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Un bruit étouffé dans le lointain. Puis un autre. Un choc sourd. Obéissant à ses réflexes, Klieg vérifie que ses lacets sont bien noués et qu’il a sur lui les quelques objets personnels qu’on l’a autorisé à conserver, notamment ses lunettes.

Cette fois-ci, le bruit se prolonge un bon moment, et il s’écarte de la porte (mais pas trop), se tient prêt à lever les mains. S’il ne s’agit pas de livreurs maladroits, cela lui laisse deux possibilités : soit c’est un nouveau coup d’État et il va de nouveau être pris en otage, auquel cas il a bien l’intention de coopérer avec le premier terroriste qui se présentera à lui, souhaitant avant tout ne pas être descendu, soit…

La porte est secouée par un choc violent, des fissures apparaissent autour des montants. Il recule et lève les mains bien au-dessus de sa tête.

Nouveau choc, la porte va céder ; de toute évidence, on utilise pour l’enfoncer un appareil hydraulique, il l’entend se repressuriser entre deux coups. Il a ses lunettes, ses poches sont pleines, ses lacets noués, les ourlets de son pantalon sont retournés pour lui éviter de trébucher…

La porte s’effondre sur le sol, et Klieg découvre le petit bélier qui l’a défoncée, un gadget fixé sur un trépied et qui ressemble à un gigantesque verrou.

L’homme qui franchit le seuil et l’appelle par son nom porte l’uniforme bleu des troupes onusiennes.

— Mr. Klieg ?

— Oui. Je suis prêt.

— Bien. Suivez-moi.

On entend retentir des sirènes, les couloirs empestent la poudre. Klieg perçoit des détonations dans le lointain. Mais ni lui ni son sauveteur – si c’est bien un sauveteur – ne prononcent un seul mot. Ils filent à toutes jambes. Les explications peuvent attendre.

— Vous pouvez être dispensée de cette corvée, vous savez, dit une voix dans le crâne de Mary Ann. Synthi Venture n’est pas obligée de faire ça.

Si c’est ce que vous pensez, ça veut dire que vous n’avez rien compris, rétorque Mary Ann.

Puis elle s’empresse de transmettre ce bref dialogue aux branchés.

— Ne faites pas ça, s’il vous plaît, ça gâche la composition…

Exactement. On n’a pas besoin de composition en ce moment. Maintenant, laissez-moi travailler.

Elle récupère sa pelle et se dirige vers la tranchée qu’elle doit creuser en compagnie de plusieurs centaines de personnes. Le 6 août, en un point situé à 16o N 135o O, Clem a engendré Clem 500, qui n’a cessé depuis lors de filer plein est. Durant ces trente dernières heures, il a altéré sa course pour foncer vers l’isthme de Tehuantepec, et les réfugiés de Tapachula ont reçu l’ordre de se retrancher. On leur a livré par avion et par camion des réserves de nourriture et d’eau potable, ainsi que des toilettes portatives, et ils s’activent à creuser. Jesse a été détaché à l’aérodrome provisoire – vu sa formation technique, on lui a fait subir un entraînement de vingt minutes à l’issue duquel il a été bombardé opérateur radar et placé sous les ordres d’un « contrôleur aérien » qui n’a pas vu une tour de contrôle depuis vingt ans.

Pendant ce temps, les personnes non qualifiées, catégorie où se range Mary Ann, font le sale boulot.

Elle est fatiguée mais se sent en pleine forme. Et puis elle prend un certain plaisir à travailler en compagnie d’autres femmes ; elle se demande si ce ne serait pas une bonne idée de siffler les jeunes mecs qui passent, et Passionet réagit par un hoquet incrédule et scandalisé.

Avant de se remettre à bosser pour la chaîne, elle a insisté pour qu’on lui accorde toutes les heures une pause de dix minutes, et elle a eu toutes les peines du monde à faire comprendre aux techniciens qu’elle ne voulait pas être dérangée durant ce bref répit.

