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Sans doute s’agit-il de l’auteur du texte intitulé Rapport sur l’identité des témoins impliqués dans les assassinats de Harris Diem, Diogenes Callare et Carla Tynan, mais celui-ci n’est malheureusement pas signé.

Elle le dévore avec intérêt. Sans doute va-t-elle en tirer la matière de plusieurs numéros de Reniflements, et peut-être sera-t-elle en mesure d’interviewer Hardshaw comme celle-ci le lui a proposé… une fois que les choses se seront un peu tassées.

Sa banque l’a notifiée d’un paquet de dépôts – certains des premiers numéros de Reniflements ont été consultés par plus de cent millions de personnes à ce jour, et nombre d’entre elles sont en train de télécharger les éditions plus récentes. Pas étonnant, se dit-elle. Les gens qui se sont trouvé un abri n’ont pas grand-chose à faire en attendant le retour du soleil. On peut désormais la considérer comme une femme riche… et son agence bancaire se trouve à Calgary, dans une région totalement épargnée par les catastrophes climatiques.

Elle range son ordinateur dans son sac à dos et contemple le parking, où sa fourgonnette flambant neuve résiste vaillamment à l’averse et à la montée des eaux. Elle pense à la maison qu’elle va s’acheter, avec une chambre pour Naomi, aux folies qu’elle va pouvoir se payer.

Le vent qui se lève n’annonce rien de bon.

La pluie a cessé et l’atmosphère s’est réchauffée – suffisamment pour qu’il soit agréable de sentir ses vêtements sécher sur soi. Mary Ann Waterhouse est sincèrement ravie de cette journée, et elle espère que ses « passagers » – ainsi a-t-elle baptisé les branchés – partagent ce sentiment.

Mary Ann, dit la voix de Carla dans son crâne. Pouvez-vous me consacrer quelques instants ?

Bien sûr.

Sans percevoir ses paroles, elle sent que Carla informe les branchés que Mary Ann va se déconnecter quelque temps pour les besoins d’une conversation privée, mais que le contact sera rétabli avant leur arrivée à Monte Albán. Puis Carla se manifeste de nouveau.

Dites à Jesse que j’ai besoin de lui parler.

— Carla est en ligne, elle a coupé le contact avec Passionet, dit-elle à Jesse.

Mon Dieu, comme il est beau, marchant à ses côtés. Ils enjambent prudemment un torrent qui traverse la chaussée après s’être assurés de la solidité de l’autre berge, et Jesse la prend par la main pour l’aider à franchir l’obstacle. Ses muscles sont jeunes et fermes, sa peau lisse et douce. Il se tourne vers elle et lui sourit.

— Salut, Carla, c’est à quel sujet ?

Carla parle avec la voix de Mary Ann ; son léger accent du Midwest donne à celle-ci l’impression d’avoir un petit caillou dans la bouche.

— Si cela vous intéresse, je suis en mesure de vous dire qui a tué votre frère et pour quelles raisons. Cette information sera bientôt rendue publique – j’ai transmis toutes les données au FBI –, mais j’ai pensé que vous aimeriez le savoir avant tout le monde.

— Vous avez bien pensé.

Le regard de Jesse est dénué de toute expression ; prisonnière de son corps. Mary Ann est incapable de le prendre par la main pour le réconforter.

La pluie se remet à tomber, et Carla ajoute :

— Louie vous prie de l’excuser – il est en train de bombarder les nuages avec de l’azote liquide, et de telles ondées sont malheureusement inévitables. Mais le ciel sera dégagé quand vous arriverez au sommet.

— Ce n’est pas grave, dit Jesse. Dites-moi qui a tué Di.

La voix de Carla est étrangement méprisante.

— On pourrait qualifier cela d’erreur de procédure. Connaissez-vous l’expression « à utiliser ou à éliminer » ? Eh bien, le gouvernement sibérien était aussi branché que tous les autres, et si votre frère était placé sous surveillance, c’était parce qu’on le considérait comme un personnage clé. Naturellement, il en allait de même de ses interlocuteurs officiels, c’est-à-dire Diem et moi-même.

