’exception du peut-être.

La dernière fois

François Nourissier : « Tu t’en souviens, oui ou non, de la dernière fois ? », À défaut de génie.

La dernière fois de qui ? de quoi ? à propos de qui ? de quoi ?

Ne fais pas l’idiot. La dernière fois que tu as fait l’amour avec… Pourquoi se souvient-on des premières fois et, plus rarement, des dernières, pourtant plus proches ? Parce que les premières se sont passées dans la fièvre et le plaisir de la découverte, les dernières dans le chagrin ou l’effort si on savait que c’était la dernière fois, dans la routine si on ne savait pas.

Le plus souvent, on ne sait pas. Un virage tout de suite après, une sortie de route, un accident. Parfois, la mort. Ou bien l’un sait et l’autre pas. Arrête la voiture, je descends. Une autre voiture m’attend. Adieu.

Ou au revoir, sait-on jamais. Dans ce cas, la dernière fois n’est plus la dernière.

Si un couple a fait l’amour pour la dernière fois, c’est souvent parce que l’un des deux l’a fait ailleurs pour la première fois.

Heureux les couples qui, d’un commun accord, ont décidé de se séparer et qui rassemblent ce qu’il leur reste d’amour, sinon de désir, pour tirer un ultime feu d’artifice !

Il y a aussi de très vieux couples, toujours aimants, mais fatigués, souffrants, qui ne peuvent pas donner une date pour la dernière fois parce que ce ne furent à la fin que de tendres, émouvantes et vaines tentatives de prolonger leur félicité charnelle.

L’idée m’a traversé l’esprit d’écrire un livre sur le thème de « la dernière fois », beaucoup moins visité que celui de la première. Mais il aurait été bien triste, les fins étant le plus souvent porteuses d’échecs, de limites d’âge, de coups du sort, de ras-le-bol, de maladies, de mort précoce. Il me semble que ç’eût été un livre à contre-emploi.