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D’un autre côté, ce n’est peut-être pas non plus la solution. Il y a quinze jours, alors qu’il se déplaçait au hasard afin de brouiller les pistes, il s’est arrêté dans un camp du Wyoming où il s’est fait pas mal de fric, étant l’une des rares personnes disposées à creuser des latrines ou à éplucher des patates. La quasi-totalité des gens étaient branchés en permanence sur Synthi Venture… qui creusait des latrines ou épluchait des patates. La direction du camp était obligée d’offrir une prime aux volontaires.

Bizarre. Bien entendu, nombre de gens préféreraient se brancher sur un acteur jouant les espions en planque plutôt que sur Randy. S’il avait eu le choix, il aurait fait tout autre chose de sa vie.

Une fine pluie se met à tomber, il ne fait pas encore noir. Harris Diem ne rentrera probablement pas ce soir – mais Randy ne bougera pas avant d’en être tout à fait sûr.

— Oui, j’en ai longuement discuté avec Mary Ann, dit Harris Diem. Elle a conscience du problème et va essayer de le résoudre. Mais nous ne voulons pas que les gens la délaissent complètement, car c’est en grande partie grâce à elle que les désordres se font si rares, et en outre le message qu’elle délivre est positif à nos yeux. Mais nous voulons que les gens mettent eux aussi la main à la pâte et ne se contentent plus de vivre par procuration. Le problème, c’est que la réalité de Synthi Venture est plus exaltante que celle du commun des mortels.

Hardshaw hoche la tête et dit :

— Bien, passons au rapport suivant… Di, je crois que Carla et vous avez de mauvaises nouvelles à m’annoncer ?

— Des nouvelles graves, j’en ai peur. La température de l’eau atteint désormais trente-sept degrés Celsius dans la mer des Antilles, et elle va encore augmenter. Si nos estimations sont correctes, c’est plus que suffisant pour que les vents tourbillonnants d’un cyclone dépassent la vitesse du son. Et comme Clem effectue un nouveau passage, il y a de grandes chances pour qu’il nous offre de nouveaux rejetons.

— Des suggestions ? demande Hardshaw.

— Pour l’instant, nous ne pouvons rien faire sans la comète du colonel Tynan ou les ballons de John Klieg. Sinon, il faudrait refroidir les Antilles. Nous n’avons aucune idée précise sur la façon dont la situation va évoluer, sauf qu’elle va empirer. Et pour être franc, je comptais vous demander l’autorisation de gagner la Caroline du Nord avec ma famille, parce que dans quarante-huit heures il sera trop tard.

— Allez-y et dépêchez-vous, dit le Président. Inutile que quiconque s’attarde ici s’il n’y a plus rien à faire. Harris, rentre chez toi et repose-toi. Carla, contactez-moi si vous avez de nouvelles idées. Mais je compte me coucher tôt, moi aussi, et rattraper mon sommeil en retard. Autant être d’attaque pour affronter la prochaine crise.

Di est surpris de constater qu’il a de la peine à quitter ses équipiers. La plupart d’entre eux le saluent comme s’ils n’espéraient plus le revoir. Gretch doit partir vers Charleston dès le lendemain matin, mais Talley et Peter restent encore à Washington pendant huit jours, et il les reverra sûrement. Comme ils ont charge de famille, Mohammed et Wo Ping sont déjà partis – la NOAA va établir son QG dans l’ancien bâtiment du NORAD à Cheyenne Mountain, et ils s’y sont rendus pour faciliter la transition.

Ils vont lui manquer, tous autant qu’ils sont, et il le leur dit franchement. Ils en sont tout émus, y compris Peter.

Dix minutes plus tard, il téléphone à Lori depuis la cabine de la zipline. Nous sommes le 22 septembre, Clem se trouve à proximité de l’isthme de Tehuantepec, et Jesse et Synthi Venture sont presque arrivés à Oaxaca – ils comptent y être demain si la pluie ne les retarde pas. Le gamin va s’en sortir. Papa se trouve dans un camp de réfugiés, près de Flagstaff, et il n’arrête pas de râler.