» Quand on n’est pas en mesure de conserver pour soi une ressource vitale, la meilleure chose à faire est d’empêcher ses adversaires d’en tirer profit – c’est pour ça qu’on fait sauter autant de ponts en temps de guerre –, et un responsable sibérien a élaboré un plan dont le but était d’éliminer votre frère si cela devenait nécessaire. Et comme ce responsable était un militaire, ce plan a été classé top secret, dans la catégorie « à appliquer fissa et sans discuter, rompez ».

Bizarrement, Carla a conservé tout son sens de l’humour, mais elle ne semble plus capable de l’utiliser à bon escient. À moins qu’elle ne plaisante parce qu’elle est en train de décrire le processus qui a conduit à sa propre mort. Mary Ann a à peine le temps de se poser cette question que Carla y répond mentalement : elle n’a jamais été douée pour la vie en société et son sens de l’humour ne lui a jamais causé que des déboires.

— Bref, c’est précisément parce que ce plan était de nature militaire que les choses se sont passées ainsi. Les militaires redoutent comme la peste les dysfonctionnements au sommet de la hiérarchie, car ils entraînent le plus souvent la mise en sommeil des opérations sur le terrain, de sorte que les échelons inférieurs ont bien souvent pour instruction d’exécuter leurs plans si le contact est perdu avec le commandement.

— Mais… vous voulez dire que les assassins sont automatiquement passés à l’action… uniquement parce qu’ils n’arrivaient plus à joindre leurs supérieurs par téléphone ?

— Pas tout à fait. La gravité de la situation avait fait l’objet d’une évaluation par paliers, et à chaque palier correspondait une série d’actes de plus en plus risqués. Après qu’Abdulkashim a été éliminé, ses successeurs n’ont pas pris la peine d’analyser ces instructions évolutives, du moins d’une façon autre que superficielle. Et comme ils ont vite été dépassés par les événements, ils ont opté pour une escalade délibérée, ce qui n’a rien d’étonnant. Le vrai mystère est ailleurs : il semble que personne n’ait donné l’ordre de tuer. Quelque chose a servi de détonateur, mais j’ignore de quoi il s’agit. Diem a été tué le premier, et les autres équipes devaient passer à l’action dès que leurs datarats leur signaleraient la mort de Diem. C’est ainsi que nous avons péri, Di et moi. Mais rien ne prouve que les Sibériens qui surveillaient Diem ont reçu l’ordre de le tuer, ni qu’ils ont perdu le contact avec leur base. La cause première de toute cette série d’événements a tout simplement… disparu.

Jesse marche en silence un long moment, la tête basse, les mains dans les poches. Peu à peu, le ciel se dégage, les nuages prennent de l’altitude ; éclairé par la lumière du jour, son visage semble avoir perdu toute couleur, et même les cailloux qu’il ramasse pour les jeter devant lui semblent pâles, délavés.

— Donc, il s’est produit un événement indéterminé, la machine bureaucratique s’est mise en branle, et les agents sibériens ont assassiné mon frère ?

— Exactement. J’ai été tuée pour les mêmes raisons.

Carla pousse un soupir avec les lèvres de Mary Ann ; celle-ci devine que ce soupir n’est pas entièrement sincère, et Carla l’avertit de n’en rien dire à Jesse.

— Ces crimes horribles ne resteront pas impunis, Jesse. Tous les agents sibériens en poste en Europe et aux États-Unis seront arrêtés, et le nouveau gouvernement révolutionnaire sibérien compte capturer et exécuter toutes les personnes impliquées. Bien sûr, ça ne ramènera pas Di, et ça n’aidera pas Lori et vos neveux à surmonter leur épreuve. Au fait, vous voulez leur transmettre un message ? Je les ai localisés, ils se trouvent dans un abri à Grand Island, dans le Nebraska, à une altitude suffisante – ils sont en sécurité et je ne devrais pas tarder à établir une liaison téléphonique avec eux.