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En tant que prêtre, il regrette un peu d’être plutôt superficiel. Il se contente de célébrer les mariages, les baptêmes et les funérailles, osant parfois prêcher le bien à ses paroissiens. Il n’était pas fait pour ce travail.

Mais il y a un Dieu au-dessus de lui, et le bon sens lui commande de s’adresser à Lui. Il encourage les fidèles à prier. Certains d’entre eux somnolent, mais il n’a pas le cœur de les réveiller.

D’après la pendule, le soleil a dû se lever, mais on ne perçoit aucune lumière au-dehors, même pas un rayon lumineux entre les portes. L’église sent le fauve et le linge mouillé.

Michael Dwyer se porte volontaire pour aller allumer les phares de son camion – passionné de musique américaine, il l’appelle son rig – pour voir ce qui se passe dans la vallée.

L’église se trouve désormais sur une île et l’eau ne cesse de monter. Michael et Joseph discutent brièvement de la situation.

— Mieux vaut ne rien dire à personne.

— Vous avez raison, mon père. Inutile de leur faire peur avant l’heure.

Trempés jusqu’aux os, tremblants de froid, ils regagnent l’église et disent qu’il fait trop noir pour distinguer quoi que ce soit.

Ils font une nouvelle tentative quelques heures plus tard, une fois que leurs vêtements sont suffisamment secs pour qu’ils puissent les remettre, et toute parole est superflue. Non seulement l’eau a encore monté, mais en outre elle coule dans la direction opposée à celle de la rivière qui traversait la vallée. Michael se baisse pour y tremper la main, revient vers le prêtre et lui dit :

— Elle a goût de sel, mon père. C’est l’océan qui arrive.

Une demi-journée s’écoule ; on leur avait annoncé un cyclone, mais cela ressemble plutôt à une tempête, quoique plus violente que d’ordinaire. À en croire la TSF, Clem 238 va épargner l’Irlande, il a changé de cap pour aller mourir plus au nord.

L’eau continue de monter pendant douze heures ; lorsque Joseph et Michael sortent une dernière fois, il leur est impossible d’arriver jusqu’au camion, et ils craignent que les fidèles n’entendent le rugissement des eaux. En quarante-huit heures, ils ont largement entamé leurs réserves de nourriture.

L’aube suivante apporte la lumière. Lorsqu’il sort de l’église, le père Joseph constate que le ciel est empli de nuages mais à nouveau visible et que le niveau de l’eau a sensiblement baissé. Un coin d’azur apparaît soudain dans le plafond gris.

Michael s’approche de lui.

— La radio dit que la mer a remonté le Shannon jusqu’au Lough Derg, mon père, et qu’elle semble vouloir y rester pour de bon. L’Irlande a désormais une mer intérieure.

Joseph hoche la tête, puis lève le bras. Un oiseau en triste état tombe misérablement du ciel. Ils se dirigent vers lui ; l’animal est trop épuisé, trop impuissant pour leur échapper. Le prêtre le ramasse.

— Et si c’était une colombe ? dit-il.

Durant l’après-midi, des staticoptères leur apportent des rations de survie. Conséquence du « miracle » de l’église, aucun des fidèles n’a envie de descendre de la colline en dépit des exhortations du représentant du gouvernement.

Klieg est fasciné par un autre rejeton de Clem – le numéro 239. Après avoir perdu une bonne partie de sa puissance, il a réussi à contourner l’Écosse et se trouve à présent dans la mer du Nord, son œil étant localisé à deux cents kilomètres du Skaggerak. Les marées de tempête déferlent sur le Danemark, et on voit les vagues titanesques emporter les fermes, les granges et parfois même les troupeaux ; le vent a une vitesse de 120 km/h, l’équivalent de 12 beauforts, le minimum pour un cyclone. On s’attend à ce que ça empire.

Ça fait huit heures que Clem 239 est stationnaire, et c’est pour cette raison que Klieg s’intéresse à lui. Il a parié sur lui, pourrait-on dire. De son point de vue, la présence de ce cyclone dans une région où ils sont inconnus est tout bonnement parfaite.

