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Lori s’humecte les lèvres du bout de la langue, se retourne pour mieux faire ressortir ses fesses et lui adresse le sourire qui souligne l’une de ses expressions favorites, « Pas mal pour un vieux débris », une expression à laquelle ils ont dû renoncer depuis le jour, deux mois plus tôt, où Nahum a décrété en public que mamie n’était pas mal pour un vieux débris.

On ne sait jamais ce qui va sortir de la bouche des enfants, car voici que Mark étreint la jambe de Di et lui demande :

— On va au lit ?

— Au lit ! approuve Nahum avec enthousiasme.

Et comme le dit la méthode en vogue, Di et Lori n’ont aucune peine à les coucher dans leur grand lit douillet ; les deux enfants se sentent tellement en sécurité qu’ils n’exigent même plus la présence d’un parent à chaque sieste, seulement de temps en temps.

Un cynique ferait observer que Di souffre souvent de manque de sommeil et que, si cette fameuse méthode fonctionne aussi bien, c’est parce que Lori travaille à la maison. Un cynique plus endurci soulignerait que les parents ont toujours manqué de sommeil.

Mais ce soir-là, les gosses se couchent sans chahuter. Et, plutôt que de retourner à son clavier, Lori s’assied à côté de lui sur le canapé.

— Alors, qu’en penses-tu ? demande-t-elle.

— Le fond de l’océan Arctique n’a quasiment aucune influence sur l’évolution du temps, déclare Di en acceptant le verre de cognac qu’elle lui tend. Enfin, la température de ce milieu peut être affectée par le réchauffement global – quand les profondeurs de l’océan se réchaufferont, le système sera déséquilibré d’une manière ou de l’autre, mais à en croire l’ordinateur, cela ne se produira pas avant au moins une génération. Et à ce moment-là, nous aurons sans doute réussi à maîtriser nos émissions et peut-être même à entamer le processus de refroidissement que tout le monde semble souhaiter.

» Non, c’est l’aspect politique des choses qui me tracasse. Nous avons grandi avant le Flash, toi et moi. Le fait que l’ONU ait son mot à dire nous semble toujours aussi incongru. Si encore ils se débrouillaient bien. S’ils n’avaient pas obligé la Russie à accorder l’indépendance à la Sibérie, et les États-Unis à renoncer à l’Alaska, est-ce que tout ceci serait arrivé ? Sans parler de la précipitation avec laquelle ils ont organisé cette frappe. C’est typique de l’ONU. Un point c’est tout. Si Mamie le Président ou Harris Diem s’étaient occupés de cette crise, il n’y aurait pas eu de frappe et les médias n’auraient même pas parlé de la crise – Abdulkashim se serait évaporé en douceur. Rivera est un malin, mais c’est un frimeur qui aime bien voir voler ses avions et exploser ses bombes. Un de ces jours, on tombera sur un agresseur plus futé ou sur un SG plus crétin, et on sera dans la merde.

» Quant à l’aspect météo… aucune raison de s’inquiéter, je crois. La chaleur dégagée par l’explosion ne fera pas augmenter la température des fonds marins de plus d’un centième de degré une fois qu’elle se sera répartie sur la totalité de l’océan.

Elle se blottit contre lui et lui dit :

— En fait, si je me suis arrêtée de travailler si tôt, ce n’était pas pour parler météo.

Il ouvre la bouche pour lui répondre lorsque le téléphone sonne, et comme c’est la ligne spéciale de son bureau de la NOAA, il est bien obligé de décrocher. Sans doute va-t-on lui poser la question que lui a déjà posée Jesse, mais en termes moins policés.

Il comprend que la situation est grave quand apparaît sur l’écran Henry Pauliss, son supérieur, qui a l’air d’être tombé du lit. L’ONU a sans doute constaté un phénomène bizarre et sollicité l’avis de la NOAA, car le service météo des USA est le meilleur du globe – Scuttlebytes affirme d’ailleurs que l’ONU a l’intention de le prendre sous sa juridiction.

Henry pousse un soupir, comme pour prévenir toute protestation de la part de Di.

— Ce que j’attends de toi, c’est que tu me demandes de me recoucher après que j’aurai rappelé le Président pour lui dire de ne pas s’inquiéter, afin qu’elle puisse à son tour rappeler le SG et lui transmettre le message.