Alors que la zipline démarre dans la nuit tombante, il se rend compte que son paysage quotidien est resté le même alors que la géographie des États-Unis a subi de profondes altérations. Peut-être prendra-t-il vraiment conscience de la situation une fois qu’il se trouvera dans l’Ouest.

Il s’est enfin décidé à lire Massacre en jaune, dont Lori lui a offert un exemplaire. C’est un de ses meilleurs bouquins, mais il est surpris par la retenue dont elle a fait preuve dans son écriture. Comme elle le lui a dit, elle n’a plus tellement le cœur à trucider ses personnages.

Harris Diem a l’impression qu’on sonne le tocsin à l’intérieur de son crâne. Il se sent épuisé, désorienté dans ce monde en plein changement, et il tente de se convaincre qu’il vaut mieux se coucher plutôt que de descendre à la cave.

Aucune chance.

Le peignoir, les draps propres, l’extase de la sélection… ce soir, il va se faire ses trois petites préférées, en commençant par la jolie pom-pom girl, le genre de fille qui le faisait bander à quatorze ans et qu’il ne pouvait pas se taper parce qu’il fallait bosser et étudier…

Ne te raconte pas de mensonges, se dit-il. Il sait qu’il est un monstre, un pervers, il ne se fait aucune illusion sur lui. S’il avait pu faire ce qu’il voulait d’une fille comme Kimbie Dee quand il avait quatorze ans, il l’aurait violée et tuée. Il est ainsi fait.

— D’accord, dit-il à haute voix, ma petite poupée blonde, c’est parti…

Il voit ses menottes descendre sur ses flancs, dévoilant des seins aussi parfaits que minuscules, il entend ses premiers sanglots de honte, voit couler sur ses joues les premières larmes…

Elle se sent nue, impuissante, comme elle aimerait que papa soit là, il tuerait cette ordure…

Tout s’arrête. Silence, ténèbres.

Une panne d’électricité ? Impossible, la maison est autonome.

Il presse un bouton, ôte ses lunettes et ses gants. L’homme qui se tient devant lui…

— Laquelle était votre fille ? lui demande Diem.

Il parle d’une voix posée. Il doit savoir ; si ce type prend peur, il va le tuer trop vite.

— Kimbie Dee Householder, dit l’homme.

Il pointe un Self-Defender sur le visage de Diem.

Celui-ci a la bouche sèche ; une partie de son esprit attend encore un orgasme, une douche chaude, des larmes de honte, un sommeil réparateur. Une autre se demande quel effet ça fera d’encaisser une balle hypersonique.

— Vous voulez savoir quelque chose avant de me tuer ?

— Si vous avez une explication à me donner, je vous écoute.

Diem hausse les épaules.

— Je suis né comme ça. Peut-être qu’un jour on pourra détecter ce vice avant la naissance et avorter les gens comme moi.

— Vous avez acheté d’autres bandes comme celle-ci ?

— J’en achèterais encore si j’avais le courage. Et si j’étais sûr de rester impuni, je ferais moi-même ce genre de choses.

Diem éprouve une étrange sensation ; il sait qu’il est déjà mort, et voilà qu’il peut enfin dire tout haut ce qu’il pense tout bas. Il considère son assassin, ses yeux d’un bleu délavé, sa barbe grisonnante – ce pauvre type ne peut même pas se payer des injections pour garder sa couleur d’origine – et ses vêtements élimés. Il fait partie de ces hommes qui n’ont jamais eu de véritable toit, de ceux que Diem a écrasés lors de sa résistible ascension.

— Vous m’avez compris ? Je n’ai pas d’autre explication. J’ai joui quand j’ai enculé cette petite salope avec un manche à balai.

Householder tique. Le Self-Defender aboie. Le sang gicle.

Bon Dieu, se dit Diem, quelle mort. Il a les yeux fixés sur le geyser rouge qui monte de ses testicules fracassés, se mord les lèvres jusqu’au sang, jouit de ses souffrances, et la seconde balle l’atteint entre les deux yeux.