Si bien qu’elle entre dans une colère noire lorsqu’elle sent un esprit étranger envahir son cerveau pendant la pause. Au bout de quelques instants, une voix lui dit :

— Excusez-moi, je ne savais pas que vous faisiez une pause, mais je ne travaille pas pour Passionet et je souhaitais vous contacter en leur absence.

Vous ne… mais il est impossible de pirater un protocole cérébral…

— Pas impossible, non. Disons extrêmement difficile. Je m’appelle Carla Tynan – connaissez-vous ce…

Vous êtes la météorologue que le gouvernement a dû supplier à genoux de revenir à son poste.

— C’est ça.

Carla lui explique de façon succincte qu’elle jouit d’un accès illimité au net et qu’elle y passe le plus clair de son temps.

— Si je vous ai contactée, c’est parce qu’il y a certaines choses qu’il est de votre intérêt de savoir.

D’accord. Lesquelles ?

Carla Tynan n’a pas pour habitude de mâcher ses mots. Elle explique à Mary Ann la nature de la mission de Louie.

— Donc, les secours vont arriver, même si le gouvernement refuse d’y croire et d’informer le public. Je tenais à ce que vous soyez au courant. En outre, je peux vous fournir des informations venues du monde entier.

Pourquoi moi ?

— Parce que vous êtes Synthi Venture et parce que tout le monde est branché sur Synthi Venture. Si je vous avertis de ce qui va se passer, si je vous laisse le temps d’y réfléchir et de conclure que c’est merveilleux, les gens seront moins susceptibles de sombrer dans la terreur ou de faire des conneries. Ils boivent littéralement vos paroles, vous savez. Et ça risque de durer. Je pense que vous serez mieux à même de les préparer à l’événement, de mieux comprendre celui-ci, si vous êtes informée de la situation. Mais n’oubliez pas : si vous voulez vraiment aider les gens, ne leur dites rien tant que nous ne serons pas prêts.

Qu’entendez-vous par « nous » ? Et si c’est si merveilleux que ça, je veux voir d’abord.

Carla lui envoie quelques images ; Mary Ann en a le souffle coupé, tant et si bien qu’elle décide de prolonger un peu sa pause. Pendant qu’elle manie sa pelle et bavarde avec ses compagnes de tranchée, une partie de son esprit inaccessible à la XV réfléchit à ce que lui a dit Carla. Si elle ne lui a pas menti, Clem ne va plus faire la une très longtemps.

— Ils ont libéré Klieg, dit le jeune militaire en levant les yeux de son clavier. Mais ils ont été retardés par des vents contraires et l’un des satellites a confondu un stade en construction avec l’un de nos points de repère, ce qui fait qu’ils ne sont pas encore arrivés sur le site de lancement.

Regain de tension dans la cellule de crise. Si le site n’est pas récupéré intact, ce raid n’aura servi à rien, même si la libération de Klieg est à porter à leur crédit.

Hardshaw pousse un soupir, se tourne vers le général qui se trouve à sa droite et lui demande :

— Comment ça a pu foirer ?

Le général Tim Bricker est un homme grand et mince, à l’accent sudiste prononcé, et étonnamment jeune ; un de ces militaires carriéristes qui cherchent en permanence à se mettre en avant. Si Hardshaw lui a confié cette mission, c’est parce qu’il est aussi compétent dans le domaine militaire que dans le domaine politique, ayant l’expérience du compromis mais aussi celle du combat : lorsqu’il était capitaine d’infanterie, il a participé à deux reprises à des opérations semblables à celle-ci.

Bricker referme son organiseur et se tourne vers elle.

— Madame le Président, la situation présente est la conséquence de ce que nous appelons une conjonction de conneries. Certaines choses ne se sont pas produites comme nous l’avions envisagé. Certains de nos hommes ont tenté de réparer les dégâts, et comme ils ne disposaient pas toujours des informations nécessaires, ils n’ont fait qu’aggraver la situation. Les problèmes se sont additionnés. Si vous me demandez quelle chaîne d’événements est à l’origine de la situation présente, nous cherchons encore à l’établir. Mais si vous me demandez qui est responsable et qui doit subir une réprimande, alors je vous répondrai qu’on ne peut accuser personne excepté peut-être un bouc émissaire.