Il faut une heure et demie d’avion pour aller de Novokuzneck à Stockholm… sauf qu’il n’existe pas de ligne régulière. Sans doute vont-ils atterrir à Francfort ou à Varsovie, puis prendre une zipline… à moins que la Baltique ne soit trop grosse.

Il ne cesse de consulter les horaires des avions et des ziplines et il pense que ça peut marcher. Mais les truands du coin auront-ils eu la même idée que lui ? Il l’espère de tout cœur ; l’ennui avec les crétins, comme il l’a souvent expliqué à Glinda, c’est qu’ils ne font pas toujours des conneries, ce qui permettrait de prévoir leur comportement, mais qu’il leur arrive parfois d’agir intelligemment.

Situation inchangée ; Clem 239 est toujours à deux cents kilomètres à l’ouest du Skaggerak et le raz de marée persiste. Ce qui accroît sa fortune, d’ailleurs : un de ses météorologues avait prévu que l’un des cyclones contournerait l’Écosse dans le cas où certaines conditions seraient réunies. Ce qui s’est bel et bien produit… et Klieg a vendu toutes ses actions de Royal Dutch Shell deux jours avant tout le monde.

On estime que les digues vont tenir encore neuf heures ; les services de transport commencent à être dépassés, car des réfugiés peu scrupuleux font appel à la corruption ou à la violence pour assurer leur fuite.

On ne peut pas dire que les gens détestent les Hollandais. Personne ne protesterait si un ou deux Hollandais venaient se réfugier dans le quartier – après tout, il faut bien s’entraider, se dit Horst. Mais il y a d’autres considérations à prendre en compte, voilà tout. Il espère que le capitaine ne va pas donner l’ordre tant redouté, mais il est quand même prêt à l’exécuter.

Will se sent tout drôle. Il a souvent emprunté ce ferry, tantôt pour aller voir un match de foot, tantôt pour faire la fête avec ses copains. L’année dernière, il a passé une permission à son bord. Et le voilà, dans son staticoptère, en train de l’observer au radar. Il est plein à ras bord de Belges et de Hollandais, et le Royaume-Uni a déjà assez de problèmes comme ça. Mais Bruxelles nous a demandé de les accueillir, pas vrai ? Réfléchissez : dans quel pays se trouve Bruxelles ? Quelle coïncidence… Mais il y a sans doute des enfants à bord de ce ferry. Et des femmes. Il attend ses ordres.

Assis à son poste, Paul-Luc attend, lui aussi ; ses copains et lui-même ont pris leur pied avec les filles belges. Parmi les réfugiés, le bruit court que les soldats français laissent passer celles qui se montrent gentilles avec eux. Paul-Luc, Jean et Marc ont bien profité de ces pétasses avant de leur passer la garrotte dans les bois. C’est encore mieux que la XV.

Mais Marc a l’air tout chose… et ce n’était peut-être pas à cause des cris des filles, pensent Jean et Paul-Luc.

Si c’est bien la fin du monde, autant prendre un peu de bon temps, pas vrai ?

D’accord, se dit Will, et il lance un missile sur le ferry – heureusement, celui-ci est encore derrière l’horizon et il ne verra jamais ni les flammes ni les cadavres.

D’accord, se dit Horst, et, à sa grande surprise, il jette son fusil et s’éloigne. Quand on l’arrête, ça n’a plus grande importance. Tout le monde voit bien que personne n’ira nulle part.

Klieg hausse les épaules et s’ouvre une nouvelle canette. Il se limite à trois bières américaines par jour. Est-on vraiment obligé d’être un crétin pour devenir politicien ? se demande-t-il. Il y a une demi-génération de cela, les Européens ont résolu leurs problèmes d’unification en optant pour la suprématie de la race blanche. Klieg considère qu’ils ont été aussi stupides que Hitler avec les juifs. GateTech compte parmi son personnel une bonne centaine d’Afropéens compétents, voire brillants.