— Je te le dirai si c’est la vérité.

— C’est pour ça que je t’ai appelé. Ce n’est pas vraiment ta partie – même si nous comptons également faire tourner les modèles numériques. Ça relève de l’ancienne Section Prospective, et comme elle n’existe plus, ça relève de toute personne bien informée et assez courageuse pour ne rien me cacher.

Di se demande ce que dissimule cette tentative de flatterie.

— Okay, voici la situation.

Et Henry lui explique brièvement que les packs de clathrates se sont brisés et que le méthane se déverse de l’océan Arctique.

— En certains points de la banquise, les émanations sont si denses que des phoques ont péri asphyxiés, et les gars de l’ONU ont tenté d’enflammer le gaz à titre de mesure préventive – mais ça ne sert pas à grand-chose, car la plus grande partie du méthane s’échappe par des fissures minuscules et de façon diffuse. Les satellites de l’ONU ont quand même localisé une centaine de points susceptibles d’être enflammés, qu’ils ont attaqués avec les lasers du Contrôle global de lancement, ce qui devrait réduire le problème de deux ou trois pour cent.

» Autant dire rien ou presque. En fin de compte, nous avons introduit dans l’atmosphère entre cent cinquante et deux cents milliards de tonnes de méthane. Ce qui va multiplier le taux normal par un facteur de vingt. Tu n’as pas oublié les réactions qui ont suivi la dernière Évaluation quinquennale du Réchauffement global. Ils sont morts de trouille à l’idée que… enfin, tu sais.

Di se retient de sourire. En tant que directeur de l’agence reconnue responsable de l’Émeute globale – la plus grosse gaffe depuis l’Expérience de réplication de la NASA qui a failli dévorer la Base lunaire –, ce pauvre Henry est incapable de prononcer ces mots tant redoutés.

Le problème avec la XV, c’est qu’elle donne vraiment l’impression d’être sur place. Comme on avait prévu que la famine se prolongerait au Pakistan, et comme des émeutes avaient éclaté à Islamabad, en moins d’une demi-heure tout un tas d’accros à la XV de Tokyo, Mombasa, Fès, Lima, Ciudad de Mexico et Honolulu se shootaient aux hormones et à l’adrénaline. À Seattle, un groupe de Profonds s’étaient branchés sur le Pakistan juste avant de mener une de leurs « actions » non violentes, à savoir l’assaut d’une unité néonatale, mais ils s’étaient laissé emporter par leurs glandes surexcitées – à moins que, comme ils devaient l’affirmer par la suite, la faute n’incombe au commandant des troupes fédérales, un catholique pratiquant, qui avait ordonné à ses hommes d’ouvrir le feu sur la foule.

Toujours est-il que deux reporters de la XV s’étaient retrouvés dans leur champ de tir, un homme et une femme de la chaîne Infoporno, et lorsque la seconde avait péri dans les bras du premier, les poumons criblés de balles, cinq cents millions de personnes avaient fait l’expérience du moindre de leurs sanglots, du moindre de leurs hoquets, de l’odeur de leur sang et du bruit des détonations…

Quand les glandes s’activent, tout le monde entre en piste, comme on dit sur la chaîne Dance, et soudain toutes les rues de la Terre étaient noires de monde, les vitrines volaient en éclats, les flics tombaient comme des mouches et les pompiers se retrouvaient impuissants à circonscrire le désastre. Et un peu partout, d’autres reporters intervenaient pour faire monter la mayonnaise, pendant que les émeutiers coiffaient leur casque pour jouir en simultané de plusieurs facettes de la réalité.

L’UNIC est capable de faire taire un gouvernement, un groupe donné, voire un consortium de quelques douzaines de groupes, mais il lui est impossible d’intervenir sur plusieurs milliards de liaisons parallèles, dont n’importe quelle combinaison peut mettre en contact quatre millions de reporters et vingt mille chaînes, au rythme de deux signaux codés par milliseconde. L’UNIC avait bien réussi à brouiller quelques canaux çà et là, mais personne ne s’en était aperçu. Des expériences extrêmes qui, en temps ordinaire, n’auraient jamais été diffusées nulle part déferlaient par centaines jusque dans les sociétés les plus répressives.